La croisière zéro-déchet, mode d’emploi !
Une croisière zéro déchet, utopie ou parcours du combattant vert ? Ni l’un ni l’autre. Avec un peu de préparation et d’attention, l’équipage d’Arvik, rompu à l’exercice, m’a initié et convaincu que le zéro déchet, c’est facile !
UN COMPOST A BORD!
Franchement, je n’y avais jamais songé. Pourtant, à terre, je suis plutôt réceptif à l’idée de réduire la place de mes ordures ménagères et j’ai depuis longtemps adopté le principe du compost en pleine terre pour mes déchets de cuisine. C’est à l’invitation de l’équipage d’Arvik, motivé et bien renseigné, se préparant pour une année sabbatique que j’ai pu constater qu’une attitude écoresponsable en mer tendant vers le zéro déchet est tout à fait envisageable. Attention, il faut un minimum de préparation, beaucoup d’anticipation et une volonté aussi ferme que la main d’un barreur dans la brise ! Cependant, l’effort n’est pas inutile. Pour avoir pas mal navigué en croisière estivale, et tourné toute une année autour de l’Atlantique j’ai, comme beaucoup d’entre vous, constaté que nos déchets prennent une place non négligeable dans un espace clos qui en manque toujours, quelle que soit la taille du voilier ! On a beau s’affranchir des emballages et suremballages avant même d’embarquer – un bon moyen aussi de limiter les intrusions de cafards quelles que soient les latitudes – la masse des déchets reste importante.
Sur ce premier point, l’après-midi shopping avec Gwenolé Gahinet dans un supermarché de vente en vrac, recueillant tant ses conseils diététiques que pratiques expérimentés sur l’Ultim Macif, est une vraie bonne idée (voir encadré). Mais si je me plonge dans mes souvenirs de croisières, plus exactement dans mes poubelles de mer, que vais-je y trouver ? Pour l’essentiel, des boîtes de conserve vides, les emballages des féculents (pâtes, riz,
semoule), de farine, des biscuits apéritifs ou de lait, mais aussi des bouteilles de verre, de plastique et des détritus organiques : peau d’alliacées (oignons, ail, échalote), épluchures de fruits ou de légumes, coquilles d’oeufs, restes de repas, etc. Encore que ces derniers, je le confesse, sont généralement jetés à la mer dès que l’on navigue loin des côtes. Pourtant, je le sais : la mer n’a que faire de ces déchets qui flotteront dans mon sillage avant de s’échouer sur un rivage… Retour à l’envoyeur !
Voilà donc où j’en suis lorsque je débarque à Piriac-sur-Mer, au bout du ponton D, là où finit de se préparer l’équipage d’Arvik, un fier Feeling 426 de 1989. A son bord Charly, Clémence et Guénola, en partance pour un écovoyage. A un mois du grand départ, Arvik est presque prêt. Il lui manque encore deux panneaux solaires et un régulateur d’allure, mais l’essentiel a été fait pour le préparer à un voyage pas comme les autres sur la route de migration des baleines. Une route qui l’entraînera d’abord vers les Lofoten, l’Islande, à contresens de la majorité des équipages en année sabbatique, avant de redescendre vers le Cap-Vert, le Brésil, les Antilles puis de remonter le long de l’Amérique du Nord, cap sur l’estuaire du Saint-Laurent puis sur le Groenland et enfin les Açores, pour un dernier salut aux cétacés. Un programme ambitieux tout autant que la décision collective d’inscrire ce voyage dans une démarche écoresponsable. Dès le début de leur préparation, Charly et ses drôles d’équipières ont en effet décidé de réduire leur impact sur l’environnement en suivant deux axes de réflexion : réduire au minimum leur consommation énergétique, supprimer les déchets produits à bord.
Sur Arvik, pas de groupe froid, une isolation renforcée en liège projeté, pas d’électronique hormis un ordinateur Raspberry Pi (nano ordinateur sous Linux à moins de 30 €) fonctionnant en 12 volts (0,8 A/h !), pas de dessalinisateur énergivore mais un filtre à charbon (antibactérien, anti-goût, antipesticide, acheté dans une grande surface de bricolage) pour ne pas emporter d’eau en bouteille ni même de pilote énergivore. La question du pilote ne s’est en réalité jamais posée. Deux transgascogne et une transmanche ont fini de les convaincre s’il était nécessaire qu’un pilote ne correspondait pas à leur façon de naviguer. Quoi de mieux que de tenir la barre pour qui veut suivre et observer des cétacés ?
