Kornati La Croatie par la face nord
La Croatie n’est pas championne du monde mais elle peut s’enorgueillir d’offrir sur la côte nord adriatique une infinité d’îles toutes proches et si différentes. Point d’orgue : les Kornati dont le paysage minéral se révèle une vraie pépite.
EN UN AN, RIEN
ne semble avoir changé, même si un oeil averti ne manquerait pas de noter que la marina d’Agana s’est dotée de nouveaux quais et de passerelles flambant neuves. Même Becky, notre cata, un Moorings 4000 construit en Afrique du Sud par Robertson & Caine, fidèle compagnon de notre croisière croate de l’an passé, paraît toujours à la même place, pendilles devant, passerelle derrière. Retrouvailles, il n’y a pas d’autre mot pour qualifier notre arrivée dans ce port à 36 km de Split, 11 de Trogir, là où Moorings et Sunsail proposent à la location près de 110 unités, monos et catas. Embouteillages à l’aéroport de Split devenu trop petit pour absorber le flot de touristes, trajet de 30 minutes en voiture jusqu’à la marina, formalités administratives au bureau de chez Moorings, le cérémonial déjà vécu il y a un an se répète comme une partition d’orchestre jouée sans fausse note par les mêmes interprètes. A sa direction Emmanuel Allot, directeur commercial France et Europe de Moorings et Sunsail accompagné par Daniéla, Croate pur jus, dont la pratique de la langue et la connaissance du pays permettent de gagner du temps pour profiter pleinement de cette semaine de croisière. A bord, pour un départ programmé le lendemain matin, on est rentrés dans notre cata comme dans des chaussons. Sans se concerter, chacun a occupé la même cabine, rangé ses affaires à la même place, dans les deux tiroirs situés sous le lit double et la penderie de l’entrée. Puis, on s’est retrouvés dans le carré avant d’extirper de la table à cartes située sur l’avant notre bible, la toute dernière édition en anglais du guide Eastern Adriatic (Magnamare). 254 pages comportant tous les plans de mouillage accompagnés de commentaires clairs et précis. Le programme lui, s’affiche comme la suite logique de notre croisière passée. Souvenezvous de l’article publié dans le numéro 2 du Monde du Multicoque. Il se focalisait sur les îles du Sud : Brac, Hvar, Korcula, Glavat, Lastovo, Vis. Toutes si proches mais si différentes, prétexte à conjuguer nature et histoire, avec au final un vrai coup de coeur pour ce pays marqué par la guerre, désormais tourné vers le tourisme, la première des activités.
UNE INFINIE VARIETE DE MOUILLAGES SAUVAGES
Là, à la mi-juin, cap au nord pour concrétiser un vieux rêve : découvrir l’archipel des Kornati magnifié par les images aériennes des brochures touristiques. Toutes les représentent comme une mosaïque de boutons circulaires ou pas, composés de terres arides, pelées, torturées, quasiment désertes. Combien d’îles ? Près d’une centaine selon les guides officiels, éparpillées sur 320 km2. Certaines sont microscopiques, moins de 1 km2. D’autres plus imposantes, à l’image de Kornat, la plus longue de toutes avec ses 25 km sur 3 de large. On l’imagine, l’archipel le plus sauvage de la Croatie offre au plaisancier une infinie variété de mouillages souvent déserts qu’il lui suffit de découvrir selon son inspiration. Ce que nous avons fait, si ce n’est que cet archipel ne constitue qu’une parenthèse lors d’une croisière de six jours, départ le dimanche pour un retour programmé à la base le vendredi soir. En pratique, il serait dommage d’accéder aux Kornati sans profiter au
Paysage typique des Kornati où le sol couvert d’une végétation rase nourrit quelques moutons.
préalable des charmes de la côte nord et de son cortège de villes historiques, Zadar, Sibenik, ou de ses petits ports comme Prvic Luca, situé au sud de l’île de Prvic. Pour tout vous dire, il se révélera notre premier coup de coeur, mettant un point final à cette première journée de navigation appelée à se répéter au fil de la semaine selon un rythme quasi immuable : lever aux aurores, mouillage à l’heure du déjeuner, soirée dans un port au mouillage ou sur coffre, exceptionnellement dans une marina, celle de Zadar. Evidemment, pour reprendre nos marques nous avons commencé petit, en parcourant au moteur, faute de vent, les 20 milles qui séparent Agana du village de Primosten, un petit port de la côte dalmate.
