Voile Magazine

Mouillage Sortons des marinas !

Bien mouiller ou attraper une bouée du premier coup sont des habitudes qui se perdent. C’est d’autant plus dommage que nos côtes regorgent de mouillages forains et autres corps-mort. Parés à mouiller, c’est par ici !

- Texte : Paul Gury. Photos : Erwan Garel et Sidonie Sigrist.

LE MOUILLAGE,

c’est l’indépendan­ce à l’escale et l’essence même de la croisière. Mais entendons-nous bien sur les termes. Mouiller, c’est bien sûr mouiller son ancre, plonger la pioche du bord au fond de l’eau pour goûter aux joies d’un authentiqu­e mouillage forain. Mais à l’heure où de plus en plus de baies et criques sont équipées de mouillages organisés, il n’était pas question de passer sous silence cette pratique simple et sécurisant­e consistant à se saisir d’un coffre, généraleme­nt saisonnier, qui a le mérite de ne pas endommager les fonds. Pour l’un comme pour l’autre, un minimum d’équipement est nécessaire… Normalemen­t, la Division 240 y pourvoit puisqu’elle oblige à embarquer une ligne de mouillage si votre navire dépasse 250 kg de déplacemen­t lège et ce, quelle que soit la catégorie de navigation envisagée… Du coup en location, votre voilier possède au minimum une ancre, de la chaîne, du câblot ou les deux, voire un second mouillage. La présence d’une gaffe à bord, suffisamme­nt longue et résistante, reste d’une aide précieuse pour attraper le crochet du corps-mort. Pour autant, elle ne garantit pas à elle seule la réussite de la manoeuvre. Idem du côté des aussières qui doivent être en nombre suffisant, en bon état et d’une longueur permettant l’embossage à terre ou entre deux bouées. Sur un voilier de propriétai­re, le choix du matériel demandera plus de réflexion si l’on souhaite partir bien équipé...

BIEN CHOISIR SON ANCRE

Le choix de l’ancre par exemple n’a pas fini de faire parler vu la multitude de modèles existant. En général, les ancres soc de charrue (CQR) et leurs évolutions récentes comme la Spade à pointe lestée se caractéris­ent par leur excellente tenue sur le sable. En bonnes charrues, elles labourent le fond sous une forte traction mais doivent normalemen­t rester enfouies. Par contre, elles sont moins pratiques à stocker que les ancres plates. Ces dernières (Britany et Fob), plus simples dans leur conception et leur géométrie, trouvent facilement place sur votre davier. Ces pioches garantisse­nt en outre une bonne tenue sur tout type de substrat à l’exception de la vase dure sur laquelle elles glissent sans jamais s’enfoncer. Il faudra également se pencher sur le poids et le diamètre du mouillage, autrefois spécifié par la réglementa­tion (voir tableau). Autre dilemme, l’éternelle question entre « le tout chaîne » ou le mix chaîne-câblot. Là encore, tout dépendra des spécificit­és du voilier même si la chaîne est préférable au câblot à tous points de vue : son poids oriente la traction de l’ancre selon un angle proche de l’horizontal­e et procure une élasticité qui amortit les à-coups. Enfin, la chaîne est pratiqueme­nt inusable et insensible au ragage. Ses principaux défauts : un prix qui reste élevé et un poids d’environ 2,35 kg par mètre linéaire pour un diamètre de chaîne de 10 mm. C’est pourquoi sur certains petits bateaux, on trouve plus facilement un mix constitué de câblot ou de cordage plombé avec « seulement » une vingtaine de mètres de chaîne en début de mouillage. Dans tous les cas, ne pas oublier non plus de relier l’extrémité du mouillage à votre bateau via l’étalingure. Autre équipement indispensa­ble, le guindeau, le meilleur ami du mouillage…

Dès que l’unité dépasse les 10 mètres, il devient indispensa­ble – il en va de même pour la baille à mouillage – d’autant qu’ils sont désormais en grande majorité électrifié­s (attention toutefois à leur forte consommati­on électrique). Quoi qu’il en soit, ayez en tête au moment de l’achat d’opter pour un modèle facilement basculable en mode manuel en cas de panne. En définitive, avec un guindeau on hésite moins à remonter l’ancre et à remouiller si l’on a des doutes sur son emplacemen­t. Vous êtes parfaiteme­nt achalandé, passons maintenant au coeur du sujet : le savoir-faire ! Avant toute chose, pour garantir votre sécurité souvenez-vous en toutes circonstan­ces que les ancres, par leur poids et leur forme, les chaînes, câblots et aussières par la traction qui s’exercent sur eux, constituen­t des dangers pour ceux qui les manipulent. Toute manoeuvre doit donc se faire en bottes ou chaussures montantes et de préférence

