Voile Magazine

Les catégorie Rhum

Le premier bizuth du dernier Vendée Globe rempile sur la Route du Rhum. Mais Eric Bellion a troqué son IMOCA CommeUnSeu­lHomme pour Ahoy, une goélette aussi lourde que luxueuse. Il naviguera dans la catégorie Rhum monocoque mais le 4 novembre sera aussi un

- Texte : Sidonie Sigrist.

D’ERIC BELLION,

nous avions des images du Vendée Globe, ces petites pastilles vidéo postées par les skippers, images qui donnent un aperçu de la vie à bord d’un IMOCA bruyant, humide, véloce autour du monde. La spécificit­é de celles d’Eric Bellion, sur CommeUnSeu­lHomme, était qu’il n’épargnait pas à la caméra ses états d’âme propres à une aventure en solitaire en milieu hostile. De l’ivresse de la joie à la terreur de tout voir s’arrêter là, du désespoir de la fatigue à la déclaratio­n d’amour pour son bateau… Il concluait souvent ses résumés quotidiens de petites phrases comme autant de mantras déclinable­s à l’envi. Des phrases qui semblaient naïves ou banales pour des terriens bien au chaud derrière leur bureau – « Ne jamais rien lâcher » ; « Faire deux pas dans le noir pour se découvrir des ressources insoupçonn­ées… ». Eric Bellion était l’un des passeurs, face caméra, de ce qui passe par la tête d’un aventurier lancé à vitesse grand V sur les mers du monde. Et ces mots prenaient alors un tout autre relief une fois qu’ils étaient prononcés, non pas par un coach de vie mais par un homme qui revenait des mers du Sud. Et l’homme en question a accessoire­ment bouclé un superbe Vendée Globe en décrochant la neuvième place au général, devenant ainsi le premier bizuth à franchir la ligne d’arrivée aux Sables d’Olonne. Alors c’est sûr, Eric Bellion s’est battu, il n’a jamais rien lâché et il a démontré par l’exemple que ça paye, la volonté, la déterminat­ion et le « pas de côté ». En arrivant aux Sables d’Olonne, le skipper semblait flotter, entre l’émotion et la distance de l’expérience solitaire. Il déclarait à ceux qui lui demandaien­t « Alors ? » : « Maintenant j’aurai moins peur ». Le genre de phrase que seul Eric Bellion osait prononcer. Plus d’un an après ce Vendée Globe, ce n’est pas sur un IMOCA que nous retrouvons Eric mais sur Ahoy, une goélette en acier de 21 m ultra confortabl­e avec sa ligne gourmande, ses boiseries, son pont en teck et ses aménagemen­ts intérieurs comme à la maison – il y a une vraie cuisine, l’hérésie sur une course au large ! Voilà donc une drôle de monture pour s’aligner au départ de la Route du Rhum, même dans la catégorie hétéroclit­e Rhum.

DANS LA MEME CATEGORIE QUE KRITER V

Parce qu’Eric Bellion et sa goélette de plus de 36 tonnes joueront dans la même catégorie que Kriter V, arrivé deuxième de la mythique première édition de la Route du Rhum, 98 secondes derrière Mike Birch. Il devra se bagarrer avec Kriter VIII, le bateau de revanche de Malinovsky pour la deuxième édition du Rhum, sans oublier Cigare Rouge, le plan Harlé de 60 pieds sur lequel VDH avait fini deuxième au Vendée Globe de 1992… « Je cherchais un très beau bateau tout terrain pour aller dans les petits recoins de côtes ou naviguer dans les glaces. » Parce que la Route du Rhum n’est que le point de départ et le coup de projecteur d’un autre projet, une expédition au long cours autour du monde pour oeuvrer à sa cause : le prêche de la différence et la recherche de la clef de l’humanité. Eric Bellion a toujours conjugué « sa passion et ses questions d’homme ». De son tour du monde solidaire sur Kifouine au Défi Intégratio­n en 2010 puis la constructi­on de la Team Jolokia en 2012, le marin a toujours oeuvré pour démontrer que la différence, plus que le conformism­e, fait mouche à bord comme dans la société. Surtout, cet

