Tahiti Pearl Regatta La régate, la fête et l’amitié
Vivre la Tahiti Pearl Regatta, c’est jouir à la fois du cadre inégalable des îles Sous-le-Vent de Tahiti, d’une course relevée mais conviviale, mais aussi d’une culture qui a résisté à la colonisation et à l’oubli. Récit d’un concurrent tombé amoureux des
ROISSY Charles-de-Gaulle. Le tableau des départs incite déjà à la rêverie : Cancun, Otawa, Moscou, Rio de Janeiro, Buenos Aires, New York, Shanghai, Tokyo, Sydney... Notre destination se classe en tête des destinations de rêve : Tahiti et ses îles, ces perles du bout du monde. Une fleur de tiaré, « Ia ora na », et nous voilà déjà ailleurs, transportés par le sourire de l’hôtesse d’Air Tahiti Nui. Le voyage peut commencer. Après une courte escale à Los Angeles, l’immensité du Pacifique sous les ailes, nous traçons une trajectoire sans détour vers ces terres éparses de l’hémisphère sud. Le pilote annonce l’atterrissage imminent sur l’aéroport de Faa’a à Tahiti après 22 heures d’un voyage si doux que le temps n’a déjà plus d’importance. La porte s’ouvre, nous recevons en plein plexus cette chaude bouffée de chaleur humide qui contraste avec l’air vicié et conditionné de l’avion…
PREMIER MATIN AU PARADIS
Premier matin au paradis, ou l’éveil des cinq sens. Il est 6 heures du matin, le soleil éclaire Moorea, l’île voisine, les pirogues s’entraînent déjà dans le lagon. Il semblerait que la température soit réglée sur « idéale », une sorte de chaude fraîcheur matinale. A cette première carte postale, il faut ajouter le son, celui des chants d’oiseaux tropicaux. Le merle des Moluques et les si typiques bulbuls s’accordent à remplir l’espace sonore du matin et du soir entre la montagne verdoyante et l’océan. Une légère brise transporte maintenant les odeurs des fleurs de l’aute (prononcer aouté) et du tiaré. Mélangée à l’iode, cette composition chimiquement naturelle fabrique un parfum divin, un marqueur émotionnel. Notre palais sera également excité par le jus de pamplemousse, l’ananas frais, la papaye ou encore les oranges de Tahiti. Enfin, il suffit de se glisser dans l’eau cristalline du lagon pour sentir que la nature est capable de la plus tendre des caresses. Cet éveil des sens semble me mettre en contact avec le Mana, lié, dans la culture tahitienne, à la puissance de la nature, l’énergie qui est dans tout ce qui nous environne. Retour à la réalité : nous avons rendez-vous au Yacht-club d’Arué (au nord de Tahiti), où les équipages se retrouvent déjà pour finir de préparer leur bateau et le convoyer de Tahiti à Raiatea, distante de 120 milles. Loïck Peyron, le parrain de cette édition, est assis là parmi le staff de l’organisation et du comité de course à l’ombre d’un « purau », devant les pontons de cette petite marina si paisible. Rien de formel dans cette réunion, il s’agit plus d’une reconnexion des acteurs sans qui cette aventure n’aurait pas lieu, tout simplement. Autour des autres tables, quelques équipages déjeunent en attendant de larguer les amarres pour une vingtaine d’heures de navigation. Tout ce petit monde vit cette course comme l’objectif voile de l’année, et l’excitation est palpable. Nous sommes comme des enfants la veille des grandes vacances ! Le surlendemain, les choses sérieuses commencent autour de l’île de Raiatea. Soucieux de faire de la pédagogie plutôt que de la répression, le président du comité de course prend le temps de réexpliquer les règles de base de l’épreuve. Puis les fait mettre en pratique au cours d’une régate d’entraînement qui compte pour du beurre. Pour l’occasion, j’ai confirmé mon engagement sur une belle petite luge, le Speed Feet 18 Neva Neva de Gwenaëlle Janicaud. Son troisième équipier habituel, Jean-Louis, n’arrivant que le lendemain. Je comprends très vite que cet équipage n’est pas venu pour faire de la figuration... D’ailleurs, Neva Neva finira en tête de sa catégorie Racing Division 1. Il y a là quatre Speed Feet portant chacun le nom marquisien d’une pièce d’échiquier, Neva Neva de Gwen étant le fou, Horo Horo de Gaël
le cavalier, Hoe Hoe de Jean-Pierre dit « Combes » le roi, et Tei Tei, la tour. Ce dernier est barré pour l’occasion par Bertrand, le chef de base de Tahiti Yacht Charter. En 2003, Marc Lombard n’avait vraisemblablement pas dessiné ce sportboat de 5,50 m pour un tel exercice. La TPR ne se court pas simplement dans un lagon. Faire une étape de 40 milles sur un tel engin avec une houle du Pacifique généreuse et le mara’amu (vent de sud-est, habituellement assez fort), pour peu qu’il faille faire du près... est une épreuve réellement sportive.
