A bord du Figaro 3, et cinq autres essais : Skellig 5, Shrimper 21, Tudulut, Code 1, Slyder 49
Le prototype navigue depuis un peu plus d’un an, mais à l’ouverture de la dernière Solitaire sur Figaro 2, nous avons pu essayer le Figaro dans sa version monotype quasi définitive. Place au Figaro à moustaches !
IL NE PASSE PAS INAPERÇU
à son ponton vendéen, avec son étrave joufflue, sa delphinière interminable et ses imposants foils orange. Le Figaro 3 a déjà été vu dans quelques salons l’an dernier – notamment à La Rochelle et à Paris – mais ici, à SaintGilles-Croix-de-Vie, les plaisanciers en escale avisent ce drôle d’oiseau avec des yeux ronds. A chaque sortie sa silhouette noire, tout en puissance retenue, fait courir un petit frisson sur le port. C’est là, au berceau vendéen du chantier Bénéteau, que nous avons pris rendez-vous avec un Figaro 3 enfin parvenu à la phase finale de sa mise au point et son lancement en tant que monotype officiel de la Solitaire Urgo-Le Figaro. Pourquoi une si longue mise au point ? Tout simplement parce que le Figaro 3 n’est pas qu’un monotype hauturier. C’est un projet qui va bouleverser à la fois le fonctionnement de la classe Figaro, la gestion sportive de la Solitaire et son image. Et cette petite révolution fait l’objet d’une consultation permanente des coureurs, des préparateurs, des sponsors, de la FFV, de l’organisation de la course, des sous-traitants concernés par la quille, les foils, le mât... Un travail de titan qui nécessite de solides compétences
techniques sans doute, mais aussi un sens aigu de la diplomatie en milieu nautique. Deux qualités très utiles à Luc Joëssel, le nouveau responsable de la gamme Performance du chantier Bénéteau – issu de la voilerie North. Quand nous le rencontrons lors de notre essai du Figaro 3, il rentre tout juste d’une réunion cruciale au Havre sur l’achèvement de la nouvelle jauge et des règles de monotypie. Passionnant ! (voir encadré)
UNE JAUGE MUREMENT REFLECHIE
Mais nous ne sommes pas venus là seulement pour parler politique et c’est un autre petit nouveau (il y en a beaucoup en ce moment chez Bénéteau) qui guide notre première visite. Valentin Massu, qui fut stagiaire à la rédaction de Voile Magazine avant de courir la MiniTransat, est de passage chez Bénéteau où il fait office – entre autres – de « boat captain » du Figaro 3. Comme lui, j’utilise sans complexe le coude supérieur du foil pour me hisser sur le pont du monotype. Un pont qui impressionne immédiatement par ses dimensions et la sensation d’espace qui s’en dégage. Le choix d’un rouf ultra-étroit, simple dog-house allongé flanqué de deux déflecteurs dans lesquels circulent les drosses des foils, a libéré des passavants énormes, véritables boulevards de manoeuvre. Même impression dans le cockpit, même si la bôme, forcément basse et longue, impose une certaine vigilance. Quant à l’intérieur, il se passe d’une longue description : c’est une simple soute à voiles géante au milieu de laquelle trône un poste de navigation spartiate. On suppose qu’il comportera un pouf où pourra se caler le navigateur, pour l’heure il n’y a là qu’une flopée d’écrans et le tableau électrique. On l’a dit, le nouveau Figaro procure un premier choc quand on le voit. Mais il étonne encore plus quand on l’entend ! Comme on pouvait s’en douter, l’isolation de la cale moteur n’a pas été la priorité du chantier et le doux chant du Nanni (21 ch) entre les pontons évoque davantage le Massey-Ferguson en plein labour qu’un oiseau du large prêt à prendre son envol. Anecdotique, mais pour ne plus l’entendre nous nous hâtons d’envoyer la grand-voile dans le dernier coude avant le chenal de Port-la-Vie. La drisse mouflée permet de hisser sans se mettre tout de suite dans le rouge, d’autant que cette voile moulée en composite (North 3DI) est plutôt légère. Il ne manque qu’un guide de ralingue pour rendre l’envoi parfaitement fluide. Grand-voile haute, le Figaro s’anime immédiatement et on coupe le moteur avec plaisir pour descendre le chenal, ce qui nous donne largement le temps de sortir les foils. Les trois bloqueurs placés à plat pont de part et d’autre des déflecteurs orange du rouf leur sont dédiés. Ne comptez pas les sortir à la volée, c’est au winch qu’on sort et qu’on rentre ces foils en se fiant aux drosses soigneusement marquées. A priori, on les sort une fois pour toutes, il n’y a pas de raison particulière pour rentrer le foil au vent. Sauf à considérer l’aérodynamique, mais une fois rentré, le foil au vent traîne un peu dans l’eau et porte moins son poids au vent ! La troisième drosse, qui revient à côté des sorteurs-rentreurs de foil, permet de régler le rake, c’est-à-dire l’angulation longitudinale.
On ne doute pas que les coureurs travailleront le sujet et se feront une opinion. Pour l’instant, on se contente de regarder le sillage du foil et de le rendre le moins turbulent possible à l’oeil, ce qui revient généralement à l’avancer au maximum. Le premier bord de débridé, nécessaire pour prendre un peu le large avant de serrer le vent, nous donne immédiatement de bonnes sensations. La barre est très légère et réactive, même dans les surventes. Ses 2,50 m de tirant d’eau (contre 2,10 m pour le Figaro 2, voir tableau) lui confèrent une raideur à la toile que sentent tout de suite les figaristes habitués à réguler souvent au chariot. Y compris avec 250 kg de lest en moins !
