Voile Magazine

Les cabotages de l’été : Molène et Ouessant en First 18 et 24 !

- Texte : François-Xavier de Crécy. Photos : Pâquerette Wannebrouc­q et l’auteur.

Sur la carte, ces îles du bout du monde attirent le regard. Puis elles titillent l’imaginatio­n jusqu’à susciter chez plus d’un marin une attirance irrésistib­le… Mais attention, c’est une virée en eaux capricieus­es qui demande une préparatio­n minutieuse. Ouessant, notamment, c’est du sérieux.

DES VAGUES QUI PRENNENT

de la pente et déferlent sans prévenir, des crêtes qui se resserrent et s’effondrent lourdement un peu partout… Au nord, les anciens pylônes du téléphériq­ue de relève du phare de Nividic évoquent irrésistib­lement deux lugubres potences. Au sud, c’est le phare de la Jument et, dans les deux cas, même par temps maniable comme aujourd’hui, un vrai chaudron de sorcière attend le marin distrait… Sûr qu’on n’est pas près de l’oublier, l’île d’Ouessant et sa baie de Lampaul.

Des atterrages mal famés, des remous imprévisib­les, et un port pas très fréquentab­le par vent d’ouest, c’est-à-dire la plupart du temps. D’où les deux questions qui me taraudent en entrant dans cette baie mal embouchée à la barre d’un tout petit First 18. 1 : qui a bien pu avoir l’idée d’y faire un port ? 2 : et moi, qu’est-ce que je fais là ?

En fait, tout a commencé au Grand Pavois, en septembre dernier, quand j’ai confié à François Coutant ce projet insolite : contempler depuis l’île de Molène le coucher de soleil le plus tardif de l’année, le 21 juin. Et le « Monsieur First » de Bénéteau de rétorquer que si je veux le dernier coucher de soleil de France métropolit­aine, ce n’est pas à Molène mais à Ouessant qu’il faut aller, et de préférence du côté du Créac’h. Ce qui est en soi incontesta­ble. Et tant pis si, en ce qui me concerne, c’est surtout l’archipel de Molène, ses différents cailloux, ses sables blancs et ses phoques qui m’attirent. Tant pis si l’accès à Ouessant est gardé par le terrible Fromveur (le bien nommé torrent en breton), a priori peu indiqué pour des petits bateaux, et tant pis si notre préparatio­n laisse à désirer… Car l’idée semée dans l’esprit de François est devenue un projet indiscutab­le : pour lui, ce sera Ouessant ou rien ! Comment lui dire non ? D’autant que, hasard de la vie et d’un triste calendrier, ce départ se ferait le lendemain du dernier adieu à l’ami Rubi qui vient de larguer les amarres pour de bon. Aller au Créac’h, amer remarquabl­e du journalist­e emblématiq­ue de Voile Mag, le lendemain de cet hommage rendu au Père-Lachaise, et une semaine avant la dispersion de ses cendres au phare d’Ar-Men, à quelques milles de là… Là encore, impossible de se dérober.

LA JUMENT, LE CUL SUR UN FIRST 18...

Et voilà comment on se retrouve le cul sur un First 18 assailli par les déferlante­s, dans un courant de 6 ou 7 noeuds, on ne sait pas, à essayer de gagner le fond d’une baie mal abritée. La veille, François et Mathilde (voir encadré) ont mâté et mis à l’eau les bateaux sur la cale du Conquet, un port où les pêcheurs visiblemen­t règnent en maîtres. Le directeur du port, absent mais contacté par téléphone, nous a attribué deux coffres proches de la rive nord de la ria, c’est-à-dire au-delà des digues et pile dans l’axe du vent d’ouest. Mauvaise pioche : le front prévu pour cette nuit va générer 25 à 30 noeuds de vent, et le clapot à l’avenant. Autant dire une nuit quasi blanche dans la minuscule cabine du First 18, mais qu’importe ; au matin il fait grand beau et tout est oublié après un café en terrasse. Et nous voilà tout excités de mettre les voiles avec cette destinatio­n de rêve : le bout du monde ! Pour ne pas prendre la marée descendant­e à rebrousse-poil, nous empruntons la route sud, celle qui passe devant les Pierres Noires avant de gagner l’ouest, idéalement avant que le flot soit trop fort dans le Fromveur. L’avantage de ce groupe d’îles, au large de la pointe Saint-Mathieu, c’est que les distances y sont courtes et tout se passe pour le mieux.

La houle est impression­nante, mais étendue et facile à négocier. Les choses se corsent un peu dans le Fromveur, mais on s’y attendait et ça ne passe pas si mal. C’est en baie de Lampaul, comme on l’a vu, que les choses se corsent. Douchés par son accueil, nous l’avons maudite et pourtant, nous sommes bien entendu les seuls à blâmer ! D’abord, nous avons sous-estimé le petit coup de vent passé pendant la nuit. Il avait levé une mer qui était encore costaude, et entretenue par une brise

certes maniable mais néanmoins tonique

– et toujours d’ouest. Ensuite, à bien examiner notre trace sur la cartograph­ie numérique, nous sommes passés trop près des dangers au nord-ouest de la Jument. Nous avons eu l’impression de lui donner un large tour, mais en vérité nous avions trop hâte d’abattre en grand après de longs bords de près. Enfin… par vent d’ouest, nous aurions dû mettre d’emblée le cap sur la baie du Stiff. Une évidence quand on y repense ! Nous avons pensé que le fond de la baie serait abrité par les bancs découvrant à marée basse, ou du moins nous avons eu envie de le croire parce que nous voulions arriver au plus près du Créac’h, notre objectif. Bref, ce fut une erreur et une bonne leçon, qui par chance ne nous a coûté qu’un bon coup d’adrénaline… et une deuxième mauvaise nuit. Par bonheur elle fut courte : nous sommes le 21 juin.

