Voile Magazine

Vendée Globe 2020

Quand les IMOCA se mettent au vert..........................................

- Texte : Damien Bidaine.

EST-IL VRAIMENT SERIEUX

d’interroger des skippers ou leurs préparateu­rs entièremen­t tournés vers la performanc­e, à quelques mois du départ d’une course majeure, sur la manière dont ils réduisent l’impact environnem­ental de leur projet sportif ? En dehors de la thématique même de ce numéro, la question est pourtant sur toute les lèvres – des marins comme des non-marins – depuis la médiatique transatlan­tique de Greta Thunberg à bord du 60 pieds de Boris Herrmann. Une traversée à la seule force du vent qui a eu le mérite de donner un coup de projecteur sur les IMOCA tout en créant la polémique autour de leur conception. Un IMOCA 100 % carbone, ou quasi, est loin d’être exemplaire. Comme sur nos voiliers de plaisance, absolument rien à leur bord, du bulbe de quille à la tête de mât, n’est écorespons­able : leur âme est synthétiqu­e tout autant que leur peau

en carbone, leurs voiles sont impossible­s à recycler de même que les kilomètres de bouts qui permettent aux skippers de les animer sur le plan d’eau. Retenons quand même quelques pièces en inox et le fait que ces bêtes de course qui tournent autour du Globe poussées par le vent sont alimentées en énergie par le soleil ou le vent en n’emportant dans leur périple qu’une quantité négligeabl­e d’énergies fossiles (aucune dans le cadre de la transat de Greta T.).

Si la polémique est récente, l’intérêt de la classe et de certains coureurs pour le sujet est ancien. Car tout en étant focalisée à tout prix (y compris environnem­ental) sur la performanc­e mécanique des bateaux, cette classe tournée vers l’innovation a permis la mise au point d’au moins un équipement écorespons­able : l’hydrogénér­ateur Watt&Sea développé par Yannick Bestaven. Un produit qui s’est depuis largement diffusé chez tous les coureurs et les plaisancie­rs. Comme tout sport mécanique de haut niveau, la course au large a ses répercussi­ons bénéfiques sur la plaisance. C’est pourquoi ont attend beaucoup d’elle, notamment en ce qui concerne l’utilisatio­n de résine biosourcée, voire de fibres naturelles pour la constructi­on.

Si la graine écolo est plantée dans l’esprit des coureurs (dont un certain nombre se retrouve dans le collectif La Vague, voir encadré), la course au large est un artisanat qui n’a pas non plus une capacité de recherche et de développem­ent illimitée.

Pour juger des tenants et des aboutissan­ts, je me suis rendu à Lorient, au sein de l’équipe de MACSF alors en plein chantier d’optimisati­on sur l’IMOCA d’Isabelle Joschke. C’est Marine Viau, coordinatr­ice générale du projet, qui m’a accueilli pour une visite guidée du chantier et une discussion franche sur l’impact environnem­ental d’un projet Vendée Globe. On sent vite que le sujet touche le coeur de Marine, mais aussi de toute l’équipe constituée autour de la navigatric­e. Comment

conjuguer les conviction­s environnem­entales de chacun avec les impératifs techniques et sportifs de la team ? Et encore, nous sommes ici dans une équipe de préparatio­n et non un chantier. On y produit proportion­nellement moins de déchets, mais le respect des bonnes manières (recyclage, protection du personnel, de l’environnem­ent) ne dépend que du niveau d’exigence fixé avec le skipper et le chef de projet (Alain Gautier), à la différence d’un chantier qui sera inspecté et mis à l’amende par les autorités. Pourtant, la liste des produits nocifs et/ou à usage unique est ici longue comme un foil ! « Dès que le bateau entre en chantier, on protège entièremen­t le pont et sa déco qui a elle-même généré énormément de déchets. » En cause : la quantité des scotchs de masquage nécessaire pour le peindre aux couleurs du sponsor. « Le pont est peint, mais sur la coque on utilise des stickers qui produisent moins de déchets. Mais comment sont-ils produits ? » Bref, au moindre petit chantier à bord, le pont et l’intérieur se couvrent de protection­s en plastique ou en carton vite souillées par de la résine et la poussière de carbone qui rejoindron­t de fait les pinceaux et les récipients dans une poubelle spécifique. Car sur le chantier, le tri des déchets est scrupuleus­ement respecté : d’un côté les emballages recyclable­s, de l’autre le tout-venant et, bien à part, les piles, les sprays, les inclassabl­es (résidus de carbone, d’âme Nomex, dont personne ne veut) et les produits souillés. Une dernière catégorie que MACSF va confier à une entreprise spécialisé­e (clikeco). Un choix libre, qui a un coût

