Construction amateur Un rêve fait maison
Sarah et Romano ont consacré deux ans à la construction d’un superbe voilier de 15 m et ont quitté Gruissan le 15 juin. Devant les étraves de leur plan Balta, les îles méditerranéennes, en attendant les atolls du Pacifique.
ON LE SAIT. Nombreux sont les candidats au départ qui envisagent un long périple à la voile. Légion aussi sont ceux qui se lancent dans la construction d’un sloop ou d’un ketch avant de tout laisser choir, faute de véritable engouement et de suite dans les idées. Les Pieds Nickelés du tour du monde à la voile se cassent bien souvent les dents sur des rêves insondables. Mais Romano et Sarah ne sont pas dans ce registre-là. Voilà plusieurs années déjà qu’ils se préparent à larguer les amarres. Comme des élèves parfaitement appliqués, ils se sont attachés à franchir les étapes les unes après les autres. Avec détermination mais sans précipitation. Les deux années passées à la construction de leur voilier baptisé Mamarossa leur ont permis de s’organiser, sur le plan budgétaire notamment. Ils ont choisi de mettre en location leur maison et quelques autres biens immobiliers afin de pouvoir compter sur des revenus réguliers tout au long de leur périple. Tout cela s’est mis en place tranquillement pendant la construction du voilier. « Si nous avions choisi d’acheter un bateau d’occasion, il aurait fallu se dépêcher de tout gérer en même temps, précise Romano, nous n’aurions pas eu la même visibilité sur notre projet. On aurait probablement été obligés de tout traiter en urgence. Ce n’était pas notre style ». Charpentier de métier à son compte en Ariège, Romano aime prendre son temps, le temps de la belle ouvrage. En vingt ans d’exercice, il a édifié une dizaine de maisons en bois qu’il évoque avec une certaine fierté. Et dans la perspective de ce changement d’existence, il s’est inventé un chantier naval à pied d’oeuvre. A quelques encablures de sa maison, il a construit un hangar de vingt mètres de long sur douze de large. Un espace suffisant pour travailler dans le confort à l’abri des intempéries. « Je comprends la lassitude de ceux qui se lancent dans la construction d’un bateau sous une simple bâche tendue. Ça doit rapidement devenir compliqué, surtout en hiver lorsque la pluie et le froid s’y mettent » assure Romano qui se souvient des longs moments de ponçage et de la poussière que cela générait dans le hangar. Quelques jours avant de larguer les amarres, à Gruissan, le charpentier devenu skipper continue de bricoler dans la cabine de son voilier. Un coup de ponçage par-ci, un coup de perceuse par-là, il y a encore quelques finitions à assurer. Romano n’est pas pris de court, il a embarqué à peu près 500 kg d’outils professionnels. Les caisses en plastique sont empilées dans un coffre du carré. « On ne sait jamais ! Cela pourrait me permettre de travailler lors de certaines escales et de remplir ainsi la caisse de bord de quelques billets » suggère encore notre homme dont le visage est inondé d’un sourire permanent. Romano est un homme heureux, et ça se voit. Après deux décennies comme entrepreneur et cinq mille heures passées à construire son voilier avec sa compagne Sarah, avec Alain, l’un de ses employés devenu son ami, et avec l’aide d’une bande de copains, le voici presque libéré du travail au quotidien. Il s’était fixé la trentaine pour arrêter de bosser et pour passer à la case « je profite de la vie ». A trente-six ans, il vient de partir en croisière pour une durée indéterminée avec sa petite
famille. Pour Sarah, qui vient tout juste de dépasser la quarantaine, et pour leurs deux enfants, Manon sept ans et Mario dix ans, c’est une nouvelle page à écrire. Pour les enfants, l’école est finie ou presque. Sur le voilier, ils devraient étudier une ou deux heures chaque matin. Sarah envisage de les guider dans leur apprentissage en s’appuyant sur des manuels de leur niveau de classe. Elle espérait pouvoir les inscrire au CNED et organiser leur scolarité par correspondance mais cette formule leur a été refusée sous le prétexte d’un motif pas suffisamment conventionnel. « Un départ en croisière est interprété comme un départ volontaire, explique Sarah, l’inspection nous a donné son aval pour une prise en charge interne par nos propres moyens et nous allons parfaitement nous organiser.