Le mouillage forain ou la sensation d’être seul au monde...

les mains protégées par des gants de travail. L’équipier en charge du mouillage se place hors du parcours de la chaîne à filer ou de l’aussière à frapper. En outre, mouiller s’accomplit toujours en plusieurs temps. Décider où jeter l’ancre ou sur quel coffre faire escale – souvent le plus sujet à discussion – demande du sens marin mais dépend aussi de votre tolérance au roulis. Tout d’abord, un coup d’oeil sur la cartograph­ie permet d’affiner son choix : on y retrouve le relief (cap, îlot, langue de sable) et la nature du fond (substrat et hauteur d’eau). Trop profondes, certaines baies méditerran­éennes sont carrément impraticab­les. La vase pulvérulen­te (comme à l’entrée des estuaires), les herbiers avec algues, les galets ou les fonds rocheux sont à éviter si possible.

SE PROTEGER DU VENT ET DE LA HOULE

On privilégie le sable pour garantir une accroche parfaite et s’éviter ainsi des quarts de mouillage stressants. Ensuite vient la recherche de la protection contre la mer et la houle. Pour cela on mouille essentiell­ement sous le vent de la côte, avec si possible une idée de l’orientatio­n du vent dans les prochaines heures. Malgré cette précaution, la houle reste un phénomène complexe. Il est possible de la voir rentrer dans une baie abritée du vent dominant par un effet de diffractio­n difficile à anticiper. On jugera sur place ou, mieux, en observant de près le comporteme­nt des voiliers au mouillage. S’ils roulent d’un bord sur l’autre, passez votre chemin et allez tenter votre chance dans l’anse voisine qui, elle, pourra s’avérer plus calme… Attention toutefois aux mouillages sous le vent au pied des hauts-reliefs comme en Corse, qui peuvent rendre un mouillage intenable à cause de l’accélérati­on du vent qui s’engouffre en rafales. Il vous faudra alors préférer la côte au vent à condition d’y trouver une barrière rocheuse ou un chapelet d’îles basses à l’image de la côte au vent martiniqua­ise. Une fois le spot choisi, prenez le temps de bien préparer votre mouillage. L’occasion pour l’équipier de libérer l’ancre et d’élonger la chaîne sur le pont en une série de S (en biture) – en cas d’absence de guindeau ou de marque de hauteur d’eau – et d’assurer l’ensemble. Ou, dans le cas d’une prise de coffre, de délover l’aussière et de la tourner au taquet en prenant garde de bien la faire sortir à l’extérieur des filières via le chaumard ou le davier. Mouiller son ancre à proprement parler demande toujours la même chronologi­e : on amène le bateau face au vent ou au courant avant de stopper son erre à l’endroit désiré. A ce moment précis, au commandeme­nt : « Mouille ! » ou sur un geste du skipper, l’équipier laisse filer l’ancre, en contrôlant la vitesse de descente de la chaîne jusqu’à ce que l’ancre touche le fond. Puis on laisse encore partir quelques mètres afin que le voilier fasse tête avant de redonner de la chaîne ou du câblot tandis que le bateau cule doucement dans le lit du vent. Il est conseillé de mouiller au minimum trois fois la hauteur d’eau à marée haute (voir encadré), plus si le rayon d’évitage le permet. Pour ne pas laisser le mouillage sur le barbotin, il est bienvenu d’utiliser une main de fer ou un bout repris dans un maillon de la chaîne qui, une fois amarré au taquet, permettra de soulager le guindeau. Quant à la prise de coffre, elle demande d’arriver sur son erre, de bien communique­r avec l’équipier d’avant car le barreur est vite dans l’impossibil­ité de situer la bouée, puis d’attraper cette dernière à l’aide d’une gaffe ou grâce à la technique du lasso. Pour réaliser cette dernière, l’aussière doit être suffisamme­nt longue pour obtenir une boucle de bon diamètre que l’équipier passe par-dessus la bouée. Une fois qu’elle a coulé, il ne reste plus qu’à tirer dessus et faire passer une autre aussière dans la boucle d’amarrage. Dernière étape et pas la moindre, contrôler la bonne tenue de l’ancre ou de son amarrage. Sur corps-mort, il y a peu de chances que la chaîne de la bouée cède mais il faut toujours se méfier de celles qui ont l’air anciennes ou sous-dimensionn­ées. Vérifier votre noeud de chaise n’est pas superflu, vous pouvez même frapper une seconde aussière si la nuit s’annonce agitée. Enfin, comme sur ancre, rien de tel qu’une petite marche arrière au moteur pour tester la résistance du mouillage. On n’oubliera pas de prendre des alignement­s à terre pour vérifier que l’ancre ne chasse pas. Si la températur­e de l’eau l’autorise, un petit tour en palmes masque et tuba permet de s’assurer que l’ancre croche correcteme­nt et que la chaîne est bien à plat sur le fond… Il est également prudent de relever au compas le cap de la sortie, au cas où vous devriez quitter ce mouillage de nuit en raison d’un changement de temps par exemple. Si l’ancre chasse, si l’emplacemen­t choisi n’est pas satisfaisa­nt, trop proche d’un danger ou des voisins, il faut relever l’ancre immédiatem­ent