DU SPEED FEET 18 AU CLASS 40
Mais ni la logistique nécessaire au transit de ces bateaux depuis Tahiti, ni l’exercice physique enduré pendant la course n’empêcherait cette bande de copains d’y participer ! Nous vivons cette première étape dans un vent léger après un départ au portant plutôt bien négocié. Nous nous retrouvons à batailler contre Goliath, bien nommé en l’occurrence… Ce Class 40, vainqueur l’an passé sous le nom de Lipton, en impose avec sa vitesse, mais nous sommes plus agiles sur ce parcours inshore qui nous fait contourner une zone de hauts-fonds entre Raiatea et Tahaa et impose pas mal de manoeuvres. Dans ces conditions, le Class 40 ne pourra pas sauver sa supériorité de taille en temps compensé… Pour cette deuxième journée, je suis bien décidé à embarquer sur un multicoque. Je commence sur Makatea de Gaël Duclaux, un Edel Cat 33 de 1985 qui participe à la TPR pour la treizième fois. Même si l’ambiance du bord est décontractée, il n’est pas question de se la jouer croisière. Ce catamaran étonne même par sa vitesse qui ne se traduit malheureusement pas en sensations, mais la motivation est bien là. Sur la deuxième manche, qui nous fera prendre une passe au sud de Raiatea pour un parcours en dehors du lagon et revenir par une autre passe, je monte à bord de l’Outremer 45 Pearl Romance de Pierre Cosso, sept fois vainqueur. Vous l’avez peut-être oublié, mais Pierre était l’amoureux de Sophie Marceau dans le film La Boum 2. C’est toujours l’âme de l’enfant qui barre ce bateau et Pierre me le confie : « Ce bateau est le prolongement de mes rêves, je me suis vraiment senti bien à partir du moment où j’ai mis mon sac à bord ». Cet acteur aurait pu embrasser une vie sous les projecteurs mais il s’est plutôt servi des projecteurs pour illuminer sa vie. Il tourne dans quelques séries notamment italiennes, pour les besoins de la caisse de bord. Heureux papa de deux enfants, Lino et Noa, il partage sa passion de la Polynésie avec ses potes tour-du-mondistes. Le temps de franchir la passe matérialisé par deux motus (petits îlots), nous passons de l’eau plate et turquoise du lagon aux longues ondes de l’océan. Sous gennaker au largue serré,
nous vivons ce plaisir d’être lâchés en liberté, de gérer nos trajectoires sans contraintes. A ce petit jeu, Pierre et son équipage savent faire parler la poudre. Son plus grand rival, l’Ekolokat de Nicolas Gruet, est pour l’instant sous contrôle, la passe approche et nous apercevons dans le lagon le poti marara (petite embarcation polynésienne pour la pêche) et le catamaran de Tahiti Yacht Charter signalant l’arrivée de cette étape magique. Nous entrons dans la passe dans un vacarme des vagues déferlant sur le reef et là encore, le contraste est saisissant puisqu’en quelques minutes, nous repassons dans une quiétude et mouillons dans deux mètres d’eau et un fond sableux au blanc éclatant, une sorte de piscine naturelle. Il nous faudra encore moins de temps pour sauter à l’eau et passer du mode course au mode apesanteur dans le grand bleu. Le mouillage se remplit au gré des arrivées, et c’est une nouvelle vie qui commence sur et dans l’eau.
