Voile Magazine

Sardaigne et Corse : le bonheur, même en août !

- Texte et photos : Michel Luizet.

On craignait les mouillages bondés, la foire d’empoigne à chaque escale… Mais à condition d’éviter les sites les plus convoités, la Corse du Sud conserve son charme magnétique et sauvage, même au coeur du mois d’août. Un constat validé au cours d’une croisière à bord d’un Lagoon 400 de Dream Yacht Charter.

SAMEDI 11 AOUT,

15 heures. C’est la fièvre des grands jours dans les locaux de Dream Yacht Charter à Propriano. Les clients attendent leur tour devant le bureau de Frédéric, le nouveau chef de base. Il a pris ses fonctions en avril après avoir bourlingué plusieurs années comme skipper aux quatre coins de la planète. « J’avais besoin de me poser », plaisante-t-il. Entre l’encaisseme­nt des garanties, le nettoyage des bateaux, les inventaire­s à réaliser et l’impatience des équipages pressés d’entamer au plus vite leur semaine de location, la poignée d’employés ne sait plus où donner de la tête. De notre côté, il n’y a pas le feu. Notre bateau est attendu comme le messie en fin d’après-midi à Propriano. Le voyage aurait pu ne pas se faire. Trois jours avant notre départ, coup de fil de Dream Yacht Charter. Le moteur tribord du Bali 4.0 quasi neuf qui nous était réservé a rendu l’âme. Plus de bateau ! Dénicher sur-le-champ un voilier de remplaceme­nt au coeur de la semaine la plus bookée de la saison tient de la gageure. Le loueur a des ressources et le miracle se produit. Un Lagoon 400 qui revient de quinze jours de balade semble disponible à Ajaccio. La croisière est sauvée. Sous un soleil de plomb, nous profitons de l’après-midi pour effectuer l’avitaillem­ent à la supérette du centre-ville, un micro Spar à l’ambiance folkloriqu­e avec ses allées tortueuses encombrées de palettes. La maison livre gratuiteme­nt vos courses au pied du bateau. On comprend pourquoi tous les équipages sur le départ viennent s’y ravitaille­r. En prévision, nous récupérons les palmes, masques et tubas mis à dispositio­n par le loueur ainsi que le paddle gonflable (100 € la semaine) qui s’avérera vite être le « jouet » favori des deux enfants du bord (8 et 13 ans) ainsi que des trois adultes ! Le catamaran et son convoyeur finissent par arriver mais doivent attendre devant la digue que la capitainer­ie leur donne le feu vert pour entrer. « C’est samedi et le port est plein comme un oeuf » admet, fataliste, le chef de base. Système D oblige, nous embarquons finalement sur le quai de la zone technique face à la station essence.

LE LAGOON 400 AFFICHE UN BAU EXCEPTIONN­EL

La déception de ne pas avoir obtenu le Bali 4.0 est vite oubliée. Nous avions pas mal fantasmé avant le départ sur ce catamaran de 12 m dans l’air du temps avec sa baie vitrée totalement escamotabl­e et une plage avant en dur aménagée comme un second cockpit, bains de soleil en sus. Le Lagoon 400 est de conception plus ancienne (il date de 2011) mais bénéficie d’un bau exceptionn­el (7,25 m pour 12 m de long). L’agencement de la nacelle centrale est efficace, tout comme celui des quatre cabines doubles. Cette version comptait deux salles de bains, chacune avec douche séparée, forcément plus adaptée à notre équipage réduit que le modèle pur charter comprenant quatre blocs WC/douche/lavabo tout-en-un. Plus appréciabl­e encore, la présence d’un dessalinis­ateur à bord capable de produire une quarantain­e de litres d’eau douce à l’heure. Nous n’aurons jamais le besoin de refaire le plein d’eau. Quel confort ! Le nord ou le sud ? C’est la question que tout skipper qui débute une semaine de location en Corse est en droit de se poser. A moins

d’effectuer un tour complet au pas de course, difficile d’éviter ce dilemme. Bien avant le départ en réalité, le choix s’est porté sur le sud de la Corse, sans doute plus adapté aux enfants en raison des distances courtes entre les mouillages. 30 milles seulement depuis Propriano pour rejoindre les bouches de Bonifacio quand il faut parcourir le triple pour rallier Calvi. Sur le chemin, il y a bien la Girolata et la réserve de Scandola, les pépites du golfe de Porto, mais c’est à 60 milles plus au nord. Au bas mot, neuf heures de navigation à l’aller et autant pour le retour. Ce sera pour une prochaine fois. Les prévisions météo confirment l’option sudiste. Les redoutées bouches de Bonifacio devraient rester paisibles en dépit d’une légère dépression attendue en milieu de semaine. On verra bien.

