Au Vanuatu : escale improbable pour archipel oublié
Un archipel de contrastes, partagé entre la puissance de l’océan et celle des volcans, un territoire de jeux riche en découvertes pour les navigateurs curieux de l’équipage de Katali.
DES ILES PEUPLEES de cannibales sanguinaires, courant à demi-nus, casse-tête à la main, embrochant les missionnaires par dizaines avant de les déguster cuits au feu de bois… Telle a longtemps été la sulfureuse réputation de cet archipel jadis partagé entre la France et l’Angleterre, qui portait jusqu’en 1980 le nom de Condominium des Nouvelles-Hébrides et, depuis son indépendance retrouvée, celui de République du Vanuatu. Et c’est probablement cet accueil peu aimable qui a poussé les Européens à ne plus y mettre les pieds durant 160 ans, après leur première visite en 1606. Tout juste s’ils ont eu le temps de donner à l’île principale le nom d’Espiritu Santo, avant de finir dans des estomacs, considérés certes comme primitifs à l’époque, mais dont les capacités digestives étaient capables de venir à bout du missionnaire le plus coriace.
83 ILES, 117 LANGUES !
Quant à nous, plus de quatre siècles après cette première rencontre, et ayant survécu à la Papouasie et aux îles Salomon, le Vanuatu nous semblait une escale logique et paisible sur la route de la Nouvelle-Calédonie. 83 îles de toutes tailles, des eaux tantôt cristallines tantôt bouillonnantes, des habitants accueillants, des traditions déroutantes, des paysages passant de l’aridité volcanique à la forêt tropicale, bref, une destination exceptionnelle. Nous avons bien pris soin, avant d’y emmener Katali, d’attendre la fin de la saison des cyclones. En effet, du mois de décembre au mois d’avril, les Vanuatu en subissent régulièrement les assauts violents. Cette année, un retardataire a frappé le pays mi-mai, et nous a manqué de peu. Heureusement que nous étions en retard (comme d’habitude) sur notre programme, parfois, ça a du bon ! Nous procédons aux formalités d’immigration à Luganville. L’héritage franco-britannique, allié au sens relatif de l’efficacité vanuataise, les rendent… cocasses, mais somme toute assez rapides. Et puis le français et l’anglais sont toujours langues officielles dans le pays, ce qui facilite le dialogue. Heureusement, car le Vanuatu est le pays du monde qui possède le plus de langues par habitants, 117 pour 275 000 habitants ! Cette petite halte bureaucratique est l’occasion de plonger sur le USS President Coolidge, ancien paquebot de luxe réquisitionné par l’armée US lors de la Seconde Guerre mondiale pour du transport de troupes. Cette andouille a coulé sur une mine américaine à l’entrée de la baie. Il y reste tous les effets personnels des 5 000 soldats, des tanks, des jeeps, des canons, et l’intérieur est plein de couloirs, escaliers… une magnifique épave ou l’on peut se perdre des heures ! On nous conseille de nous rendre sur Pentecôte Island pour assister au « Saut du Gol ». C’est une cérémonie où les jeunes
hommes du village font leur entrée dans l’âge adulte. Et plutôt que de fêter ça au bowling avec les copains, ils préfèrent sauter du haut d’une tour de bambous, à demi-nus, simplement accrochés à une liane par les chevilles. Comme la liane en question possède des capacités élastiques toutes relatives, ils la prennent juste un peu plus courte que la tour… Assez impressionnant, on a vraiment le sentiment que le gars se fracasse à terre. La culbute à l’arrivée est assez violente, et la plupart en perdent leur étui pénien ! La fête est l’occasion d’assister à des danses traditionnelles (chacune ayant une signification, de la danse du vent pour demander aux esprits de pousser les pirogues, à