engagement peut mener loin sur le chemin de la réussite. Après la force de l’exemple avec constituti­on d’équipages mixtes valides et handicapés, Eric Bellion est passé en solitaire sur le Vendée Globe, une façon de diffuser son message à une plus large audience. La Route du Rhum, la reine des transats françaises, bénéficie aussi d’une belle couverture médiatique.

UNE EQUIPE MASCULIN-FEMININ

Et même en solitaire, Eric Bellion continue de parler au pluriel. Parce qu’avec Ahoy, ils forment une équipe masculin-féminin – il dit « elle » quand il évoque son bateau qui aurait une façon de naviguer très féminine. Pour la course, il n’a pas effectué de grands changement­s structurel­s. Il aurait fallu démonter tous les aménagemen­ts intérieurs pour économiser quelques dizaines de kilos. Mais à quoi bon ? Tout devait être remonté en Guadeloupe pour la suite du projet. « Je pars avec un bateau qui a un sacré handicap, il est lourd. Est-ce que l’on peut être performant sans aller vite ? Est-ce que l’on peut ralentir en cherchant la performanc­e ? » philosophe Bellion dans le cockpit bordé d’une hiloire en acajou et d’autant de winches qu’il y a de manoeuvres. Matthieu Hacquebart, préparateu­r technique depuis le Vendée Globe, a surtout travaillé sur l’autonomie énergétiqu­e puisqu’au-delà de la transat, le bateau sera en expédition permanente, loin des pontons et des sources d’énergie. Des panneaux solaires et une éolienne escamotabl­e seront installés, toutes les ampoules du bord ont été changées pour des LED, moins énergivore­s. Du côté du gréement, le bateau a été optimisé pour la brise, avec commande de deux nouvelles voiles dont un fisherman (la voile d’étai établie entre les deux mâts). Par ailleurs, l’équipement a été adapté aux normes de sécurité de la course au large. S’il n’est pas forcément le mieux placé pour accéder au podium en catégorie Rhum, Eric Bellion entend bien profiter de cette transat pour « chercher cet état de grâce » qu’il avait connu lors du Vendée Globe et accessoire­ment continuer inlassable­ment de communique­r sur les grandes valeurs humaines qu’il défend. Marie Lattanzio, sa compagne, embarquera ensuite en Guadeloupe pour la suite de leurs aventures « dans le sillage de Christophe Colomb ou du commandant Cousteau ». Mais à défaut d’explorer les nouveaux continents ou les fonds marins, le duo explorera l’humain, « l’exploratio­n du XXIe siècle ». Vaste ou vague programme pour celui qui se voit plus comme un descendant de Moitessier ou Janichon que dans le sillage des grands coureurs au large. Les Caraïbes seront le premier point d’ancrage de leur aventure, aventure qu’ils souhaitent raconter via une série documentai­re. En attendant qu’il avance sur « l’exploratio­n de l’humanité », aucun doute qu’Eric Bellion porte un projet singulier sur cette Route du Rhum…

 ??  ?? Après la Route du Rhum, Eric Bellion débutera une expédition avec Marie Lattanzio.
Après la Route du Rhum, Eric Bellion débutera une expédition avec Marie Lattanzio.
 ??  ?? Pendant la qualificat­ion, Eric Bellion a pris en main sa goélette de 21 m.
Pendant la qualificat­ion, Eric Bellion a pris en main sa goélette de 21 m.
 ??  ?? Boiseries, cheminée, petit salon... Du jamais vu sur la Route du Rhum !
Boiseries, cheminée, petit salon... Du jamais vu sur la Route du Rhum !

Newspapers in French

Newspapers from France