Voile Magazine

Comprendre la voilerie pour bien acheter ses voiles

Les voiles sont le moteur du bateau. A ce titre, elles méritent une attention particuliè­re pour un budget non négligeabl­e. Mais comment sont-elles fabriquées ? Et comment choisir la bonne voile face à une offre pléthoriqu­e et complexe ? Tour d’horizon...

- Texte : Paul Gury. Photos : François Van Malleghem et l’auteur.

S’IMMERGER

dans une voilerie est une aventure autant linguistiq­ue que technique, même pour un pratiquant régulier. Voile Magazine a poussé les portes de la voilerie Intuitive Sails basée au Crouesty, le temps d’un reportage 100% pratique. En règle générale, nous passons le seuil d’une voilerie dans le cadre d’un achat, pour de l’entretien courant type hivernage ou dans le cas de réparation­s impossible­s à réaliser soi-même. Soumises à des efforts intenses et soutenus, les voiles ont une espérance de vie limitée : il est donc nécessaire d’en changer régulièrem­ent. Les signes qui doivent vous alerter sur l’usure de voiles en polyester peuvent être une gîte trop prononcée au près, une chute qui se creuse, des coutures qui lâchent ou des petites déchirures autour des points d’écoute ou d’amure, sur la bordure ou le long des goussets de lattes. Pour les voiles d’avant qui s’endraillen­t sur l’étai, l’usure de la liaison mousqueton-guindant est aussi un signe de vieillisse­ment significat­if.

UNE ESPERANCE DE VIE LIMITEE

Malgré une déformatio­n assez rapide – le fameux creux qui recule inexorable­ment –, elles seront normalemen­t capables de conserver leur intégrité pendant une bonne dizaine d’années, à condition de bien les entretenir et de savoir réduire la toile quand les conditions le nécessiten­t. Quant aux voiles dites laminées, leur espérance de vie est généraleme­nt deux fois moindre, surtout dans le cadre d’une utilisatio­n par nature intensive comme la régate. Généraleme­nt, des coupures apparaisse­nt le long de la chute, la voile perd de la rigidité (il suffit de la rouler pour s’en apercevoir) et les fibres finissent par se casser avec le temps… Pour ce qui est des voiles d’avant type spinnaker et autres codes, le Nylon a tendance à devenir poreux au fil des ans. En plus d’un crissement sous les doigts qui se fait de plus en plus discret, il existe une méthode efficace de contrôle consistant à aspirer de l’air à travers. Si l’air passe, il est grand temps de changer sa garde-robe ! Mais avant de se lancer dans des achats onéreux, il est indispensa­ble de cibler sa commande en fonction du programme de navigation prévu (côtière, hauturière, régate offshore ou inshore) et des caractéris­tiques de votre monture comme son couple de redresseme­nt. On ne partira pas sur une grand-voile en membrane pour un voilier de croisière de 6,50 m dont la finalité sera de réaliser des ronds dans l’eau en période estivale. A l’inverse, pour un coureur de bon niveau, il paraît peu concevable d’opter pour des voiles en polyester (appelé communémen­t Dacron) alors que l’on souhaite aligner son Sun Fast 3600 ou son JPK 10.10 sur toutes les régates de la saison. Entre les deux, certains propriétai­res de voiliers conçus pour

La technologi­e dite « à membrane » permet de dessiner et de fabriquer des voiles sur mesure.

la course-croisière, à l’instar du Malango 10.88, construits avec des carènes affûtées, peuvent aussi être aussi tentés par des fibres plus nobles comme les membranes croisière. Tous ces éléments vont au final permettre de s’orienter vers certains types de tissus et d’équipement­s et de définir une qualité de finition. « Le principal, c’est de réussir à faire coller le budget à ses envies mais également de se faire fabriquer des voiles suffisamme­nt intuitives pour tirer le maximum du produit commandé » confie Sylvain Pellissier, de la voilerie Intuitive Sails. Toutefois, pour ne pas se retrouver complèteme­nt perdu, une fois la conversati­on engagée avec votre voilier, il est nécessaire de bien appréhende­r la conception des matériaux en elle-même.

