Low-Tech Lab : la fine équipe de Corentin de Chatelperron et ses bricolages écolos
Comment, venu à Concarneau pour apprendre à réaliser une lampe solaire, on en repart avec la banane et une irrésistible envie de changer la vie ! Ça tombe bien, à terre comme en mer, on dirait que c’est le moment.
ON LE SAVAIT peu ordinaire, iconoclaste, inclassable, mais Corentin de Chatelperron nous étonne toujours. Au Voilier de l’année 2011, auquel il avait participé aux côtés d’Alessandro di Benedetto alors président du jury, il avait déjà apporté sa fraîcheur et ce brin de folie incarné à l’époque par Tara Tari. Cet improbable voilier-canoë, il l’avait lui-même construit au Bangladesh
avec un composite à base de fibre de jute avant de le ramener en France par la mer au terme d’une navigation épique. Laissant la barre à Capucine Trochet, qui mènerait Tara Tari de l’autre côté de l’Atlantique*, Corentin allait de son côté poursuivre – et poursuit toujours – le développement de la fibre de jute pour la construction, mais aussi pour le mobilier ou d’autres applications. Il allait également enchaîner diverses aventures en milieu isolé, des expériences autarciques qui le mèneraient à ce principe de « low-tech ». Low-tech… mais encore ? Un objet low-tech répond à trois critères : il est réellement utile, dans le sens où il satisfait un besoin fondamental, il est accessible, c’est-à-dire peu onéreux et peu complexe, et il est durable, à savoir aussi écologique que possible car souvent constitué de pièces récupérées, robuste et réparable. Par opposition, vous l’aurez compris, aux hautes technologies, c’est un peu un avatar de notre bon vieux système D, mais érigé en art de vivre et inventorié par le menu par une équipe, celle du Low-Tech Lab. Sur le site de l’association, salariés et bénévoles ont mis en ligne pour chacun de ces objets des tutoriels
très détaillés. Dès le début de son aventure, Corentin s’est aperçu que ces techniques, ces trucs, ces bricolages malins comme tout relevaient d’un savoir-faire local qu’il convenait de partager globalement. C’est tout le sens du grand tour du monde des low-techs qu’il entreprend depuis 2015 sur son cata Nomade des Mers. Son principe : naviguer à la rencontre des inventeurs et des propagateurs de low-techs en tout genre, formaliser et propager leurs savoir-faire, les combiner aussi parfois – comme pour cette lampe solaire que nous avons réalisée à ses côtés et dont nous vous proposons le « tuto ».
NOMADE DES MERS, LE BIEN NOMME
Pour bricoler à ses côtés, nous avons d’abord attendu l’un de ses rares passages en France, tandis que Nomade des Mers était en escale prolongée au Mexique. Nous avons ensuite réussi à trouver une journée libre dans son emploi du temps médiatique très dense. Nous sommes enfin allés le retrouver à Concarneau, plus précisément chez Explore, le collectif initié par Roland Jourdain qui héberge le Low-Tech Lab. Un endroit incroyable, soit dit en passant, où on retrouve à la cantine Ghislain Bardout et toute l’équipe d’Under The Pole, Eric Bellion, Gwénolé Gahinet venu dire bonjour… A dire vrai, la présence de Gwénolé n’est pas tout à fait un hasard. L’équipier de François Gabart est venu débriefer avec Corentin l’expérience « zéro déchet » initiée sur le trimaran Macif pendant la Brest Atlantiques (voir par ailleurs). Avec l’aide de Noémie Le Gallic, de Mer Concept, Gwénolé a initié une petite révolution logistique dans la course au large en remplaçant les traditionnels plats lyophilisés par des aliments secs, conditionnés en boîtes ou sous vide. Certains de ces aliments embarqués sur Macif avaient d’ailleurs été déshydratés « maison », à l’image des pommes – délicieuses, je peux en témoigner – issues du jardin de Gwénolé. Tous les fruits et légumes peuvent être ainsi déshydratés et mis sous vide à l’aide de cette petite pompe façon « aspi venin » que l’on colle sur la valve du sachet ad hoc. Très convaincant ! Le déshydrateur, en revanche, vaut au moins 200 € et n’est pas spécialement économe en énergie. Pour les pommes, c’est 15 heures à 75°, ventilation en action. Certains déshydratent dans leur four, mais le résultat n’est pas garanti, faute justement d’une ventilation suffisante.
Corentin, quant à lui, est très porté sur les graines, qu’elles soient sèches ou germées. Pour le déjeuner, il nous a d’ailleurs concocté son « plat de base » (sic), à ses yeux le repas idéal : nutritivement consistant et équilibré, pas cher (environ 1 €) et très bon ! Il consiste en une poignée de graines éventuellement complétées par des fruits secs, le tout légèrement grillé à la poêle et accompagné d’un féculent type semoule ou autre et d’un peu de verdure, généralement des graines germées. Il en a toujours sur Nomade des Mers. A Concarneau, nous nous contenterons d’un peu de salade verte. Dans la poêle, ce sera un mix de graines de courge, d’arachides et de raisins secs et, comble du luxe, Corentin nous autorise un oeuf.
Sur Nomade des Mers, il a renoncé aux poules qu’il ne pouvait pas élever dans des conditions décentes. Il garde la forme grâce à la spiruline qu’il collecte en mer et qu’il cultive à bord. Avec cette algue microscopique, il se concocte une sorte de boisson énergétique maison !** Quant à ses protéines, elles ont pris une autre forme, car à l’image du prophète qui se nourrit de sauterelles grillées, Corentin élève et mange des grillons, insectes dont par ailleurs il apprécie le chant à la saison des amours.
Et ce n’est pas une blague, cette période
de reproduction demande même une certaine application à l’éleveur qui doit récolter les oeufs et les placer dans un milieu favorable à leur éclosion. Idem pour les mouches. Non, rassurez-vous, Corentin n’en est pas venu à se nourrir de mouches, mais il élève une certaine variété dont les larves particulièrement voraces ont le mérite de réduire, voire éliminer tous les déchets organiques. Fini les traitements chimiques ou la corvée de vidange des toilettes sèches : les asticots s’en chargent. D’accord, vous n’êtes pas obligé d’aller aussi loin dans la transition écologique du bord, en particulier si les nuages de mouches ou les chants des grillons ne font pas l’unanimité chez vos voisins de ponton. Mais entendre Corentin raconter sa vie de fermier des insectes vaut son pesant de graines de courge. Car ce garçon-là garde une fraîcheur et une énergie communicatives. Au-delà de son sujet de prédilection – les fameuses low-techs –, c’est cette énergie qu’on vient puiser à ses côtés en même temps qu’un puissant éclairage latéral. Corentin a la sobriété joyeuse et une façon irrésistible à ne pas se prendre trop au sérieux pour vous amener, mine de rien, à faire un grand pas de côté.
* Tara Tari, mes ailes, ma liberté, chez Arthaud, 288 pages, 19,90 € **On rigole, mais le sujet est sérieux ! Et richement documenté sur le site du Low-Tech Lab (lowtechlab.org)