celle de la circoncision), jadis très présentes dans la vie locale, mais qui, sévèrement réprimées par les missionnaires, font désormais partie du folklore. Malgré les tenues du cru – étui pénien pour les hommes et ceinture de lianes, poitrine nue pour les femmes – la fête a un goût d’attraction touristique. Le Vanuatu développe énormément ce secteur, les paquebots de croisière y passent régulièrement, et nous préférerons naviguer vers des villages, heureusement très nombreux, qui restent totalement hors de ces circuits. Justement, nous mettons le cap vers l’île d’Univeo, confetti de l’archipel des Maskelyne. Nous y rencontrons Fiona, qui est professeure de français à l’école du coin. Ravis de rencontrer des locuteurs de la langue de Molière (une langue dont on s’interroge sur l’utilité pour les enfants de l’île !), elle embauche immédiatement Lola, qui devient son assistante pour les cours. Celle-ci prend son rôle très au sérieux, et assure plusieurs cours avec joie. La naissance d’une vocation ? Pendant ce temps, Timéo et Mael progressent en techniques de pêche locales, en particulier le pico-pico au harpon. Cet arrêt prolongé nous permet de faire plus ample connaissance avec Fiona et sa famille qui nous invitera régulièrement à partager le laplap. Ha oui, le laplap… il faut en parler tout de même. La plupart des visiteurs revenant de ces contrées vous conteront avec des larmes dans les yeux le plaisir de ce mets si raffiné, surprenant, typique, succulent, huummm… J’ai un peu de mal à partager cet enthousiasme, et mets toujours en doute l’honnêteté de ces voyageurs. Le laplap, soyons réalistes, est un mélange d’igname (un tubercule), de banane et de lait de coco, empapilloté dans des feuilles de bananier et cuit dans les braises. Le résultat est assez… rustique, et même si des versions « de luxe » (ajout de poulet, de chou, de chauve-souris…) existent, le vrai plaisir de ce plat tient surtout dans la rencontre avec ceux qui vous le préparent, et le partagent avec vous. Nous rendrons l’invitation en préparant à bord le summum de la science culinaire française, c’est-à-dire des crêpes et galettes bretonnes, que nos hôtes considéreront avec circonspection (ce qui prouve bien, soyons honnêtes, les progrès qu’ils ont à faire en gastronomie).
Une fois les plats avalés, et l’heure s’avançant, il était temps pour les hommes (papa et les deux fistons) de rejoindre les hommes au nakamal pour s’envoyer un petit kava. Voilà une boisson bien spéciale, que nous avions déjà croisée aux Fidji. Extraite d’une racine (décidément !), elle possède des vertus, disons… relaxantes. Offerte en signe d’amitié, elle fait partie de la kustom (coutume) locale, mais est souvent consommée à l’excès par les gars du village au coucher du soleil… On partagera quelques demi-noix de coco avec eux, et ils sursauteront en voyant Timéo et Mael s’en jeter un petit coup.
Ils le regretteront d’ailleurs en constatant que cette boisson n’est pas uniquement
broyée à l’aide du broyeur à main installé au Nakamal, mais également (pour les puristes) mâchée… la salive accélérant probablement la fermentation. Soizic, interdite de présence dans ce lieu tabou, n’a pas l’air de trop le regretter.
Même si les boissons locales réchauffent l’âme, le froid à bord est devenu tenace. Plus nous descendons vers le sud, plus les températures deviennent extrêmes. Un matin, au réveil, le thermomètre affiche 23°C ! Dans ces conditions inhumaines, ça n’est pas l’eau, qui culmine à peine à 25°C, qui pourra nous réchauffer. Or les îles du Vanuatu ont la particularité de toutes être des sommets de volcans plus ou moins endormis, et trouver de l’eau chaude nous semblait possible.
