Voile Magazine

Nouvelle rubrique : Défricheur­s d’océans

- Olivier Le Carrer

Insatiable Nicole, curieuse de tout ce qui n’est pas dans les clous… Avec elle, on ne sait jamais par où commencer : son tour du monde – premier du genre – en 1968 ? Ses longs vagabondag­es dans les canaux de Patagonie ? Son hivernage solitaire au milieu des glaces et des ours blancs du Spitzberg ?

Puisqu’il faut bien un début à tout, situons-le en 1960 sur les côtes de la mer du Nord. Nicole, tout juste quinze ans, vient de s’offrir – grâce à la donation d’une grand-mère – son premier vrai bateau. Fille de musiciens venus de Belgique, elle a passé son enfance à s’ennuyer dans les verts pâturages du pays d’Auge. Sans même aller à l’école : sa mère préfère lui dispenser à domicile instructio­n générale et leçons de piano. A la barre d’Alouette, un Corsaire d’occasion, sa vie change de couleur. Elle apprend à son rythme et découvre le large au printemps 1967 lors d’un stage d’école de croisière à bord d’un certain Joshua.

S’ensuit une solide complicité avec le couple Moitessier et une longue quête du croiseur idéal… de préférence compatible avec ce qu’il reste de l’héritage de la grand-mère. Nicole déniche un petit chantier hollandais, travaille d’arrache-pied sur les finitions histoire d’alléger la facture, et trouve tout de même le temps de passer une partie de l’été 1968 à Plymouth pour donner un coup de main à Bernard Moitessier et Loïck Fougeron en partance pour le Golden Globe. Le 10 septembre de la même année, elle fête simultaném­ent son

23e anniversai­re et le lancement d’Esquilo. En décembre, c’est parti, a priori pour les Antilles, mais allez savoir… Elle n’est pas seule au début : Françoise Moitessier lui a vivement recommandé un équipier pour démarrer en douceur ce parcours hivernal. Cela ne pose aucun problème à Nicole qui se contrefich­e d’inscrire son nom dans un livre des records et entend juste mener sa barque où et quand elle veut, accompagné­e ou non. Pendant plus d’un an, elle sillonne les Caraïbes avant de franchir le canal de Panama pour aller voir ces mythiques Galapagos dont lui ont tant parlé Françoise et Bernard. Fascinée par ce paradis, elle en repart à regret cinq mois plus tard, son devoir lui intimant – croit-elle – d’aller retrouver sa famille en Europe. En repassant Panama, la rencontre de Don, solitaire américain cheminant en sens inverse à bord du petit Kawan (7,70 m) sème le doute. Revenue côté Atlantique, elle hésite puis fait demi-tour, franchit le canal pour la troisième fois en moins de six mois et vogue à la poursuite de Don. Ils se retrouvent au terme d’une charmante course-poursuite, continuent à naviguer un temps « chacun chez soi », en se suivant, puis vendent le bateau de Don à Tahiti, se marient et accueillen­t par la même occasion la naissance d’une petite Sabrina.

A l’automne 1972, Esquilo et ses trois occupants reprennent leur route vers l’ouest. Route singulière suivant la logique très personnell­e de Nicole qui n’aime rien tant que s’arrêter dans les endroits déconseill­és. A l’exemple du redouté détroit de Torrès que les plaisancie­rs « normaux » passent au plus vite en serrant les dents : eux vont y traîner trois semaines en explorant chaque îlot et en se promettant de revenir passer des mois dans cet endroit magique. En septembre 1975, Esquilo retrouve les eaux européenne­s. Sept ans autour du monde, ça donne le temps d’en profiter, non ? Pas tant que ça, confiera Nicole : « J’ai toujours eu l’impression d’être pressée… »

Il y aura ensuite d’autres bateaux et de nouveaux voyages. Sans Don, car le besoin d’immensité de Nicole s’accommode finalement mal des limites de la vie commune.

Entre autres aventures, retenons cette étonnante première, en 1995, seule à bord d’un JOD 24 tracté par des cerf-volants entre Canaries et Guadeloupe.

Et puis hélas le point final de l’histoire, que l’on aime trouver beau pour oublier qu’il est triste : Nicole terrassée par un malaise le 21 février 2008 au bord des glaciers de Patagonie, dans la région qu’elle avait fini par préférer à toutes les autres.

« J’ai fait les deux choses qui me tenaient à coeur : venir aux Galapagos et naviguer en solitaire. Ni l’une ni l’autre ne m’ont déçue ».

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 ??  ?? La coque de 9 m en acier d’Esquilo (écureuil en portugais) cale 1,45 m et porte 42 m2 de voilure.
La coque de 9 m en acier d’Esquilo (écureuil en portugais) cale 1,45 m et porte 42 m2 de voilure.
 ??  ?? Epuisé mais toujours disponible chez les bons bouquinist­es, le récit du tour du monde d’Esquilo est un texte passionnan­t, à la fois très précis sur les péripéties techniques du voyage et conforme au tempéramen­t de la navigatric­e : imprévisib­le…
Epuisé mais toujours disponible chez les bons bouquinist­es, le récit du tour du monde d’Esquilo est un texte passionnan­t, à la fois très précis sur les péripéties techniques du voyage et conforme au tempéramen­t de la navigatric­e : imprévisib­le…

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