UN INTERIEUR « OPEN SPACE »
Manon et Mario sont de toute façon des élèves studieux. Je suis certaine qu’ils vont parfaitement s’adapter à ce nouveau rythme et profiter d’un cadre unique pour emmagasiner une somme infinie de richesses ». Il faut dire que pour ce qui est du cadre de vie, les deux enfants seront plutôt privilégiés. La proue de Mamarossa leur est entièrement réservée. Sur chaque bord, de grandes couchettes surmontées d’un large hublot vont leur permettre de voyager dans un très bon niveau de confort, tout en gardant les yeux ouverts sur les vagues ou sur le sable blanc des criques. Et peut-être aussi sur les dauphins. Dans la longue et large cabine très lumineuse, Romano a pris le parti de jouer la carte du tout-ouvert. Aucune porte ne vient réduire l’espace, ni pour la cabine des enfants ni pour les deux cabines arrière qui offrent deux grands lits sur chaque bord. Une cuisine très fonctionnelle sur bâbord et un vaste carré parfaitement ancré sur tribord encadrent le puits de dérive qui rappelle que le programme ultime du voyage est d’aller mouiller dans l’un des lagons mythiques du Pacifique. Le tirant d’eau de Mamarossa (quille relevable 3,15/1,35 m lestée de 3 tonnes de plomb) devrait offrir de bonnes capacités de vitesse et de stabilité en navigation tout en permettant de se rapprocher de la plage. Un bon compromis pour une croisière au long cours imposant de lier sécurité et plaisir. Ce qui frappe dans la cabine du voilier de Romano et Sarah, c’est la taille de la table à cartes. Elle est à peine plus grande que deux sets de table et encadrée d’un tout petit nombre d’appareils électroniques. Romano a choisi de doter Mamarossa d’un GPS et d’une radio, mais pas d’un radar. Son souhait est de naviguer aussi simplement que possible. Le voilier est équipé de deux grands panneaux solaires censés le rendre autonome en énergie, mais Romano ne veut pas être tributaire de la technique. « A la limite, il faut que le pilote automatique fonctionne mais si ce n’était plus le cas, on serait tout de même là pour barrer. On peut toujours s’arranger et trouver une solution à n’importe quelle panne » martèle-t-il dans une logique de simplicité qui correspond à la forme d’aventure à la voile que recherche le couple. Il faut dire que Romano a été à bonne école. Né aux Fidji – ça ne s’invente pas –, il est le fils d’un couple qui a voyagé pendant quarante ans autour du monde sur des bateaux centenaires, sans véritable équipement moderne… Son père, Vincent Goudis de son nom de plume, a fait rêver tout une génération de bourlingueurs avec des récits épiques comme Bleu sauvage ou Le Fils des sept mers. Certes, les temps ont changé, et Romano et Sarah ne partent dans le sillage de personne. Mais l’esprit d’aventure demeure et sur leur bateau, ils n’envisagent pas une trop grande sophistication. A l’image de la longue barre franche toute simple, juste prolongée d’un stick. Exit les barres à roue et les effets de manche. Sur Mamarossa, la priorité a été donnée à la qualité des matériaux et à la pureté des lignes, en parfaite conformité avec l’esprit des plans de Patrick Balta, lequel rend volontiers hommage à la qualité de construction à laquelle est arrivé Romano. Bel éloge quand on connaît l’expérience et l’exigence de l’architecte malouin… Le pont en lattes de mélèze est dégagé et les passavants offrent à coup sûr une circulation particulièrement aisée, même dans une situation de gîte. Tout l’intérieur de la cabine
est en chêne et la coque, réalisée selon le procédé strip planking, est le résultat d’une union de lisses d’épicéa du Jura. Du très beau travail ! Tout cet inventaire respire la montagne et les grands espaces, la nature et l’esthétisme. C’est clairement la marque de fabrique de Romano et de Sarah. Depuis quelques semaines, toute la famille a entamé sa croisière initiatique. Les enfants de l’Ariège, cet arrière-pays d’Occitanie qui inspire davantage les randonneurs que les marins, ont commencé leur mue et s’apprêtent à devenir de vrais oiseaux du large.