Voilier de l’année 2020 : le RM 1180 élu dans un fauteuil !
Quelle promotion 2020 ! A l’académie du Voilier de l’année, on avait rarement vu une génération aussi douée pour faire parler la poudre sur les pertuis rochelais balayés par les grains. De sacrés duels, des délibérations passionnées au sein du jury… Et puisqu’il fallait un vainqueur, c’est le RM qui emporte la mise face à une concurrence de haut niveau : on vous explique pourquoi.
ON AIMERAIT toujours mieux faire, avoir encore plus de nouveautés, naviguer encore plus longtemps, pourquoi pas partager les délibérations avec d’autres médias nautiques… Mais baste ! Ne boudons ni notre plaisir ni notre fierté : le Voilier de l’année reste à ce jour un événement unique en son genre. C’est le seul concours nautique qui associe une revue et ses lecteurs, un salon à flot – le Grand Pavois –, des constructeurs pleinement impliqués depuis vingt-quatre ans et un collège d’experts savamment renouvelé. Cerise sur le gâteau – mais c’est essentiel à nos yeux –, tout ce petit monde passe un excellent moment sur l’eau, sur les pontons rochelais et à l’apéro. Que demander de mieux ? Ce coup de brosse à reluire étant passé – ça ne fait jamais de mal –, revenons aux forces en présence.
DU DAY-BOAT CHIC AU GRAND VOYAGEUR
Quels étaient les prétendants au titre de Voilier de l’année 2020 ? Au nombre de quinze, ils représentaient un large éventail de programmes et de styles allant du day-boat chic – Sarch S6, Tofinou 9.7 – au baroudeur cinq étoiles en aluminium – Allures, Ovni et Boréal. Et quelque part au milieu de cet éventail, il y avait surtout un bel échantillon de nouveautés dédiées à la performance, d’autant plus remarquable que trois d’entre eux étaient des 10-mètres de régate optimisés pour la jauge IRC. J/99, JPK 1030, Sun Fast 3300 : forcément un match dans le match… et de quoi pimenter les essais sur l’eau. En revanche, l’expérience de vingt-deux éditions du Voilier de l’année – celle-ci étant la 23e – nous enseigne qu’à chaque fois que des concurrents frontaux sont en compétition, ils se font de l’ombre. Immanquablement, les voix du jury se divisent entre les rivaux … et c’est un autre concurrent qui tire son épingle du jeu. D’où des résultats parfois cruels. Mais n’anticipons pas !
Pour l’heure, tous sont sur la même ligne de départ et si les conditions annoncées sont musclées, nous pensons encore pouvoir naviguer pendant deux jours, comme prévu. Mais les 20 noeuds établis annoncés – et observés sur le plan d’eau – découragent les plus petites unités, à l’image du Chacal 24 (nouvelle version), du Sarch S6 et du Tofinou 9.7. Leurs constructeurs ayant jugé que les conditions ne correspondaient pas à leur programme, ils les ont retirés de la compétition. Le Viko S21, lui, est resté. Et malgré quelques soucis techniques qui l’ont un peu retardé, il est sorti vaille que vaille dans le mauvais clapot des pertuis ! Un peu intimidante vue depuis le pont d’un croiseur côtier de 6 m, cette houle apparaît plutôt ludique pour les oiseaux du large. Dès les premières sorties, les cadors de l’IRC s’en donnent à coeur joie, avec d’excellents marins comme Jean-Pierre Kelbert ou Didier Le Moal à la barre. Le Django 8S, mené par Gildas Mahé, n’est pas en reste, tandis que le président du jury, Martin Le Pape, passe de l’un à l’autre avec un égal bonheur… C’est l’année des figaristes ! Et c’est tant mieux, avec tous ces bateaux de régate en lice. Un cas particulier dans la meute : le MMW 33 Cruiser de nos amis de Maestral Marine. C’est, comme son nom l’indique, une version croisière du MMW 33 « IRC » présenté l’an dernier, mais il a un peu de mal à trouver sa place dans la flotte et dans le coeur du jury. Pas assez croisière pour les uns, pas assez radical au contraire
pour les autres, il souffre en outre d’une ergonomie discutable dans le cockpit et d’une finition globalement perfectible. A la peine également, nos deux croiseurs de grande production alignés par Dufour et Hanse. Non pas qu’ils soient en difficulté sur l’eau, bien au contraire, mais leur design, à l’image de leur conception générale, est fait pour plaire au plus grand nombre. Confrontés à des bateaux plus innovants et visuellement plus audacieux, il est difficile de sortir du lot, aux yeux du jury et des lecteurs. Pourtant tout le monde leur trouve des mérites. On apprécie les emménagements très lumineux du Dufour 390, sa raideur à la toile sécurisante, tandis que le Hanse 388 fait admirer sa ligne un brin classique et les reflets dorés de son bordé champagne.
LE DJANGO 8S AU TAQUET !