IL REGNE UN PARFUM DE BIEN-ETRE
Au XVe siècle, c’était une île reliée par un pont au continent. C’est aujourd’hui une presqu’île à découvrir en s’offrant à pied la route côtière dominée par la présence du village et de son église accolée au cimetière. Gentillet mais, au bout du compte, rien de comparable avec les charmes du petit port de Prvic Luca distant de 10 milles où nous avons pris un coffre moyennant 378 kunas (51 euros). D’emblée, une fois laissée sur tribord son unique jetée, refuge des plaisanciers ayant opté pour la pendille et la promiscuité, on apprécie. Rien d’ostentatoire, pas de voitures, pas de grands monuments dignes de figurer dans les guides. Mais avec sa baie bordée d’un côté par la forêt, de l’autre par le village d’une centaine d’habitants, il plane ici un parfum de bien-être à profiter, au bord de l’eau, depuis la terrasse du Stara Makita, un verre de plavac, le vin croate, sur la table. L’histoire ne dit pas si cette douceur de vivre favorisa les recherches scientifiques du savant Faust Vrancic, l’inventeur du parachute, le Léonard de Vinci croate sacralisé par un musée situé sur le port de Prvic Luca. En revanche, on vous le confirme, c’est bien sur l’île en face de Prvic, Zlarin, que grandit Anthony Maglica, inventeur de la célèbre Maglite. Le soir, le port nous gratifia d’un coucher de soleil en technicolor. Le lendemain matin, l’accostage du ferry à la jetée, en route vers Sibenic, nous offrit un réveil tout musical. Il n’y avait rien à dire. Seulement profiter une dernière fois du village avant de poursuivre cap au nord. Au final, la grande ville de Zadar dont les guides ne manquent pas de vanter le patrimoine tant archéologique qu’historique. Sur la route, on s’est offert un court passage par le second village de l’île, Sepurine, puis par Tribunj, sur la côte. Sur les coups de midi, nous avons mouillé, seuls, dans la petite baie de Triluke, « la baie des arbres ». Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, nous avons pratiquement couvert les 30 milles jusqu’à Zadar à la voile. La brise était au rendez-vous, nous gratifiant, au près ou au débridé, sous grand-voile à un ris et génois parfois roulé sous les grains, d’une vitesse comprise entre 7 et 8 noeuds. Zadar ! On pourrait écrire des pages et des pages sur le patrimoine historique de cette ville. Vanter l’architecture de l’église Saint-Donat dont la nef, flanquée de trois absides circulaires, bordée de sarcophages antiques, justifie sa réputation dans toute la Croatie. On pourrait rappeler que la ville a été colonisée par une succession de puissances étrangères, depuis les Illyriens, les Grecs, les Romains, avant d’être dominée par Venise, l’Autriche puis, durant une courte période, par l’Italie. On pourrait encore préciser que les orgues marines tout comme le « salut au soleil », un jeu de lumières au rythme des vagues imaginé par l’architecte croate Nikola Basic, attirent chaque soir un flot de touristes qui se pressent sur le bord de mer pour assister au coucher de soleil, plus beau que ceux de Californie à en croire Alfred Hitchcok. N’empêche que Zadar est une grande ville – 70 000 habitants – et que ses vestiges historiques se perdent dans un dédale de ruelles envahies par les touristes. En résumé on a apprécié modérément, même si cette escale n’avait rien d’anodin. Sa marina constitue une bonne base de départ vers les parcs de Telascica et des Kornati, ce qui
Coucher de soleil sur le port Prvic Luca à l’heure où nos deux équipières préparent la sortie en paddle.
n’empêche pas, pour les mêmes raisons, d’opter pour la ville de Sibenik, plus au sud. Et puis c’est à Zadar que nous avions pris rendez-vous avec le Français Sébastien Dao, installé en Croatie depuis 2003, dans la petite ville de la côte Pakostane (voir encadré). Breton d’origine, le plus croate des Français, connaît les Kornati sur le bout des doigts pour les pratiquer au quotidien, dans le cadre de sa société Galeb Aventures. C’est lui qui nous conseilla une halte au restaurant d’Edi (voir encadré), l’Andrija à Levrnaka, qu’il fréquente depuis des années. C’est toujours Sébastien qui nous incita à faire un petit détour pour saluer le phare en acier de Sestrica, toujours gardé par les frères Josso. Et c’est encore lui qui nous recommanda d’emprunter les deux passages étroits, l’un par le nord, l’autre par le sud, situés au sud de la grande île de Dugi Otok. « Vous verrez, nous a-t-il dit avant de nous quitter, on peut se perdre dans les Kornat ».
