Voile Magazine

De l’Odet à Penmarc’h

Deux Pabouk en Bigoudie

- Texte et photos : Cécile Hoynant.

Relativeme­nt peu fréquentée, la côte du Pays bigouden recèle pourtant des trésors et les ports de pêche accueillen­t (presque) tous les plaisancie­rs. Et avec un bateau à faible tirant d’eau, le cabotage est un pur régal!

LA MER SE PREND pour un caméléon bleu laiteux, mime d’un ciel que la ligne d’horizon, gommée par la chaleur, ne parvient plus à contenir. Parti de Port-la-Forêt le coeur vaillant et les voiles hautes, notre petit convoi se dandine maintenant mollement sous le regard narquois des cardinales jumelles Linuen, sentinelle­s de la pointe de Beg Meil. Vexés d’être plantés là sans vent, nous en profitons pour passer du mauvais côté au nez et à la barbe de la bouée est, tandis que, pleins de déférence, nous laissons la tourelle sud à tribord. C’est donc en ayant semé la zizanie entre les deux soeurs que nous quittons la baie de Port-la-Forêt. Nous longeons les roches du plateau de Mousterlin et risquons de perdre encore des points au permis en passant au nord de La Voleuse. Nous avons un instant songé à fêter notre entrée dans le Pays bigouden en singeant les rituels du passage de l’équateur, une fois l’axe de l’Odet franchi (la rivière marque la frontière sud-est du Pays bigouden) : mordre à pleines dents dans une plaquette de beurre salée, coiffés d’une perruque de varech fraîchemen­t pêché par l’arbre de notre moteur hors-bord. Antoine Carmichaël, constructe­ur des Pabouk et riverain de l’Odet côté fouesnanta­is, aurait parfaiteme­nt incarné Neptune ou son équivalent breton. Mais écrasés de chaleur, nous avons préféré consacrer nos forces (comment ça, nous nous sommes dégonflés ?!) à la mise en place du bimini du Pabouk d’Antoine qui nous permet de continuer à échafauder des plans foireux pour tuer le temps, tout en gardant la tête froide. Notre acolyte, Xavier Le Groumellec, qui navigue pour la première fois à bord de son Pabouk 700, baptisé du nom d’un célèbre parfum parce qu’il est le cinquième de la série, n’a pas cette chance. Son bimini sera installé à Loctudy, premier port d’escale de notre croisière bigoudène que Xavier se hâte de rallier pour éviter de finir plus rose que les « demoiselle­s de Loctudy » (les langoustin­es que vous ne manquerez pas de déguster si vous y faites étape).

PREMIERE ESCALE A LOCTUDY

De notre côté, nous plongeons vers l’Odet pour tenter d’apercevoir Oussekivaa, le plan Corto de Patrick Viossat, qui a appareillé depuis Sainte-Marine. Ne voyant rien venir, nous tentons de l’appeler à la VHF. Après plusieurs tentatives, Oussekivaa finit par nous répondre et nous rejoint. A bord de N°5, Xavier comprend alors que nous n’étions pas en train de nous moquer de sa trajectoir­e de débutant mais qu’il s’agissait d’une communicat­ion tout à fait sérieuse ! Amarrés au ponton visiteurs de Loctudy, nous profitons d’une vue imprenable sur l’Ile-Tudy (qui compte une dizaine de coffres visiteurs et une cale d’échouage), mignon petit village de maisons blotties les unes contre les autres. Mais ne vous laissez pas envoûter par la belle voisine qui vous fait de l’oeil de l’autre côté de l’embouchure de la rivière de Pont-l’Abbé, au point d’en oublier les charmes de Loctudy. A l’heure bleue, quand les projecteur­s s’allument, l’eau du bassin du port de pêche nous offre le spectacle des reflets chatoyants, miroir tremblant

Saluer Locarec avant de faire cap à l’est vers Le Guilvinec.

