La dernière photo de Manureva ?
LA DISPARITION d’Alain Colas lors de la première Route du Rhum en 1978 reste gravée dans les mémoires. Pourquoi y suis-je particulièrement sensible ? Peut-être à cause d’un Polaroïd pris le jour du départ de la dernière course du navigateur le 5 novembre 1978, une image unique de Manureva avec la silhouette d’Alain Colas à la barre. Je n’avais que sept ans quand j’ai pris cette photo. J’étais sur le bateau de mes grands-parents, Apsara. Ils avaient décidé d’accompagner le départ de cette première édition de la Route du Rhum. Pour l’immortaliser, mon grand-père m’avait donné son Polaroïd. Je découvrais la photographie par la magie des instantanés. Nous avons suivi longtemps les bateaux. Mon grand-père, admirateur des Pen Duick de Tabarly, avait choisi de suivre Alain Colas.
Je me souviens que nous sommes restés longtemps dans son sillage jusqu’à ce que l’impitoyable nuit de novembre nous oblige à rentrer au port. Mes images de cette journée unique sont parties dans une boîte avec les autres photos de famille, Mike Birch a gagné la course et Alain Colas n’est jamais arrivé à Pointe-à-Pitre. Je ne me souviens pas de la nouvelle de sa disparition mais du mystère qui planait autour et qui faisait les gorges chaudes des médias de l’époque : malgré les recherches, personne n’avait retrouvé trace de Manureva. Aurait-il organisé lui-même sa disparition ? A quoi, à qui voulait-il échapper ? Et le mystère continue, inlassablement, à travers les paroles et la mélodie lancinante du tube intemporel d’Alain Chamfort… Quarante années plus tard, j’ai retrouvé les onze Polaroïd de cette sortie en mer en triant les archives familiales avec mon père. Il était aussi à bord d’Apsara ce jour-là. Ces photos nous ont émus tous les deux. Il a reconnu Manureva et m’a dit : « Tu as peut-être pris la dernière photo d’Alain Colas ». Une photo immortalisant la fin d’une aventure de vie mais le début de la mienne puisque je suis devenue photographe.