LES FETARDS ET LES AUTRES
Il y a les adeptes du bricolage ou du réglage, amoureux de leur machine ou mauvais perdants... Il y a les fêtards, qui arrivent à rameuter plus de convives que leur bateau ne peut en accueillir (catégorie certainement majoritaire). Il y a enfin les sportifs de fond ou les festoyeurs occasionnels qui s’économisent en faisant la sieste, probablement minoritaires, mais comme on ne les entend pas... Cet après-midi « off» est encore une très bonne idée des organisateurs pour laisser le temps à chacun d’apprécier le cadre incroyable dans lequel nous baignons. Les Diam 24 et la pirogue traditionnelle Holopuni d’Alex Pelou de Viper Va’a (fabricant de rames pour pirogues) en profitent pour proposer des baptêmes de multicoque. Un parallèle intéressant entre un multi nouvelle génération et un va’a né de la tradition polynésienne fabriqué à partir de fibres modernes. La propulsion hybride voile et rames rend ce support particulièrement technique et sportif. Une légende vivante de ce sport, Jean-Luc Eychenne, qui a remporté le Super Aito (équivalent de l’Ironman de la rame) est à bord de ce trimaran dont trois exemplaires traditionnels ont été intégrés à l’épreuve cette année. Puis la nuit tombe et les feux de mouillage s’allument tandis qu’on entend au loin le son des percussions, invitant tous les marins à regagner le rivage pour s’y restaurer et s’abreuver. Pour descendre à terre, un seul moyen : capter l’attention de la navette locale. A l’aide de projecteurs super puissants ou de lampes frontales, à chacun sa technique suivant ses connaissances en morse.... Lorsqu’arrive le taxi boat, c’est une ambiance de chants, boutades et reconnexion des équipages comme si nous nous retrouvions après une longue absence. Les déguisements en disent également long sur les semaines de préparation qui précèdent la TPR. Arrivés à terre, l’accueil, la musique, le banquet de nourritures traditionnelles, tout est fait pour une soirée réussie. De Raitaea à Bora Bora, une grosse journée attend les concurrents. Le temps est plutôt chargé, mais le vent toujours assez léger. Pour cette première manche, je m’invite à bord du Dehler 44 SQ Quille de Joie d’Eric Panissard. Cette unité de grande croisière rapide a été baptisée ainsi par son propriétaire à cause d’une mésaventure au cours de laquelle il a perdu la quille de son précédent voilier lors de la traversée de l’Atlantique. La deuxième manche, à destination de Bora Bora, sera marquée par un temps très couvert et un vent à la fois timide et instable. Le comité de course décidera à contrecoeur de poser une arrivée à mi-parcours afin de permettre à tous de rejoindre Bora Bora de jour. Cette fois, je suis sur Azuline, un catamaran bien singulier engagé dans la catégorie libre Cruising. Ce multi a été dessiné par Jean-Yves Lepage. Les coques et le mât aile ont été fabriqués en contreplaqué-époxy sur une plage de Saint-Martin ! Jean-Yves l’a pensé pour des traversées rapides, et ses voyages en famille l’ont conduit jusqu’en Patagonie où il a d’ailleurs hiverné pour laisser passer les glaces. A l’annonce du premier virement de bord, avec un équipage pourtant dynamique et coordonné, Laurent, le barreur, lance désespérément : « Work in progress ! »
Azuline ne vire pas facilement. En revanche une fois au large, légèrement débridé, c’est une autre histoire, le bateau atteint des vitesses de croisière de 15 à 20 noeuds ! Positionnés plus à l’ouest avec cette brise qui nous sourit enfin, nous rattrapons sans peine l’intégralité de la flotte mais sans VHF opérationnelle, nous passons également bien au large de l’arrivée sous réduction de parcours. A bord, même après avoir compris notre erreur, nous profitons pleinement de ce plaisir collectif d’avoir fait chanter les coques
Conditions grandioses pour le départ de Bora Bora dont la flotte longe le récif.