LES FOILS CHANGENT LA DONNE
De ce point de vue, de toute façon, la stabilité apportée par les foils change complètement la donne. Le bateau prend de la gîte jusqu’à un certain angle où le travail du foil le bloque : il ne gîtera jamais davantage, et du coup, il reste doux comme un agneau à la barre… Nous avons pu le vérifier dans des conditions plutôt légères (pas plus de 15 noeuds de vent), cela reste à valider dans la brise, mais c’est tout à fait frappant. On l’a compris, le Figaro 3 est un foiler mais pas un bateau volant comme peuvent l’être les derniers Ultimes… ou a fortiori comme un Moth à foils ! Même dans la brise, il déjaugera probablement moins qu’un IMOCA affûté comme l’était par exemple Hugo Boss. Son foil est davantage un accélérateur de planing et surtout un gros booster de puissance, un peu dans la logique d’un stabilisateur dynamique type DSS. En tout cas, son influence sur le comportement du bateau est énorme, notamment au portant. Pour l’heure, il nous faut serrer le vent et si le rôle stabilisateur du foil est évident, son influence sur la performance est difficile à évaluer. Ce qui est hautement probable, c’est qu’un Figaro 2 irait au moins aussi vite. Nous sommes à 6,5 noeuds dans 11 noeuds de vent, à 25° du vent apparent, mais attention à ne pas trop faire taper l’étrave dans les vagues... Le barreur est bien calé, les pieds dans le cadre en inox réglable, mais son assise est perpendiculaire à la route, là où certains bateaux IRC (JPK, Ofcet…) proposent souvent une assise à 45° de la route pour moins solliciter les cervicales sur un long bord. Le circuit d’écoute de GV, lui, ne souffre aucune critique. Palan direct, palan fin, chariot : tout tombe sous la main. Le génois, quant à lui, se règle à son winch sous le vent, mais un renvoi à plat pont permet aussi d’utiliser le winch au vent si nécessaire. Quant au point de tire en 3D – avec petit rail transversal –, il se règle au piano. Tout cela reste assez simple, et si on a parfois l’impression de crouler sous les cordages, c’est que leur longueur n’a pas encore été optimisée. La plupart pourront être écourtés. Un « détail » à ne pas oublier dans les manoeuvres cependant : les bastaques. Elles sont montées sur une patte-d’oie de façon à reprendre la tête de mât en deux points, au niveau du deuxième étage de barres de flèche et au niveau du capelage de l’étai. L’angulation des barres de flèche ne les rend pas indispensables à la tenue du mât au repos ou dans les petits airs, mais il est quand même conseillé de ne pas les oublier, notamment au portant.
Des boulevards de chaque côté du rouf.
Du reste, il est grand temps pour nous d’abattre après un long bord vers le nord. Valentin a préparé le spi qu’il envoie à la volée. Pas la peine de reprendre le mou dans le cockpit, un petit bloqueur de drisse est monté sur le mât, juste en dessous de la lumière correspondante… et le grand spi de capelage (105 m2 !) est en tête en un tournemain. Je lofe d’abord prudemment, puis plus franchement pour charger le bateau et tester ses réactions : le contrôle reste parfait, la barre légère et le bateau accélère bien. Evidemment, on aurait espéré 5 ou 10 noeuds de vent en plus pour que le bateau s’exprime et s’appuie davantage sur ses foils.
QUAND LE FOIL ENTRE EN CHARGE...
Mais sur certains surfs, nous sentons que l’étrave monte d’un cran tandis que le bateau accélère : le foil est entré en charge alors que le speedomètre titillait les 9 noeuds. Prometteur, d’autant que le bateau reste parfaitement rassurant dans ces accélérations. A l’affalage, on apprécie l’ergonomie très sécurisante du plan de pont avec ses cale-pieds, au milieu de la plage avant et le long du pavois. Avant de rentrer, nous essayons enfin le code 5 de chez North récemment livré : une merveille pour le reaching, et une vraie nouveauté pour les figaristes qui, jusqu’alors, n’avaient rien entre le génois et le spi. Faut-il préciser qu’on rentre avec la banane d’une sortie en Figaro 3, même dans 12 noeuds de vent ? De toute évidence le bateau est bien né, c’est maintenant aux coureurs d’écrire son histoire. Ils ont déjà répondu présents avec quarante bateaux vendus aux coureurs, dont six à des skippers étrangers. A l’heure où nous écrivons ces lignes, trente de ces Figaro 3 sont déjà construits et sagement alignés sur le parking de l’atelier de Cheviré (Nantes), dont les 2 500 m2 et les vingt-trois techniciens sont entièrement dévolus au Figaro 3. Mais la production se poursuit au rythme d’un bateau tous les quatre jours, et on devrait rapidement arriver au lot de cinquante unités réservées à la Classe Figaro. Ces bateaux seront tirés au sort pendant le Nautic et livrés à partir de janvier 2019, dans l’ordre de réception des commandes, en vue d’une course inaugurale qui doit avoir lieu fin mars (la Sardinha Cup Saint-Gilles-Lisbonne en double). Pourquoi ce tirage au sort ? Pour éviter toute polémique quant à la monotypie (voir encadré) et aux prétendus bons et mauvais numéros. Le Figaro 3 peut aussi être vendu à des particuliers, toujours en passant par le réseau Bénéteau. Mais c’est sensiblement plus cher, et le programme du bateau hors monotypie ne va pas de soi. Surtout quand on sait que le Figaro 3 a, en gros, le rating IRC d’un 45 pieds. Son truc à lui, c’est la régate à armes égales !