UN VOLCAN DIABLEMENT ACTIF
C’est pourquoi nous pointons vers l’île d’Ambrym, ou le volcan Benbow, diablement actif, réchauffe les eaux souterraines qui s’écoulent dans la mer. Nous mouillons au nord-ouest de l’île, devant une plage de sable noir, lave broyée par des siècles de houle. Nous avons vu sur les images satellites qu’un petit lac se cache derrière les dunes, niché dans la végétation tropicale. Et effectivement, l’eau y est chaude comme celle d’un hôtel de Dubaï. Rien n’y survit, ni corail ni poisson, mais les enfants s’y prélassent comme des iguanes, tant leur plaisir est grand de retrouver de l’eau chaude. Très vite, les voilà couverts de sable noir, qu’ils enlèvent en courant dans la mer, enchaînant ainsi des allers retours d’une amplitude de plus de 20°C entre l’eau, bouillante, du lac et celle, glaciale (si si), de la mer. Puis c’est l’heure du passage par Port Vila, la capitale. Curieusement, les Ni-Van (habitants du Vanuatu) ne semblent pas avoir conservé de leur passage sous l’aile colonisatrice de la France un amour immodéré du sandwich pâté cornichon ! Et pourtant, quelle belle oeuvre culturelle la France a laissée à Port Vila. Jugez plutôt : deux boulangeries, une Alliance française, un Leader Price et trois Bon Marché ! Du coup, c’est avec avidité que nous nous ruons sur les étalages offrant ces appétissantes franchouillardises. Neuf mois que les enfants n’avaient plus vu un croissant ! Essayez pour voir de vous passer de la rassurante présence d’une tranche de saucisson lors de votre apéritif ! Et le guilleret craquement d’une baguette tiède que l’on brise au petit-déjeuner dominical ? Mais ces bienfaits culinaires ne sont pas venus seuls, et on leur a aussi refilé le christianisme.
On est allés assister à la messe de Pentecôte, en présence de l’évêque encalotté. Les chants sont exceptionnels, les fidèles reprenant en canon, sur différents tons de voix. Les robes sont colorées, fleuries… ça change des messes métropolitaines. C’est aussi l’occasion de visiter le Musée National, une boulangerie, une brûlerie de café, une boulangerie, une autre boulangerie… enfin les lieux fondamentaux.
Autre destination fondamentale, plus au sud, l’île de Tana. Nous avions vu un film la concernant avant d’arriver (voir encadré), et rêvions d’y aborder. Cette île est dominée par le volcan Yasur, actif sans interruption. C’est le coeur grondant de l’île, dont la survie semble toujours suspendue aux caprices du monstre. Nous mouillons à Resolution Bay, et constatons après quelques heures que le pont de Katali est recouvert d’une fine couche de scories noirâtres. Le vent est inhabituellement d’ouest, et vient déposer à nos pieds l’offrande de bienvenue du volcan. Cela dit, on s’en serait passé. Heureusement que le vent repasse
à l’est après 24 heures, car il était impossible d’empêcher cette poussière de s’immiscer partout.
A certains points de la baie, la mer bouillonne. Non qu’elle soit à 100°C, mais des bulles de gaz provenant du sous-sol y font surface. Les habitants du village viennent à marée basse cuire leurs aliments dans des vasques naturelles où l’eau est très chaude.
SOURCES D’EAU CHAUDE
Pour nous, c’est l’occasion, à nouveau, de se baigner dans de l’eau agréable, même si l’équilibre est difficile à trouver entre cette eau bouillante et l’eau froide de la mer. Là aussi, le volcan est devenu une attraction touristique : les visiteurs sont réunis à son pied, assistent à des danses traditionnelles, puis sont montés en pick-up jusqu’au pied du cratère où des marches permettent de rejoindre le sommet. Nous avons préféré nous y rendre à pied, en marchant deux heures dans la jungle depuis le mouillage, accompagnés par John, un guide local. Nous arrivons ainsi tranquillement au sommet, au crépuscule, et pouvons admirer le spectacle indescriptible de cet oeil ouvert sur le centre de la terre, de ces jets de poussières, de ces jaillissements de lave, le son terrifiant des grondements qui accompagnent cette activité. Spectacle hypnotique duquel on a du mal à se détacher… Et pourtant, il nous faut rentrer. D’une part car la température au sommet du volcan, tombée en dessous des 20°C, représente un danger pour nos métabolismes, mais surtout car de nouvelles aventures nous attendent plus au sud, vers la Nouvelle Calédonie !