LA DOUCE EFFERVESCENCE D’UN DEPART IMMINENT
Tout l’équipage est sur le pont à mon arrivée. C’est la douce effervescence d’un départ de plus en plus imminent. Charly réinstalle le guindeau dans une baille refaite à neuf, Gwenolé prépare une intervention dans une école primaire et Clémence s’occupe de l’administratif ! J’apporte avec moi le menu du soir acheté en vrac avec Gwenolé la veille et contenu dans les boîtes alimentaires revenues de sa Brest-Atlantiques. Celle en inox est saluée par l’équipage, celles en plastique soulèvent moins d’enthousiasme, mais ce n’est pas non plus la bronca. Rassurons tout de suite les sarcastiques : sur Arvik, on vit avec son temps, dans la recherche du confort, de la sécurité. On est très loin de toute pensée radicalement écocentrée et l’usage du plastique ou de produits non écologiques est autorisé dès l’instant qu’il n’existe pas une alternative plus durable, plus écoresponsable. Cela demande juste un peu de recherche et beaucoup d’astuces. Un exemple simple tient dans le verre à dents de la salle d’eau où se côtoient trois brosses à dents. L’une est en bois compostable (sauf les poils), les autres en plastique recyclé avec des têtes (poils) amovibles consignées par le magasin qui s’engage à les renvoyer vers une filière de recyclage. Chacun fait son choix, sans prosélytisme. Evidemment, il est des sujets où aucune solution satisfaisante n’a pu être trouvée – typiquement le cas de l’antifouling – mais généralement, les trois compères arrivent à mettre leurs actes en adéquation avec leurs objectifs.
Je commence mon apprentissage de la vie en mer zéro déchet par la visite de l’épicerie ! Ce n’est pas une blague, le cabinet de toilette avant a été radicalement transformé pour recevoir en lieu et place du WC marin et du lave-mains des étagères recevant une belle collection de bocaux en verre, de sacs de semoule, pâtes, riz, etc. Les réserves ont été faites dès l’été dernier afin de mettre sous verre tous les légumes de saison achetés sur les marchés locaux. La vie zéro déchet nécessite d’être prévoyant et de faire ses réserves à la belle saison. Evidemment, il est plus facile de faire le plein de conserves, mais au vu des étiquettes, je garantis que la carte sur Arvik sera bien plus appétissante : que du bio, que du fait maison ! En revanche, j’apprends que le choix du repas s’impose parfois de lui-même. En effet, les bocaux de verre sont stockés avec leur fermeture mécanique ouverte. Le vide créé au moment de la stérilisation suffit à maintenir le bocal fermé. Si le couvercle de verre s’ouvre, c’est le signe que le bocal n’est plus hermétique. Il est temps de le consommer avant que des bactéries ne s’y développent. Du coup, une routine s’impose à bord : visiter l’épicerie et inspecter les bocaux. Depuis six mois aucun ne s’est ouvert, signe que la stérilisation a été bien faite. La clef : un récipient et un joint bien ébouillantés, suivis d’une inspection méticuleuse du col du bocal : à la moindre
ébréchure, l’étanchéité n’est plus garantie et il sera remisé ou réservé au stockage des aliments secs (céréales, graines, etc.). Rien ne se perd à bord tout se recycle.
La visite continue naturellement par le frigo, ou plutôt ce qu’il en reste ! Le groupe froid a été volontairement débranché, le joint d’étanchéité de la trappe enlevé et remplacé par quatre vis dont les têtes n’ont pas été enfoncées afin de garantir la ventilation de ce nouvel et très profond équipet où est stockée une collection de contenants vides. Derrière la gazinière on retrouve classiquement les condiments et les différentes épices. En apparence, rien ne distingue cette cambuse écoresponsable d’une autre, excepté cette éponge végétale (l’intérieur d’une courge séchée) dont je vous garantis l’efficacité, le savon solide suspendu près de l’évier, la petite brosse en bois et fibre naturelle et cet étrange récipient (en plastique !) muni d’un robinet à sa base. Quel jus cherche-t-on ici à extraire ?
Point de rhum arrangé ou de liqueur sucrée ! Il s’agit ici d’un bokashi. En français : un compost fermenté en anaérobie.
