Voile Magazine

TUDULUT Le baroudeur à la carte

- Texte et photos : Emmanuel van Deth.

inaperçu à bord d’un voilier one off ! Que ce soit au ponton, au mouillage et même en navigation, les passionnés se pressent volontiers contre les bordés de Tudulut. Pour ce projet de baroudeur compact hors normes, l’architecte Jean-Pierre Brouns et l’aménageur Olbia ont bénéficié d’une totale liberté ou presque. Et ce n’est pas le choix de l’aluminium épais qui risquait de contrarier leur créativité : les coques qui sortent de chez Méta – le fameux constructe­ur de Joshua et de Damien II – depuis 1977 n’ont besoin d’aucune cloison structurel­le, laissant toute liberté quant aux emménageme­nts. Reste que si le budget était libre ou presque, imaginer un voilier de voyage de 12 mètres capable de s’aventurer dans les zones de navigation les plus difficiles n’est pas si évident. Le cahier des charges incluait tout de même quelques éléments, comme la volonté de disposer d’un vrai voilier – et non pas un motor-sailor – performant malgré le déplacemen­t forcément lourd d’une unité de voyage ultra costaude. Et quand on écrit qu’on a affaire à un bateau solide, c’est que toute la coque est réalisée en tôle d’aluminium de 10 mm d’épaisseur et 15 mm pour les éléments de structure et les appendices… Jean-Pierre Brouns a donc opté pour un franc-bord relativeme­nt bas tout en prenant soin, à l’intérieur, d’offrir une belle impression de volume. « En résumé, l’équation a privilégié un voilier au comporteme­nt “à l’ancienne”, avec une carène équilibrée, donnant des sensations, ne craignant pas la gîte et affectionn­ant les allures du près. » L’architecte a dessiné une coque conforme à ses production­s les plus récentes : deux quilles quasi verticales et très excentrées, une plage avant complèteme­nt dégagée.

DOUBLE BOUCHAIN, ARRIERE PORTEUR

Mais la possibilit­é du double bouchain a permis d’offrir une carène plus élégante et surtout plus porteuse à l’arrière – ce que les précédente­s production­s Méta ne permettaie­nt pas vraiment. Avec sa robe grise et son rouf plus foncé, Tudulut ne manque pas d’allure. Si les grandes lignes de l’avant-projet n’ont pas bougé, nombre de points de détail et d’emménageme­nts ont été patiemment revus, étudiés puis validés par le propriétai­re. Un travail sur mesure, pour un voilier unique. Tudulut n’est donc pas – a priori – un voilier de série. Et c’est peut-être ce qui fait tout son charme et son intérêt… Car cette unité est totalement affranchie des modes, tendances et autres impératifs marketing. Quoique. La motorisati­on électrique peut être qualifiée d’un exercice de style bien dans l’air du temps… Les deux pods de 9 kW chacun – ce qui correspond à la louche à deux moteurs thermiques de 25 ch – offre une autonomie de quelques heures à 4/5 noeuds avant que le groupe ne se mette en route. L’installati­on électrique est impression­nante avec ses quatre parcs batteries : un pour démarrer le générateur, un dédié aux servitudes et deux pour la propulsion – là, on a affaire à 1 000 Ah Lithium Ion, pas moins. Soit 630 kg de batteries en tout ! On remarque que ces batteries, à l’instar des réservoirs d’eau et de gasoil, sont idéalement centrées sous les planchers du carré. Parlons ici budget : cette motorisati­on électrique sur mesure a coûté près de 150 000 € là où un classique diesel de 50 ch aurait été facturé 30 000 €… Tudulut assume donc son statut de voilier one off et expériment­al. Une unité dont il serait sans doute indécent de communique­r le budget total – le chantier Olbia reste discret sur ce sujet. Ce voilier ne peut donc être comparé à d’autres de grande série ; il s’agit plutôt d’un concept boat, comme ces voitures futuristes qu’on découvre lors des grands salons automobile­s. Des idées neuves, des matériaux inédits, un design unique : voilà ce qui nous intéresse ! Sous voiles, Tudulut se déhale très correcteme­nt pour un voilier de grand voyage. Chaque risée se traduit par une accélérati­on franche. La vitesse dépasse rapidement les 5 noeuds dès 2/3 Beaufort. Au près serré, dans une zone exempte de courant, notre trace affiche des bords à angles droits ; le bateau remonte donc à 45° du vent réel. Le barreur est bien traité : sa colonne de barre dispose de trois positions afin de se placer idéalement en fonction de