Le jury remarque aussi la transmission de barre parfaitement réglée, et globalement la préparation aux petits oignons du Hanse par Star Yachts Atlantique. Important, ce temps de préparation. Au moins deux bateaux, pourtant très attendus, en ont manqué pour jouer pleinement leur chance. Le Django 8S, version régate de l’excellent Django 7.70, a impressionné toute la flotte sur certains bords de reaching avalés à fond les manettes.
Son programme, régate ou « croisière sport » à trois ou quatre, inspire la sympathie, et son tarif est raisonnable. Mais il lui a manqué du temps pour fiabiliser son gréement, manifestement pas au point. Il sortira d’ailleurs de l’élection sur une casse du rail de GV. Idem, dans un autre registre, pour l’Ovni 400. Un bateau de voyage qui réinvente complètement les codes de la célèbre marque vendéenne avec son rouf panoramique et son volume imposant, étrave joufflue et bordés verticaux… avec un sacré confort à la clé. Là aussi, le chantier a peut-être manqué de temps pour peaufiner certains détails et certains réglages. Dans les deux cas, ce sont de bons bateaux, que nous avons hâte de réessayer « fins prêts » dans quelques mois. Mais confrontés à des bateaux parfaitement rodés comme le Mojito pour l’un, le Boréal pour l’autre, forcément c’est compliqué. Tiens, parlons-en du Mojito 1088, impressionnant de vitesse et de stabilité dans la brise, sécurisant, ultra-ergonomique dans le cockpit et si agréable à vivre à l’intérieur avec sa grande cuisine d’épicurien et son rouf panoramique… Certains membres du jury le voyaient déjà sur la plus haute marche du podium, marche sur laquelle s’était déjà hissé son petit frère le Mojito 888 en 2015. En fin de compte, il doit se contenter cette année de la deuxième place, mais quel bateau ! Du reste, il aura au final la préférence du collège des lecteurs.
Le jury, quant à lui, se déchire sur le noeud gordien de cette élection 2020 : les bateaux
IRC ! C’est une évidence, nous avons là trois excellents bateaux aux caractères bien distincts. Le Sun Fast 3300 apparaît comme le plus futuriste par ses formes, et le plus typé : c’est clairement une bombe de portant, dessiné pour performer dans l’alizé et gagner la Transquadra – d’où peut-être ses résultats inégaux sur d’autres parcours. Le J/99 affiche au contraire une silhouette et des proportions plutôt classiques, ainsi qu’un caractère volontairement polyvalent – c’est sa force. Le JPK 1030, quant à lui, apparaît comme un moyen terme entre ces deux extrêmes, même si, en réalité, il est sans doute un peu plus proche du Sun Fast. S’il a au final la préférence du jury, matérialisée par un
« Prix Spécial », c’est effectivement parce qu’il apparaît comme un juste milieu, mais aussi et surtout grâce à l’excellence de son ergonomie – très appréciée notamment par Martin
Le Pape – et son potentiel en tant que croiseur, avec ce gros volume habitable. Le Sun
Fast 3300 a été desservi par certains détails, comme son antidérapant « pointe de diamants », anachronique et pas au niveau de ses ambitions. Quant au J, s’il échoue
à quelques points du JPK, ce n’est pas faute d’avoir eu d’ardents défenseurs au sein du jury. Rien de particulier à lui reprocher, tant le chantier a comme toujours bien fait les choses. Il ne lui a manqué qu’un brin de folie pour séduire une majorité. Le Voilier de l’année n’est pas seulement un excellent bateau, c’est celui qui crève l’écran, qui inspire et propose du nouveau… Le J/99 reste donc au pied du podium et ne prend pas la suite du J/111, Voilier de l’année 2012.
On vous l’a dit, il n’est pas rare de voir les bateaux directement concurrents se partager les voix du jury, tandis qu’un autre décroche la timbale. Le phénomène s’est reproduit cette année avec ce match exceptionnel des bateaux IRC.
Pourtant, le RM 1180 serait probablement passé quoi qu’il arrive. Parce qu’il a le profil idéal, à la fois innovant et classique, performant – et comment ! – et familial. Le Voilier de l’année, c’est souvent un bateau qui fait tourner les têtes et déchaîne les passions. D’ailleurs, ce RM-là n’est pas comme les autres. Son design étonnant, inspiré pour le tiers avant du regretté Ofcet 32 (Voilier de l’année 2018) issu du même cabinet Lombard, a été rendu possible par une petite révolution interne : le passage du contreplaqué au sandwich pour les bordés. Gonflé, pour un chantier qui avait tout misé sur le contreplaqué-époxy depuis des années ! Pourtant, le chantier RM a toujours su innover en harmonie avec son architecte fétiche, et dans ce sens il est parfaitement fidèle à son ADN. Son coup d’audace méritait bien un coup de chapeau du magazine et un gros coup de coeur du jury !