LA réponse à notre problème de déchets de cuisine impossibles à jeter par-dessus bord. Car ce composte miniature accepte tout : pelure d’oignons, restes de viande, de poissons, de légumes, de fruits. L’odeur âcre (mais supportable) qui en émane lorsque l’on ouvre le bokashi prouve qu’une réaction est bien en train de s’opérer. Ce n’est rien en comparaison avec celle du jus qu’il faut extraire chaque jour (un fond de verre) qui, lui, est franchement écoeurant. C’est un excellent engrais, très acide, qu’il faut diluer à 1 % avant de l’utiliser dans une plante d’agrément ou le jeter par-dessus bord. Au bout de deux mois de vie à bord, le bokashi d’Arvik est plein. Qu’en feront-ils ? Rien ! Il sera stocké encore un mois afin que la fermentation finisse de dégrader les déchets, les transformant en un riche terreau. Enfin, il pourra être jeté sans remords par-dessus bord ou, mieux, offert lors d’une escale au premier jardinier croisé. Suis-je convaincu ? En grande croisière, sans conteste : la poubelle du bord n’a plus lieu d’être. En tout cas l’usage de sacs en plastique étanches ne se justifie plus puisque la poubelle sera forcément sèche, inodore, recueillant d’éventuels bocaux de verre cassé, bouts de métal (bas de ligne, fil électrique) et de plastique, car il en reste toujours ! Pour une pratique occasionnelle évidemment, le bokashi n’est pas adapté à moins qu’il vous suive dans vos déplacements domicile bateau-domicile...
GRAINES ET FRUITS SECS : C’EST BON !
Pour l’heure, il est temps de passer à table pour se régaler du plat concocté par Gwénolé Gahinet qui fut le repas de base de l’équipage du trimaran Macif pendant la Brest Atlantiques. Au menu : couscous de fruits secs au gouda et jeunes pousses de radis noir germé. Pour le coup, un accompagnement cultivé dans la rédaction de Voile Magazine sur les conseils de Corentin de Chatelperron (voir p. 66). Pour être franc, Guénola n’a pas pu s’empêcher de mettre à sa sauce la recette de base : une pincée de paprika par là, un peu de poivre de Cayenne par ici. Le résultat fut succulent quoiqu’un peu sec. Remarque sur les assiettes d’Arvik en bois massif : c’est classe et ça flotte ! Une belle trouvaille, même s’il a fallu au préalable imperméabiliser chaque assiette avec de l’huile de colza. Le reste de la vaisselle est plus classique : couverts en inox, verres en verre (gare à la casse), mais mugs en métal émaillé, bols en inox. Rien d’introuvable. A propos, une astuce pour trouver des bols en inox idéaux pour manger à la gîte dans le cockpit : les gamelles vendues au rayon des animaux de compagnie !
A la fin de ce repas, le premier bilan zéro déchet est plutôt positif et je ne vois pas ce qui manque à notre confort, hormis des laitages frais pas franchement indispensables entre adultes. Le lait UHT en brique cartonnée se conserve très bien, les fromages à pâte dure aussi, manquent à l’appel les yaourts ou la crème fraîche impossible à conserver sans réfrigérateur. Quant au beurre, c’est le lendemain au petit-déjeuner que l’équipage me livre son secret : un beurrier à eau en céramique chiné dans un vide-grenier. L’objet n’est pas rare, mais on l’a un peu oublié. Le principe est simple : immergé dans de l’eau salée, la motte de beurre protégée de l’air ne rancira pas. C’est très efficace et validé par des générations de Bretons. En plus, le beurre reste tendre. Est-ce que ça fonctionnera sous les tropiques ? A suivre.
L’idée d’une croisière zéro déchet est quand même de naviguer. J’en ai peu parlé, car nous sommes en réalité confinés sur Arvik depuis 24 heures par un coup d’ouest qui rentre dans la rade de Penerf et rend peu engageante voire dangereuse toute sortie du port de Piriac. Au petit matin cependant, le calme plat est revenu avec juste ce qu’il faut pour aller mouiller devant la plage de galets de l’île Dumet. Une courte sortie toutes voiles hautes, l’occasion d’évoquer les deux autres aspects de leur écovoyage. L’enregistrement du chant des baleines et de toute autre manifestation de la vie marine avec un hydrophone et l’observatoire de la faune marine et des macrodéchets via l’application OBSenMer. Une application qui est aussi disponible gratuitement pour tous les navigateurs qui peuvent noter leurs observations et aider à la constitution d’une base de données open source. Une observation très active puisque
Charly, Clémence et Guénola ont aussi pris l’engagement de collecter tous les déchets flottants repérés passant à portée d’épuisette. Au moindre plastique croisé, c’est le branlebas de combat sur Arvik ! Clémence à la barre amende son cap, tandis que Guénola se saisit d’une immense épuisette. Au besoin, le grand génois est enroulé. Bref, aucune manoeuvre n’est économisée pour ôter de l’océan ce déchet, excepté peut-être la mise en route du moteur. En trois heures nous remonterons un résidu de sac, un emballage de barre chocolatée et une bouteille tandis qu’un gant en latex nous échappera de justesse, préférant sombrer dans notre sillage et qu’un nuage de microfilaments en plastique passera à travers les mailles du filet... Au rythme de leurs récoltes, on comprend que l’équipage d’Arvik ne veuille pas produire de déchet : ils vont remplir leurs coffres avec ceux des autres !