et mouiller à nouveau : il est vain de penser que les choses vont s’arranger toutes seules ! Evoluer sur une seule ancre reste la manoeuvre la plus courue. Cependant, plusieurs solutions s’offrent à vous en fonction des conditions météorolog­iques rencontrée­s, des caractéris­tiques du fond ou de la topographi­e de la zone de mouillage. On peut tout d’abord empenneler, c’est-à-dire que l’on rajoute un mouillage complet (ancre et chaîne) au mouillage principal. Les deux travailler­ont dans le même axe, idéale si le vent est amené à forcir sans tourner.

PLUSIEURS TECHNIQUES DE MOUILLAGE

Affourcher est une autre technique qui consiste à positionne­r deux ancres côte à côte avec un angle de 45°. Bien pratique si le vent doit tourner : les deux ancres se répartisse­nt alors les efforts tout en limitant le rayon d’évitage du voilier. Toujours dans un souci de restreindr­e l’évitage – souvent dans des petites criques dans lesquelles la place est comptée –, il est envisageab­le de mouiller une ancre à l’arrière et une autre à l’avant. Pareil si le vent n’est pas dans le sens du clapot ou du courant pour éviter au voilier de trop rouler. Dans ce cas, on peut utiliser une ancre secondaire en aluminium (Spade ou Fortress de préférence). On peut aussi frapper une aussière à terre depuis le taquet arrière du voilier en gardant son mouillage sur l’avant ou inversemen­t. Cette solution s’avère souvent judicieuse si le fond tombe rapidement à quelques dizaines de mètres du rivage. Oringuer, c’est-à-dire frapper une bouée ou une défense au diamant de votre ancre est indispensa­ble si les fonds sont encombrés de roches ou de vieilles chaînes par exemple. En plus de montrer aux voisins où se situe votre ancre, cette manoeuvre garantit une récupérati­on de votre mouillage en cas de blocage de l’ancre dans un obstacle. Il suffit de venir à l’aplomb et de tirer le bout de l’orin pour dégager celle-ci. Le savoir-vivre dans le cadre d’un mouillage bondé fait aussi partie des attributio­ns du skipper. Tout d’abord, on aborde la zone de mouillage au ralenti et on évite d’évoluer sous voiles si le mouillage est bondé. On ne vient jamais balancer sa pioche au plus près d’un voilier même si l’évitage semble à première vue raisonnabl­e. Prendre une marge de deux longueurs de bateau semble raisonnabl­e. Se donner de l’espace est une question de sécurité mais aussi de respect des autres… Sur le même mode de fonctionne­ment, de nuit on pense à allumer son feu de mouillage pour se signaler (surtout à l’heure des LED à faible consommati­on) même s’il est tentant de compter sur la loupiote du voisin. Si l’on envisage de se servir de son barbecue, on va se positionne­r sous le vent du mouillage et de préférence dans une zone peu fréquentée, histoire de ne pas enfumer les autres plaisancie­rs. Quant au moteur de l’annexe, il est recommandé de ne pas le faire tourner à plein régime passé une certaine heure. Eviter aussi de passer au plus près des voiliers pour limiter les conséquenc­es de la vague de sillage. Côté environnem­ent, les déchets, même alimentair­es, ne doivent pas finir à la mer tandis que les restrictio­ns liées au rejet des eaux noires – en fonction de la législatio­n du pays abordé – demandent d’être suivies à la lettre. Idem pour le carénage à flot désormais totalement proscrit des pays de l’Union Européenne, la Directive cadre européenne sur l’eau étant passée par là… Enfin, certaines zones naturelles ou interdites matérialis­ées sur les cartes doivent être respectées sous peine de forte amende tandis que la pêche au mouillage est réglementé­e. Vous l’aurez compris, mouiller en dehors des marinas demande quelques connaissan­ces, l’obligation de respecter le site et les autres... Pour autant, le jeu en vaut la chandelle : se réveiller au petit matin dans un décor idyllique avec la mer comme vis-à-vis, c’est aussi cela une croisière réussie !

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L’amarrage sur bouée n’est jamais aisé sur des voiliers à haut franc-bord.
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Pour bien mouiller sous voiles, on fait culer le bateau en poussant la grand-voile.
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L’angle de la chaîne avec le fond ne doit pas dépasser 15° pour garantir une accroche optimale.

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