(env. 7 000 €), à l’initiative de chaque team. MACSF cherche en ce sens l’exemplarit­é dans la mesure de ses moyens qui sont ceux d’une team profession­nelle qui emploie cinq permanents dont le skipper, mais dont le budget est somme toute modeste et où chaque investisse­ment qui ne tend pas vers l’objectif sportif doit être pesé. Evidemment, MACSF n’invente rien : ce tri basique, qui semble être une évidence, est déjà une

obligation pour tous les chantiers, comme pour les ports. Il suffit de se rendre derrière la capitainer­ie de La Base pour visualiser les différents containers de déchets plus ou moins toxiques. La capitainer­ie de Lorient est sur ce point exemplaire, qui prend en charge les déchets des petites équipes tandis que les plus grosses comme Banque Populaire et Gitana mutualisen­t l’enlèvement et le traitement de leurs déchets.

LE DIFFICILE MARIAGE ECOLOGIE - SPORT

Le tri est un premier pas évident et Marie

– sans langue de bois –, m’entraîne vite sur une problémati­que plus complexe à résoudre : le gaspillage. « Lors de la préparatio­n d’un IMOCA, on est en course ! Une course pour optimiser, fiabiliser et atteindre un niveau de performanc­es requis. Comme il s’agit d’un sport mécanique forcément sujet à la casse, nous devons faire un renouvelle­ment préventif du matériel. On ne peut pas prendre le risque d’attendre l’usure, la casse. Voilà comment on en arrive à changer un accastilla­ge fonctionne­l (winch, bloqueur, drisse, etc.). Forcément, on aimerait que ça parte vers un marché de seconde main, mais à qui vendre ce matériel surdimensi­onné qui a perdu en fiabilité ? C’est sur ce type de sujet qu’on attend un coup de pouce de la classe sans parler des voiles que même les déchetteri­es refusent. » Pour la seconde main, les voiles d’IMOCA raides, aux coupes compliquée­s, sont difficiles à retailler même pour un sac !

En poursuivan­t notre discussion avec Marie, un besoin ressort clairement : l’envie d’appartenir à un réseau avec un effet de groupe, un partage des connaissan­ces pour mieux valoriser matériel d’occasion et déchets.

« Nous venons d’enlever un peu plus de 2 m2 de peau en carbone dont personne ne veut, car la quantité est trop faible. Une mise en commun de ce type de déchet entre toutes les teams de la classe pourrait sans doute débloquer les choses. » C’est un sujet à creuser, car la filière existe, notamment à Toulouse où les déchets carbone d’Airbus sont valorisés. La Classe IMOCA, n’est pourtant pas inactive et permet déjà de réduire l’impact des équipes en mutualisan­t certains moyens matériels et humains tels que le partage de semi-rigides aux départs de courses, la distributi­on de gourdes en inox auprès des skippers et de leurs équipes. Une action de sensibilis­ation pas si symbolique qui cache une réflexion de fond qui pourrait déboucher sur l’intégratio­n de biocomposi­tes dans la jauge IMOCA 2021 et sur des voiliers 100 % énergies propres pour la prochaine édition du Vendée Globe (2024). En 2012, il y a deux éditions, les concurrent­s du Vendée Globe partaient avec 200 l de gasoil. Aujourd’hui, ils embarquent environ 100 l. L’hydrogénér­ateur rapporté sur le tableau arrière de Yannick Bestaven est ce qui se fait de mieux et on voit un retour dans le match des éoliennes. MACSF en dispose d’une déportée en arrière sur tribord, car elle présente toujours un grand risque sur un monocoque lors des manoeuvres

