Voile Magazine

Les lecteurs ont la parole

- JEAN-PAUL SALAUN (PORT-NAVALO)

J’étais coincé à Camarinas (Galice) depuis trois semaines, le vent soufflant tous les jours en ce mois de juin entre 25 et 30 noeuds de nordet. C’était un peu le confinemen­t avant l’heure sur mon Aquila GTE (grand tirant d’eau). Puis un matin, le vent bascule sud-est, faible, je vais jusqu’au cap Vilano voir l’état de la mer. La houle étant importante, je remets mon départ au lendemain. Les prévisions météo étaient très bonnes pour les trois jours à venir, avec un petit creux dépression­naire au nord-ouest des Açores, pas de problème. Départ le mardi matin aux aurores, bateau approvisio­nné pour quatre jours. Dès la sortie de Camarinas, j’envoie le spi avec un vent toujours faible de secteur sud-ouest, le bateau appuyé file à 5 noeuds, pilote enfonction, le rêve… Puis le vent tombe doucement, la vitesse aussi, mais le spi tient en l’air. Pourquoi s’énerver? Le lendemain, le vent se lève à nouveau entre 12 et 16 noeuds, toujours au portant. Rien à signaler,les milles s’alignent durant la nuit, je dors par tranches d’un quart d’heure. Deux jours sont passés, je n’ai pas entendu le moteur tourner (vous non plus). Eh oui, voilà 48 heures que je n’ai pas rechargé les batteries... Résultat : pas moyen de démarrer le Yanmar!

Le 22 juin, à 5 heures du matin, il ne me reste plus que 100 milles pour arriver à Belle-Ile. Pas de problème, ça va le faire avec une arrivée prévue vers 23 heures à la pointe des Galères. Si je suis trop fatigué, je mouillerai ou prendrais un corps-mort avant de rejoindre Port Navalo… Toute la journée se passe comme prévu sous spi à 6-6,5 noeuds, le vent a un peuforci en venant ouest-sud-ouest. J’amène le spi, je déroule génois, la vitesse se maintient : bon timing! A 19 heures une rafale fait décrocher le pilote déjà bien fatigué (batterie faible). Je reprends la route, je roule cinq tours de génois et je prends un ris dans la grand-voile; vent autour de 20 noeuds. Puis ça monte, je réduis sérieuseme­nt le génois et prends le deuxième ris. Le vent continue de forcir, j’essaie d’amener la GV mais impossible car la troisième latte coince sur l’étage inférieur

Jean-Paul a gardé la carte où, en fuite, il avait relevé sa dérive.

de barres de flèche. Je fais lofer le bateau, la voile faseye et se déchire au niveau du deuxième ris. Je rabante tout bien serré, je ferme les coffres, balance l’annexe à l’eau amarrée avec 50 mètres de bout en pantoire sur les deux taquets arrière, le bateau en fuite, barre amarrée sous le vent et toujours le petit torchon à l’avant… La petite dépression s’est creusée et transformé­e en coup de vent. Mais dans deux ou trois heures, quand ce sera fini, je pourrai reprendre ma route sous trois ris et génois. C’est du moins ce que je me dis. La nuit est tombée, la mer est énorme, les vagues couchent le bateau. Les déferlante­s passent par-dessus le premier étage de flèche… Je me suisréfugi­é dans la pointe avant, bien calé avec des sacs de voiles. Je subis cette mer et pour la première fois en plus de soixante ans de navigation, j’ai la peur au ventre. Tout ça à cause d’une bêtise : ne pas avoir surveillé l’énergie. Les heures passent lentement; j’essaie de suivre ma dérive. Ouf, je constate que le vent, qui aurait pu me porter sur la côte de Belle-Ile, tourne doucement vers le plein ouest puis nord-ouest, m’éloignant des dangers. Mais ce n’est pas un simple coup de vent, la tempête va durer plus de vingt heures. Un cauchemar! Après six heures de fuite, le bout de l’annexe casse, accélérant la dérive du bateau. En plus, avec la barre dessous, le bateau embarde plus fréquemmen­t. Enfin tout tient encore... Lors d’une de mes visites pour porter le point GPS sur la carte, je me fais balancer par-dessus la table du carré, arrachant au passage la fargue... Pendant ces vingt heures de tempête, j’ai bu un litre d’eau et rien d’autre car le stress m’a complèteme­nt bloqué. Quand j’ai mis en fuite, j’étais à environ 30 milles dans le sud de Belle-Ile. Le 23 juin, à 17 heures, lorsque je remets en route, je suis à 30 nautiques dans le sud-ouest de l’île d’Yeu. J’arriverai finalement devant Le Crouesty le 24 vers 13 heures, soulagé et surtout heureux de n’avoir pas mis la vie d’autres personnes en danger.

Merci pour ce récit qui se passe de commentair­es... La météo reste une science parfois incertaine, restons à l’écoute des prévisions !

 ??  ?? Même l’été, la météo peut réserver des surprises, l’équipage de ce Glénans 33 s’en rend compte !
Même l’été, la météo peut réserver des surprises, l’équipage de ce Glénans 33 s’en rend compte !
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France