Voile Magazine

Ce besoin de faire des phrases

- François-Xavier de Crécy

L’océan, son immensité, ses mystères, devraient imposer le silence aux humbles marins de plaisance que nous sommes. Il n’en est rien. Et ce n’est pas nouveau : depuis Homère, la mer fait écrire, parler, chanter, elle affole les poètes, inspire les romanciers, transporte les musiciens. Voyez la nouvelle livraison de livres maritimes qui déferle sur les librairies à l’approche de Noël : la mer fait toujours couler de l’encre. Y compris la nôtre, et ce mensuellem­ent, douze mois sur douze ! Voilà qui accrédite cette sentence célèbre signée Michel Audiard : « Curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases… » Souvenez-vous : la réplique, dite par Francis Blanche, vient en conclusion d’un superbe direct du droit signé Lino Ventura. En fait, ce lyrisme qu’Audiard prête aux marins s’oppose à une image d’Epinal, celle du marin taiseux, breton de préférence, parfaiteme­nt incarné en son temps par Eric Tabarly face aux journalist­es.

Il est vrai qu’il ne leur facilitait pas la relance. Que faire d’un héros national qui répond à vos questions par oui ou par non ? Et que feraient d’un Eric Tabarly les communican­ts d’aujourd’hui ? L’imagine-t-on confier ses angoisses, au coeur d’une nuit de tempête, à un mediaman bardé de caméras, de micros et de transmette­urs satellite ? Faire un selfie devant le cap Horn ? Sauter à l’eau du haut de son mât en tenue de soirée ? Pas évident.

Mais ne jouons pas les grincheux, la course au large d’aujourd’hui nous offre quand même un sacré spectacle. Et Tabarly, dans la vraie vie, n’avait rien d’un taiseux… à condition qu’on lui pose les bonnes questions. Tout comme ces marins bourrus – on en rencontre parfois en vrai – qui sont pour la plupart de grands timides… On en a même connu qui, une fois dégelés, se révélaient intarissab­les !

En ce qui nous concerne, pas de problème, nous continuero­ns d’être bavards comme des pies, un peu parce que c’est notre boulot, un peu aussi parce que l’époque nous y invite. Comme d’autres, nous avons d’ailleurs cédé aux sirènes du Web et lancé – depuis un an déjà – notre propre podcast, l’incontourn­able Radio Ponton.

Jetez-y une oreille, on ne sait jamais.

Si ces élucubrati­ons radiophoni­ques ne prétendent pas au prix Albert Londres, souhaitons au moins qu’elles vous fassent passer un bon moment. Et qu’elles ne nous valent pas un bourre-pif façon Lino !

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On recueille avec ferveur la parole des marins, ici celle de Sébastien Destrémeau à l’arrivée du Vendée Globe.

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