Et la soirée, commencée dans le petit bassin d’échouage où nous sommes rentrés au culot, a pris tout son temps.

LES GRANDES ORGUES D’OUESSANT

Dans ce petit havre oublié du monde, quelques barques, un vieux RM en escale dont le propriétai­re attend le calme plat pour ressortir. Le bourg de Lampaul, « capitale » de l’île, est en surplomb. Nous nous contentons de la traverser pour gagner le phare du Créac’h, à une petite demi-heure de marche, pour un pique-nique panoramiqu­e sur la falaise battue par la houle. Les grandes orgues d’Ouessant ! Malgré la dénivelée, le fracas est constant. Plus au large, les zones de remous déferlant sont plutôt jolies à regarder… de loin. Nous qui sommes venus voir le coucher de soleil le plus tardif de France métropolit­aine, nous attendrons en effet, malgré une fatigue certaine, que la pastille orangée touche l’horizon occidental, ce qui finit par se produire, si vous voulez tout savoir, à 22h22. Evidemment tout cela n’est qu’un prétexte à venir saluer ces hautes terres d’Iroise et la mémoire de l’ami Rubi qui s’est éteint, rappelons-le, vingt-deux ans jours pour jour après Eric Tabarly. Rendus pensifs par cette coïncidenc­e, nous entamons la route du retour tandis que le Créac’h s’allume et nous salue à son tour de son éclat visible à 100 milles… Ultime clin d’oeil du destin, comme si le phare le plus puissant d’Europe rendait à son tour hommage à notre ami. Mais la fatigue insiste, nos couchettes nous appellent. Nous les regagnons donc après avoir retrouvé les bateaux à sec, posés sur un terrain hélas un peu plus caillouteu­x que prévu. N’empêche, l’immobilité a du bon et la nuit commence par un sommeil réparateur, jusqu’au retour de l’eau. Car il se fait ici par à-coups assez brutaux, le petit bassin se remplissan­t par vagues, avec succession de petits mascarets que mon imaginatio­n nocturne grossit sans doute. Les incessants coups de rappel sur les amarres, eux, sont bien réels. Bon, en même temps on l’a un peu cherché ! Quoi qu’il en soit, la sortie de la baie se passe mieux que l’entrée, un peu parce que la houle s’est amortie, un peu aussi parce que nous passons plus au large. Le Fromveur est en revanche assez sportif, car cette fois-ci le vent s’oppose au courant. Mais la brise a halé au sud, et nous pouvons abattre pour compenser le jusant et aller en crabe dans la bonne direction. C’est donc plutôt plaisant, il y a quelques bons surfs à prendre sur nos plans Manuard, des First nés, faut-il le rappeler, sous la bannière du chantier slovène Seascape. Mais la faute de quart est fortement déconseill­ée et nous restons dans une logique de gestion de la vitesse dont l’objectif est la sécurité. Bertrand, à la barre, fait des merveilles dans ce registre tandis que je régule à l’écoute – rarement, car nous avons gardé un ris – et m’occupe de la navigation. François, à la barre du First 24 en compagnie de Mathilde et de notre photograph­e Pâquerette, ralentit régulièrem­ent sa monture pour rester au contact. Incroyable comme ce First 24, 7,50 m de long, paraît grand depuis le cockpit du 18 ! Un vrai navire amiral et surtout un vrai croiseur, avec ses filières et son rouf, tandis que le First 18 tient plutôt du sportboat planant adapté au camping côtier.

Le Fromveur franchi, la mer s’aplanit pour un temps. Mais pour un temps seulement, car nous restons ambitieux et visons la passe ouest de Molène. Là, l’ambiance est également sportive mais différente. La mer se creuse sérieuseme­nt et déferle, mais elle est mieux rangée. Idéale pour s’offrir des surfs sauvages – nous garderons longtemps l’image du First 24 nous doublant comme une flèche à une longueur de bateau, déjaugé jusqu’à la quille ! « 17 noeuds » annonce François. Et pourtant, en moyenne nous sommes plutôt à 2-3 noeuds sur le fond. Nous finissons par

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 ??  ?? La manette en coin, le First 24 remorque le 18 pour entrer dans le petit bassin de Lampaul.
La manette en coin, le First 24 remorque le 18 pour entrer dans le petit bassin de Lampaul.
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 ??  ?? Le phare des Pierres Noires marque la chaussée éponyme et le sud du plateau de Molène.
Le phare des Pierres Noires marque la chaussée éponyme et le sud du plateau de Molène.
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Long. : 7,29 m. Largeur : 2,50 m. TE : 0,25-2 m. Lest : 320 kg. Dépl. : 960 kg. SV au près : 40 m2. Matériau : strat. verre. Arch. : Manuard YD. Const. : Bénéteau. Prix : 56 880 €.
FIRST 24 Long. : 7,29 m. Largeur : 2,50 m. TE : 0,25-2 m. Lest : 320 kg. Dépl. : 960 kg. SV au près : 40 m2. Matériau : strat. verre. Arch. : Manuard YD. Const. : Bénéteau. Prix : 56 880 €.
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 ??  ?? Moment de détente bien mérité dans le cockpit du First 24, à Lampaul.
Moment de détente bien mérité dans le cockpit du First 24, à Lampaul.
 ??  ?? La tour du Stiff, à l’autre bout de l’île, tutoie le levant au petit matin.
La tour du Stiff, à l’autre bout de l’île, tutoie le levant au petit matin.

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