UN PONT LIMITE LE TIRANT D’AIR
Se perdre peut-être pas, mais profiter d’une nature sauvage au relief incroyable, sans aucun doute. Ultime plein d’eau à la marina, récupération des papiers du bateau avant de payer la place de port (144 euros, les catas paient le double) puis dernier salut à Zadar depuis la mer en longeant la tour de sa forteresse frappée du lion de la Sérénissime. Désormais, ce sont des centaines d’îles qui s’offrent à nos étraves à franchir par le nord de l’île Ugljan orientée nord-ouest-sud-est, à l’image de ses consoeurs. Il existe bien un passage pour éviter ce détour, situé entre les îles de Zdrelac et Pasman, mais la présence d’un pont construit en 1972 limite le tirant d’air à 16 mètres, un peu juste pour notre cata de 12 mètres. Nous plaindre ? Vous n’y pensez pas. Cette entrée par le nord, avant de longer les 10 milles de l’île Dugi Otok, n’est pas pour déplaire. Durant trois jours, nous n’avons que l’embarras du choix. Depuis la baie mythique de Pantera au nord-ouest jusqu’à la célèbre Grande baie, située au sud de Telascica. Quelques conseils s’imposent pour profiter sans modération de cette dernière. Sachez qu’il faut d’abord s’acquitter d’une taxe – de préférence avant d’y accéder – pour utiliser les coffres de la baie ou y mouiller (voir encadré). La baie de Telascica fait partie d’un parc naturel au même titre que les Kornati. Ensuite, mieux vaut aborder la baie avant neuf heures du matin. A la fraîche et surtout avant l’arrivée des bateaux de touristes partis de Zadar ou de Sibenic. Cela dit, cette immense baie de 4 milles de long perdue dans la forêt, équipée d’une cinquantaine de coffres, se révèle le point de départ idéal pour monter à pied jusqu’au lac Mir, bercé par le chant assourdissant des criquets. Une curiosité ce lac situé au-dessus du niveau de la mer. Long
Vu depuis les hauteurs, le fond de la baie de Telacica classée parc national.
de près d’un kilomètre, il est constitué d’eau salée, deux fois plus que la mer, dont le niveau monte et descend au gré des marées mais pas en même temps. Autre curiosité largement vantée dans les guides, les falaises de la côte sud-ouest de Dugi Otok, réputées dans toute l’Adriatique. Immensément longues, 10 km, elles plongent à pic dans la mer. Nous avons d’abord profité de notre débarquement dans la baie de Telascica pour les observer depuis la terre avant de pratiquement les toucher depuis les étraves de Becky grâce à la maîtrise de notre skipper préféré, Emmanuel Allot. Je vous l’avoue, la manoeuvre était osée.
DES COLLINES TRAVERSEES DE MURS DE PIERRES
En revanche, naviguer dans les Kornati se révèle plutôt facile pour profiter d’un paysage à dominante minérale, pratiquement désert. On pourrait le comparer à une longue suite de collines traversées d’un mur de pierre construit par les bergers suivant la pente pour descendre jusqu’à la mer. Certaines évoquent, avec un peu d’imagination l’Irlande, en moins vert. D’autres affichent un profil proche d’une pyramide, révélant à leur base des bouquets d’arbres apportant quelques touches vertes dans cette zone karstique. Je concède que le terme est bien savant. Il rappelle que ce relief si particulier à la Croatie est dû à la dissolution du calcaire sous l’effet de l’eau. Sur un autre registre, c’est le dramaturge et Prix Nobel Georges Bernard Shaw qui a écrit, après une visite de l’archipel : « Au dernier jour de la création, Dieu a voulu couronner son oeuvre et d’un mélange de larmes, d’étoiles et de souffle, a créé les Kornati ». L’évocation est belle mais on pourrait la compléter par ce dicton populaire qui affirme que les îles Kornati sont aussi nombreuses que les jours de l’année. Vrai ou faux, on s’est laissé porter par notre inspiration, suivant les conseils de Sébastien. Au couchant, à l’heure où les bateaux de pêche basés à Sali, sur la côte est de Dugi Otok, quittent en file l’archipel, on a salué le phare de Sestrica, désormais proposé à la location. A pratiquement toucher la côte ouest de Kornat, nous avons mouillé du côté de Sipnate, là où douze immenses croix de pierre posées sur le sol témoignent de l’acte héroïque de douze pompiers croates. On aurait pu passer la nuit plus au sud, dans la baie de Lucica, sous la protection des ruines d’une forteresse hors d’âge. Mais d’un commun accord, nous avons mis le cap toujours plus au sud, vers Kravljacica, pour le restaurant d’Edi, notre seule infidélité au cockpit de Becky. Il faut passer deux jours en prenant son temps dans les Kornati et du côté de Dugi Otok mais il serait dommage de se priver d’un passage par la ville de Sibenic, prétexte à une remontée bucolique de 8 milles jusqu’au petit port de Skradin où nous avons fait l’impasse sur la marina, préférant mouiller dans un trou de verdure. Ce soir-là, tout le village s’était habillé en rouge et blanc, aux couleurs de l’équipe de foot croate qui disputait un match contre l’Argentine. C’était bien avant qu’elle ne s’incline face à l’équipe de France en finale.