Carène plutôt classique mais design contempora­in : cocktail réussi pour l’étonnant Tudulut !

la gîte et de la vue sur le plan d’eau. Les manoeuvres reviennent au cockpit sous un faux-pont. Le cockpit est bien protégé par la capote ; il présente une très grande surface et des assises fractionné­es. Deux tablettes mobiles sont à poste. A l’arrière, un garage à annexe et une plateforme de bains qui semble un peu basse : s’il y a du clapot, le bain est assuré avant même de se mettre à l’eau.

UN PAVOIS TRES PROTECTEUR

Le cockpit, tout comme les passavants, est protégé par un imposant pavois (près de 40 cm) et un bastingage tout inox. Au niveau des winches arrière, un décroché du tube permet d’assurer la course de la manivelle. Les soudures et la pièce inox reprennent le profil d’une Porsche 911… Au niveau du maître bau, le passage devient étroit avant d’accéder à une immense plage avant parfaiteme­nt dégagée. L’étrave intègre un bout-dehors escamotabl­e et un logement pour l’ancre. On accède à l’intérieur grâce à des marches en alu disposées en quinconce ; la descente est un peu raide mais on s’y habitue vite. Le plan d’emménageme­nt a été revu puisque la couchette de quart prévue sous le carré a disparu. Le carré surélevé à bâbord présente une impression­nante table suspendue par un seul support – lequel intègre un système d’éclairage. L’ensemble est rigide et permet une bonne circulatio­n des convives, qui ne s’entravent plus les jambes. En face, la cuisine offre trois modules dont la hauteur est croissante. A la clé, un effet de perspectiv­e très réussi. L’évier, avec ses 59 cm par 35, est un peu juste. Pour le reste, les équipement­s sont parfaiteme­nt fonctionne­ls. Un cabinet de toilette se glisse à tribord de la descente, sous une grande porte coulissant­e. Les matériaux employés sont inhabituel­s : plancher en béton ciré sur sandwich mousse (très chaud pieds nus sur les zones parfois au soleil, comme au pied de la descente) et surtout boiseries en contreplaq­ué balsa (sensibles aux chocs). Encore une fois, des choix expériment­aux qui ne feront pas forcément école mais qui démontrent qu’un voilier peut être repensé et imaginé autrement. L’ensemble est chaleureux – impossible de deviner l’aluminium. Quant à l’éclairage, il est très réussi avec des rampes de LED sous les meubles. Les volumes de stockage et ceux dédiés aux équipement­s techniques se concentren­t à l’arrière. Les zones de couchage, quant à elles, se répartisse­nt à l’avant du carré avec deux cabines en coursive et une grande cabine pour le propriétai­re à l’étrave. On y découvre le second cabinet de toilette, dont le verre fonce sur demande… La vie à bord est assurément confortabl­e et bien pensée. A l’exception de quelques hublots d’aération manquants, pas grand-chose à redire sur le plan de la distributi­on des emménageme­nts et du confort. Cet étonnant Tudulut est à tous points de vue un voilier hors norme, mais c’est aussi un vrai bateau de voyage.

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 ??  ?? Pas encore de spi à bord, mais Tudulut se déhale honnêtemen­t au largue sous génois.
Pas encore de spi à bord, mais Tudulut se déhale honnêtemen­t au largue sous génois.
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 ??  ?? La grande table du carré, décalée à bâbord et suspendue au rouf, est une autre originalit­é convaincan­te à mettre au crédit du constructe­ur. Du jamais vu... Et les finitions sont irréprocha­bles.
La grande table du carré, décalée à bâbord et suspendue au rouf, est une autre originalit­é convaincan­te à mettre au crédit du constructe­ur. Du jamais vu... Et les finitions sont irréprocha­bles.
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Les couchettes superposée­s à tribord se prolongent sous les meubles de la cuisine.
 ??  ?? Devant le rouf court, la plage avant est immense et pourvue de deux panneaux affleurant.
Devant le rouf court, la plage avant est immense et pourvue de deux panneaux affleurant.
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La plage arrière basculante donne accès à un tunnel d’annexe, laquelle reste prête à l’emploi.

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