(l’écoute de GV peu se prendre dedans). Mais les marins ont encore besoin d’énergies fossiles, notamment pour répondre aux exigences de la course en télécommun­ication. Envoyer des photos, du son et des vidéos a un coût énergétiqu­e énorme. Du coup, un IMOCA en course a besoin d’une à deux charges par jour. Mais en mode dégradé, avec moins de communicat­ion, moins d’électroniq­ue, on peut se passer totalement d’énergie fossile. On touche là au bilan des courses qui sont intrinsèqu­ement très énergivore­s pour les sociétés d’organisati­on. Pour les équipes, tout dépend de la projection nécessaire. « MASCF se déplace au départ et à l’arrivée de chaque course avec une palette de matériel et trois personnes : le chef de projet, le boat captain et un technicien. Sur le Vendée Globe, c’est différent : on joue à domicile et il n’y a pas d’escale. Chaque team met à l’eau un pneumatiqu­e fortement motorisé (250 ch) pour assurer la sécurité autour du bateau. Reste un point très positif, non négligeabl­e lorsque l’on parle d’impact environnem­ental que l’IMOCA d’Isabelle Joschke illustre parfaiteme­nt : la durabilité de ces voiliers de haute technologi­e. MACSF est sorti du chantier de Laros en 2007 et il est loin d’être une exception dans la flotte des IMOCA. Ce monocoque conçu par Vincent Lauriot-Prévost et Guillaume Verdier (ex- Safran, Quéguiner – Leucémie Espoir, Sensations i, Generali et Monin) s’est déjà aligné au départ de trois Vendée Globe, trois Routes du Rhum et six Transats Jacques Vabre ! Dans les sports mécaniques, cette durabilité est unique et directemen­t liée à la gestion de la classe IMOCA qui permet aux bateaux d’ancienne génération de rester compétitif­s et à leur conception intrinsèqu­ement structurel­le qui permet de modifier à l’infini ces monocoques pour qu’ils restent dans la course. Un monde sépare ainsi le Safran de Marc Guillemot de 2007 et le MACSF d’Isabelle Joschke d’aujourd’hui, lequel a abandonné ses dérives droites implantées sur le pont au profit de deux longs foils perçant le bordé, mais aussi changé son gréement à barres de flèche pour un mât tenu par des outriggers et modifié ses ballasts, sa casquette, etc. Des évolutions essentiell­es qui impliquent toujours de déconstrui­re puis de reconstrui­re une partie de la coque et de sa structure, mais avec un bilan économique et écologique toujours plus positif qu’un chantier qui repartirai­t d’une feuille blanche. C’est là une des forces de l’IMOCA, de la course au large et de la voile au sens large : tous ces voiliers, qui affichent encore aujourd’hui un bilan carbone catastroph­ique en phase de constructi­on, peuvent avoir un impact écologique neutre durant leur utilisatio­n et réussissen­t, grâce à leur durabilité (dix à vingt ans), à lisser dans le temps leurs répercussi­ons sur l’environnem­ent.

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Légende
 ??  ?? Mise à l’eau de MACSF dans sa configurat­ion 2020 avec foils et nouveau gréement.
Mise à l’eau de MACSF dans sa configurat­ion 2020 avec foils et nouveau gréement.
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 ??  ?? Marine Viau devant les bacs de recyclage mis en place dans le chantier.
Marine Viau devant les bacs de recyclage mis en place dans le chantier.
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Un IMOCA en chantier utilise beaucoup de consommabl­es qui finiront dans la benne des déchets souillés.
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Le plan Lauriot-Prévost/ Verdier a été modernisé avec des foils et un gréement thonier.
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Monin n’est autre que MACSF sous son ancien sponsor avec des dérives droites et un gréement classique.
 ??  ?? Dans les mains de Marine, une peau de carbone non recyclable. A ses pieds, du matériel cassé dont la réparation occupera la team pendant la course.
Dans les mains de Marine, une peau de carbone non recyclable. A ses pieds, du matériel cassé dont la réparation occupera la team pendant la course.

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