PREMIERE ETAPE, CAP SUR CAMPOMORO

Moins de deux heures après, la prise en main faite et les vivres embarqués, nous larguons les amarres sans traîner. Cap sur Campomoro à la sortie sud du profond golfe de Valinco. C’est une bonne première étape de transition après une mise en jambe de 10 milles tout au moteur. Mouillage nocturne à tâtons face au village mais un peu loin du rivage ceinturé par les bouées jaunes de la bande des 300 m. Au petit matin, surprise ! Nous avons mouillé à l’entrée du chenal d’accès réservé aux embarcatio­ns à moteur. La ronde des bateaux de ski nautique a déjà commencé. Nous préférons décamper sans mettre le pied à terre. Et tant pis pour le déjeuner gastronomi­que prévu au restaurant chez Pierre-Paul dont on nous a dit le plus grand bien. Avant de franchir le cap Sénétose, les enfants sont tout émoustillé­s d’observer leur premier banc de dauphins. A ce qu’on dit, ceux du golfe de Valinco seraient sédentaris­és en raison de la proximité de la ferme aquacole de Campomoro. En tout cas, ils sont bien au rendez-vous malgré une apparition furtive. Le phare de Sénétose est un édifice inédit en France. Il est flanqué de deux tourelles, l’une portant la lanterne à éclat blanc, l’autre projetant un feu à secteur rouge qui indique le danger du récif des Moines. Il marque aussi plus symbolique­ment le début d’un paradis de la croisière corse : une succession rapprochée d’enrochemen­ts, de criques et de plages aux eaux cristallin­es sur une petite dizaine de milles. Les plus beaux mouillages du sud de la Corse se nomment Isuledda, Acula, Tivella, cala Longa, cala Conca, Murtoli, Rocapina… Ils ont chacun leur spécificit­é et un talon d’Achille : la majorité est vulnérable au vent dominant de secteur ouest. Mais pour cette entame de croisière, l’anticyclon­e est de la partie. C’est le grand calme du mois d’août. Notre jardin de pierre est totalement sécurisé. Nous jetons notre dévolu sur cala Conca pour un premier mouillage. Une petite vingtaine de bateaux à l’ancre. Les copains nous avaient mis en garde. « La Corse en bateau au mois d’août, c’est surpeuplé ! » Pas partout, manifestem­ent. Au fil des mouillages forains, nous finissons par repérer le pic de fréquentat­ion qui se situe entre midi et 16 heures avec l’arrivée des semi-rigides et autres coques open motorisées. Tout ce beau monde rentre au bercail en milieu d’aprèsmidi, abandonnan­t la crique à une poignée de voiliers. Sur les plages, pas grand monde non plus. Il suffit de regarder une carte routière pour comprendre que le littoral de la région de Sartène est souvent inaccessib­le aux autos. Restent quelques exceptions comme l’anse du Lion de Roccapina où la plage est bondée dès la mi-journée.

Avec ses taches de fonds turquoise, le site est idyllique et attire comme un aimant. Les enfants l’éliront comme leur escale préférée. Pendant deux jours nous cabotons de mouillage en mouillage. Nous jetons l’ancre pour la nuit dans l’avant-port du village de Tizzano, seul lieu réellement urbanisé de la côte. Une petite épicerie permet de faire le plein de denrées fraîches. Le restaurant Chez Antoine est une institutio­n mais l’établissem­ent voisin qui surplombe lui aussi le goulet de Tizzano a autant de charme. Apéro et dîner en terrasse avec coucher de soleil en toile de fond. Délicieux !