de ce bateau. Le retour vers Tahaa se joue sous le soleil et un vent généreux avec des records de vitesse au reaching pour les multicoques. C’est une première place en réel sur le fil pour l’A 40 L’Agathe de Pascal Beaudet. Histoire de terminer en beauté, je m’invite pour la première manche du dernier jour sur l’A 35 Arearea de Jean-Pierre Basse, qui est toté (comprenez médecin) à Tahiti depuis vingt-cinq ans. Jean-Pierre a laissé la barre de son bébé (l’ancien Prime Time de Marc Alperovich) à Guillaume Jestin, son maître voilier (Tahiti Sails) pour se concentrer sur la tactique.
UN PLAN D’EAU ULTRA TACTIQUE
L’équipage connaît bien la musique et cette partie du lagon entre Raiatea et Tahaa. Il s’y crée souvent un effet venturi lié à cet étranglement entre les massifs montagneux des deux îles, mais il y a aussi des petites baies qui jouent les trouble-flux en modifiant les angles et l’intensité. Nous passons la bouée au vent en tête, mais sous la pression d’adversaires redoutables comme l’A 40
L’Agathe. Les manoeuvres s’enchaînent sans incident et le contrôle de la concurrence permet une arrivée victorieuse au terme du deuxième tour sur ce parcours banane. L’équipage est heureux de ce résultat mais reste impatient d’en découdre sur le dernier parcours. Ce sera sans moi, car j’ai réservé ma place sur le Loup, un Futura 51 sur plan Auzepy–Brenner. Ses lignes d’ULDB (Ultra Light Displacement Boat) en font un bateau aussi sexy qu’efficace. L’équipage 100% féminin qui est à son bord reste cohérent avec ce concept. Boostées dès la première manche par la venue de Loïck Peyron, elles vont nous faire la démonstration que bien que partant de zéro il y a six mois, elles ont atteint un super niveau. Elles savent se parler, s’écouter, se coordonner et agir avec efficacité. Moins de muscle, plus de matière grise, notamment pour la numéro 1 qui manie un gennaker sur emmagasineur deux foix plus gros que ses bras. Violetta, à la grand-voile, est aussi la présidente de la TPR. Elle est à l’origine de ce projet. Anaïs est la barreuse et tacticienne, Orama, passionnée de surf, est à l’embraque, Magalie au piano, Julie et Anne-Sophie respectivement n°1 et 2. Elles sont entraînées depuis le début de leur aventure par Josselin, le propriétaire de ce joli voilier. Elles portent en outre les couleurs de l’association « Vahine Orama No Raromataï » contre les violences faites aux femmes… Ce tour de Tahaa est toujours compliqué. L’île étant ronde et montagneuse, il faut savoir en déjouer les pièges. Le vent accélère dans une vallée pour s’éteindre aussi vite qu’il est monté. Faut-il serrer la côte ou s’en éloigner ? A quel moment envoyer le spi ? Placé en observateur, je m’enivre une dernière fois de ces instants de régate dans ces paysages de tous les superlatifs. En voyant l’arrivée, je prends conscience du privilège d’avoir vécu de telles émotions. Au sifflement du comité, c’est un hurlement de joie qui retentit, comme pour exorciser la nostalgie qui s’invite déjà.