Voile Magazine

Le grand malentendu

- François-Xavier de Crécy

C’était un dimanche, le 24 juin. La radio diffusait les commentair­es hystérique­s d’un improbable Angleterre-Panama. La télé ? Vous n’y pensez pas… Pour suivre l’arrivée de la Volvo Race, il n’y avait encore que le fameux tracker, sur le site de la course ou via l’appli. C’est donc sur l’appli, comme tous les accrocs de la course au large, que je suivais cette fin d’étape bouleversa­nte. Mon excitation, puis mon émotion, étaient difficiles à partager tant personne, autour de moi, n’y comprenait quoi que ce soit. J’avais beau évoquer les heures héroïques de la course autour du monde, ses héros malheureux ou glorieux, Tabarly, Peter Blake… je n’avais face à moi que des visages ingénus et déconcerté­s. Mes amis terriens ne demandaien­t qu’à communier à mon exultation de supporter, à ma dévotion sans borne pour Caudrelier et ses potes, mais n’en saisissaie­nt ni la teneur ni les ressorts profonds. J’en étais quitte pour filer une métaphore cycliste forcément laborieuse « Imagine que Christophe­r Froome, Alberto Contador et Romain Bardet puissent tous les trois prétendre à la victoire du Tour en déboulant sur les Champs-Elysées… » C’est ainsi. Quand on a la mer pour horizon et la voile pour passion, on est souvent condamné à une certaine marginalit­é culturelle en France. Logique me direz-vous, si l’on considère que le marin évolue par définition en marge des terres émergées… Mais est-ce suffisant pour expliquer le silence médiatique glacial qui suivit l’incroyable victoire de Dongfeng sur la Volvo ? L’engagement, le suspense, le panache et même le petit réflexe chauvin, tout y était. Toute la dramaturgi­e d’un immense moment de sport ignoré, noyé dans le bruit médiatique ambiant… L’effet Coupe du Monde ? Je veux bien mais quand même, je me dis parfois qu’on ne vit pas sur la même planète, même si elle est bleue pour tout le monde. Tant pis ou tant mieux. Tant pis si les médias n’y comprennen­t pas grand-chose, si le 7e Art lui-même ne semble plus voir la voile que comme un prélude à la catastroph­e*. Tant mieux si l’été nous appelle loin des salles obscures et des sports de masse, vers le large et vers les îles. Prenons la mer et prenons-la comme elle est : garce parfois, douce souvent, fascinante toujours. Alors rendez-vous sur l’eau ! *A la dérive, de Baltasar Kormákur, en salle depuis le 4 juillet, donne à voir un jeune couple perdu en mer. On a aussi eu Le jour de mon retour, de James Marsh, triste biopic de Donald Crowhurst, et l’an dernier le terrible Seul en mer, avec Robert Redford. Bon courage ensuite pour emmener votre famille en croisière !

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