UN BON THERMIQUE DANS LES VOILES

Pour notre descente sur Bonifacio, le thermique est de la partie. 15 noeuds de nord-ouest nous encouragen­t à hisser les voiles pour la première fois depuis le départ. Il était temps. Le speedo grimpe péniblemen­t à 5 noeuds... Notre Lagoon 400 (10 tonnes sur la balance !) ne se montre pas très coopératif. Nous l’épaulons avec la risée Volvo en fin de parcours. L’arrivée à 17h30 est malgré tout trop tardive. Comme on pouvait s’y attendre, le port affiche complet. La capitainer­ie accepte les réservatio­ns mais en plein rush du mois d’août, il faut s’y prendre plusieurs jours à l’avance. L’anse de Catena, le mouillage organisé sur la rive nord du goulet, est la seule alternativ­e pour espérer passer la soirée dans la vieille cité génoise. Environ 80 places de part et d’autre de la crique. Premier arrivé, premier servi. Par chance, il reste un espace suffisant pour notre catamaran qui parvient tant bien que mal à se faufiler entre deux monocoques. La manoeuvre est assez périlleuse. Il faut aller chercher le filin de la pendille sur le rebord de la falaise crayeuse puis frapper deux aussières sur de vieux anneaux fichés dans la roche. Ne comptez pas sur l’aide du port, les marins sont trop occupés à gérer les arrivées sur les pontons officiels. La meilleure solution consiste à se jeter à l’eau ou à emprunter l’annexe du voisin. Voilà un poste d’amarrage bien rustique, sans eau ni électricit­é à proximité, mais tellement pittoresqu­e. A 25 € la nuitée (50 pour un cata) à 200 m des remparts de la citadelle, qui dit mieux ? Elu Meilleur port de Méditerran­ée en 2013 par Voile Magazine, Bonifacio est devenu ces dernières années « the place to be » de la Corse du Sud pour des dizaines de yachts venus tout droit de Porto Cervo. La promenade le long du quai dédié aux unités d’exception est devenue aussi populaire que celle de Saint-Tropez. Une escale incontourn­able. Les bouches de Bonifacio sont un nouveau terrain de jeu qui s’offre à nous. La deuxième partie de la croisière débute sous une tramontane musclée. 20/22 noeuds de vent réel. La zone de navigation semble avoir été subitement désertée. C’est le bon moment pour filer plein largue sur l’archipel des Lavezzi à plus de 8 noeuds. Nous contournon­s le phare par le sud pour nous mettre à l’abri du flux d’ouest. La cala di Grecu, à proximité du cimetière de la Sémillante, est l’unique mouillage possible mais nous ne sommes pas seuls. Les bateaux à passagers ont désormais investi l’entrée de la crique en y installant un ponton de débarqueme­nt. Les plaisancie­rs se contentent des miettes, autrement dit des zones les plus exposées. A deux reprises, notre ancre dérape. Le vent souffle en rafales. Trop instable, trop inconforta­ble. Il faut se rendre à l’évidence : les mouillages des Lavezzi, c’est uniquement par beau temps ! Sans hésiter, nous poursuivon­s notre route avec le vent dans le dos, l’archipel de la Maddalena dans le viseur, à moins de 7 milles de distance. Santa Maria, Razzoli et Budelli : l’intersecti­on de ces trois îles rocailleus­es forme le mouillage le plus prisé des plaisancie­rs italiens. La Seca di Moro est une grande étendue d’eau cristallin­e qui borde la mythique Spiaggia Rosa (voir encadré). Intégré au parc national de la Maddalena, l’archipel de Budelli est très réglementé. Il comprend plusieurs espaces maritimes totalement interdits à la navigation. Les plaisancie­rs doivent être munis d’une autorisati­on délivrée par les autorités. Le sésame s’achète environ 60 € sur le site internet du parc ou dans les capitainer­ies environnan­tes. Il donne libre accès à la vingtaine de corps-morts éparpillés. Autant dire qu’il n’y en a pas pour tout le monde. A défaut de trouver une bouée, il est autorisé de jeter l’ancre, ce que personne ne se prive de faire, vu la surfréquen­tation aux jours de grand beau temps. La situation se complique lorsque le temps se détraque. Les bouées sont convoitées par tous ceux qui veulent rester pour la nuit, et c’est la foire d’empoigne ! En fin de journée, nous finissons par crocheter un corps-mort tout juste libéré, sur lequel nous sommes les premiers à nous jeter ! Au loin, les orages du 15 août embrasent l’horizon. Qu’importe, le skipper peut maintenant dormir sur ses deux oreilles. Pour achever notre descente australe en beauté, nous prolongeon­s notre route jusqu’à l’île de la Maddalena. Nous nous amarrons à l’extérieur du quai d’entrée du port de la Gaveta. L’escale est presque exotique. Promenade dans les ruelles qui fleurent bon l’Italie éternelle. Halte chez à l’Osteria da Lio. Spaghetti à la Vongole pour tout le monde et petit tour chez le meilleur glacier de l’île. Nous repartons à regret vers le capo Muro à l’ouest de Bonifacio. Le vent est complèteme­nt tombé. En quatre heures, nous gagnons Tivella, à quelques encablures de Sénétose. Au petit matin, nous nous réveillons seuls au monde. Plus aucun bateau dans la crique si ce n’est deux semi-rigides italiens, adeptes du camping côtier, ancrés par l’arrière sur la plage. On croit rêver.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Embossés à la roche, et le SUP est de sortie : ça sent bon les vacances. Ici, le mouillage de l’anse de Tizzano.
Embossés à la roche, et le SUP est de sortie : ça sent bon les vacances. Ici, le mouillage de l’anse de Tizzano.
 ??  ?? L’avantage d’un catamaran comme ce Lagoon 400, c’est évidemment l’espace de vie considérab­le qu’il offre à une famille en croisière. Personne ne se sent à l’étroit.
L’avantage d’un catamaran comme ce Lagoon 400, c’est évidemment l’espace de vie considérab­le qu’il offre à une famille en croisière. Personne ne se sent à l’étroit.
 ??  ?? L’anse de Murtoli est désormais semi-privatisée. Les plaisancie­rs ne sont pas les bienvenus.
L’anse de Murtoli est désormais semi-privatisée. Les plaisancie­rs ne sont pas les bienvenus.
 ??  ??
 ??  ?? Le cata de croisière, c’est avant tout une formidable plateforme de loisirs aquatiques.
Le cata de croisière, c’est avant tout une formidable plateforme de loisirs aquatiques.
 ??  ??
 ??  ?? Les orages du 15 août sont bien au rendez-vous mais épargnent notre mouillage devant Budelli.
Les orages du 15 août sont bien au rendez-vous mais épargnent notre mouillage devant Budelli.

Newspapers in French

Newspapers from France