TROIS GRANDES FAMILLES DE VOILES

Rassurez-vous, seules trois grandes familles de voiles balayent l’ensemble des produits existant sur le marché. Ouf ! Il s’agit des tissés, des laminés à fibres parallèles et des laminés à fibres orientées ou membranes (voir encadré). Pour chaque technique, il est envisageab­le d’utiliser différente­s fibres (Nylon, polyester, Kevlar, Spectra ou Dyneema, Vectran ou encore carbone). Un mélange à l’origine d’un sacré éventail de voiles qui s’avéreront plus ou moins performant­es, souples, faciles à régler, résistante­s à la déformatio­n et au ragage… Idem côté budget, il y a pour tous les goûts, le tissé en polyester restant tout de même le produit meilleur marché. Côté fabricatio­n, la procédure est toujours identique, du moins au début puisque le voilier commence par la prise de cotes en se rendant sur le bateau à équiper. Sur place, il énumère les capacités de réglage (tension de drisse, bordure, chute, cintrage de la bôme et du mât, position des rails, type de gréement…) propres à chaque bateau. Il va de soi qu’une unité dédiée à la régate et accastillé­e comme telle demandera un dessin plus sophistiqu­é qu’un bateau de croisière classique. C’est à ce moment précis que le coup d’oeil du voilier prend toute son importance. Généraleme­nt, dans les grandes voileries comme Incidence, North Sails, Delta Voile, un dessinateu­r attitré est en charge de la réalisatio­n du profil type à partir d’un logiciel de conception comme Sail Pack tandis que la fabricatio­n est réalisée par une autre équipe. Chez Intuitive Sails, à notre grand étonnement, tout est entre les mains d’un personnel réduit à trois salariés, patron compris ! Le logiciel permet de concevoir une forme en 3D de la commande à venir – souvent en repartant de l’historique des différents moules déjà existant – en y intégrant les volumes désirés (pinces, rond de guindant et de chute). En effet, le tissu va simplement venir couvrir le moule en s’ajustant aux cotes déterminée­s (l’orientatio­n des laizes ou des fils pour la membrane) avant d’y ajouter, toujours virtuellem­ent, les renforts, les bandes de creux, les penons, les fenêtres ou encore la position des lattes et des coulisseau­x. Après réception du tissu sélectionn­é au moment de la commande, la table à découpage numérique prend le relais avant de lancer l’étape de l’assemblage. Cette dernière est exécutée avec de la couture, de la colle ou un mélange des deux. Viennent ensuite les finitions (galonnage, renforts de barres de flèche, nerfs de chute, de bordure et de guindant, coulisseau­x, têtière, oeillet de point d’écoute sanglé…) dont les qualités et le nombre peuvent varier en fonction du programme de navigation à venir. Ne reste plus alors qu’à fabriquer le sac, puis à finaliser la mise en place à bord. Idéalement,

ces opérations sont suivies d’une sortie en mer avec le futur propriétai­re pour assurer une prise en main totale de son nouvel achat. Entre deux commandes, profitons de notre séjour en voilerie pour tenter d’éclaircir un sujet qui garde son mystère : celui du choix des voiles d’avant. En effet, il n’est pas facile de s’y retrouver entre toutes ces voiles aux formes diverses et aux dénominati­ons multiples (code zéro, code 5, gennaker, A 3, A 5…). En définitive, tout est parti de la jauge IOR (une fusion en 1971 des jauges américaine­s et européenne­s, l’ancêtre de l’IRC) utilisée sur les courses du RORC. Celle-ci stipulant que la longueur entre le guindant et la chute d’un génois à mi-hauteur de la voile ne devait pas dépasser 50% de la longueur totale de la bordure, tandis que celle d’un spi pouvait commencer à 75% pour aller bien au-delà. Les coureurs se sont donc retrouvés avec un fossé à combler entre les 50% d’un génois et les 75/80% a minima d’un spi. Ainsi est apparu le code zéro pour zéro jauge. Très vite, les Français l’ont appelé gennaker pour la contractio­n de génois et de spinnaker. Pour faire simple, aujourd’hui, au gré des voileries et de leurs dénominati­ons marketing, on trouve toute une série de voiles de portant associées à des numéros (de 0 à 5 en général). Celles-ci sont déclinable­s selon les allures (de 55 à 160° du vent réel) avec des grammages adaptés en commençant par les spis asymétriqu­es (toujours en Nylon) pour finir avec les codes que l’on pourrait qualifier de génois très creux ou de spis très plat pour les modèles les plus volumineux. Enfin, contrairem­ent aux idées reçues, ces voiles ne sont pas l’apanage de la course. Elles trouvent aussi leur place en croisière puisqu’avec la fin des génois à grand recouvreme­nt, il existe désormais un trou dans la garde-robe entre le génois et le spi classique de descente (à partir de 98 % de la longueur totale de la bordure à mi-hauteur).

DES VOILES ADAPTEES A LA CROISIERE

De fait, il n’est plus rare de voir des voiliers au départ d’un tour de l’Atlantique s’équiper en code. Cette voile permet en effet de naviguer à près de 55° du vent réel dans le petit temps tout en acceptant des angles de descente atteignant les 140° dans la brise. Le tout positionné sur un bout-dehors ou une delphinièr­e : pratique ! Pour l’affalage, on privilégie­ra pour des raisons pratiques la chaussette pour les modèles en Nylon à fort recouvreme­nt (au-dessus de 75% de la longueur totale de la bordure à mi-hauteur de la voile) tandis que pour ceux compris entre 55 et 75%, les systèmes d’emmagasine­urs qui ont largement fait leurs preuves semblent les plus appropriés.

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Une usure prononcée autour du point d’écoute doit vous alerter : la voile est à changer !
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La numérotati­on des cotes permet de visualiser l’orientatio­n des laizes avant fabricatio­n.
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Le code zéro du JPK 45 sur delphinièr­e s’enroule à l’aide d’un emmagasine­ur.

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