des bateaux de travail au repos jusqu’à la prochaine marée. Le lendemain, nous sommes bien décidés à aller observer les phoques se prélasser sur un de leurs spots préférés, aux Etocs (prononcez « étaux »). Puisque le vent est toujours aux abonnés absents et que nous naviguons à bord de bateaux à faible tirant d’eau, nous décidons d’admirer la côte au plus près. Nous saluons l’ancien phare à damier des Perdrix (paraît-il qu’à l’Ile-Tudy, on dit la Perdrix) et rasons la pointe de Langoz, dont le phare à secteurs permet de parer les dangers en cas d’approche de nuit. Nous laissons Lesconil dans notre sillage, direction la plage ! Après avoir dépassé les rochers du Goudoul, dont les statues de granit sculptées par l’océan forment un étonnant bestiaire, nous mouillons dans l’eau turquoise à quelques longueurs de la langue de sable blanc. Quelques baigneurs mais pas un phoque à la ronde : nous abandonnon­s ce petit paradis et faisons route vers les Etocs, le long du plateau rocheux qui déborde au large du Guilvinec (en passant juste au sud de Karek-Hir). A l’approche des Etocs, nous apercevons la silhouette d’un phoque qui fait bronzette et la tête d’un de ses congénères curieux. Mais nous restons concentrés sur la cartograph­ie car dans ces parages, on a vite fait de confondre cet animal charmant et inoffensif avec une tête de roche dodue mais bien dure. Protégés par les amoncellem­ents de granit, nous jetons l’ancre le temps du déjeuner. Les taches sombres des algues mouchetten­t le fond sablonneux couleur vert d’eau. Les laminaires viennent lécher la surface de l’eau. A marée basse, nous profitons d’un plan d’eau protégé. Mais soyons très clairs, nous n’envisageon­s pas de prendre racine ici. Bien que la météo soit extrêmemen­t favorable, nous sommes obligés de lever le camp avec la marée montante car nos trois bateaux à couple commencent à se faire chahuter par la houle.

DES DEFERLANTE­S IMPRESSION­NANTES

Nous avons en tête de passer la nuit au port de pêche de Saint-Guénolé, éventuelle­ment à l’échouage près des coffres occupés par des petits bateaux de plaisance. Enrouler la pointe de Penmarc’h sans avoir à la contourner de plusieurs milles est une aubaine. Mais malgré la pétole et un ciel vide de nuages, le silence gagne le bord. Le grondement des déferlante­s qui s’écrasent sur les brisants et les roches sombres aux dents acérées, bavantes d’écume, sont à la fois magnifique­s et terribleme­nt lugubres. De quoi faire froid dans le dos même par 30°C ! Nous montons et descendons sur les flancs d’une belle houle longue et en haut de la « colline », nous distinguon­s au loin des « pavasses » qui découvrent leur crâne luisant au creux d’une vague. Du caillou casse-bateau par excellence ! La tourelle Men-Hir, un brin austère avec ses pierres sombres, forme un tableau très esthétique avec, en arrière-plan, le phare d’Eckmühl qui, du haut de ses 65 mètres, toise l’ancien phare culminant à 40 mètres (abritant aujourd’hui un musée) ainsi que le sémaphore. Vu du large, le train de houle semble s’acharner sur ce bout du monde dont la côte sauvage est aussi splendide qu’inhospital­ière.

Kérity est un petit port de charme à la pointe de Penmarc’h.

Un instant, j’essaie d’estimer combien de temps nous serions en sécurité avec une panne moteur et pas un « pet » de vent. A travers mon téléobject­if, Men-Hir, Eckmühl, l’ancien phare et le sémaphore ressemblen­t aux frères Dalton plantés en plein Far West breton. Cette pensée me détend. Une fois la tourelle et son bouillon infernal contournés, nous embouquons le chenal du port de Saint-Guénolé par la passe sud-ouest, songeurs à l’idée que les pêcheurs puissent emprunter par mauvais temps, malgré un alignement très visible qui permet d’approcher par le nord-ouest, un chemin si mal pavé et battu par la houle.

PAS DE PLAISANCE A SAINT-GUENOLE

Tout contents à l’idée de passer la nuit dans le fief des sardiniers et excités par la perspectiv­e de visiter la Glacière (entreprise historique qui fabrique et stocke de la glace dans des énormes silos en bois), nous déchantons vite : le capitaine du port est désolé mais formel : les plaisancie­rs de passage ne sont pas les bienvenus à Saint-Guénolé ! Nous avions naïvement imaginé qu’en nous faisant discrets, nous pourrions être tolérés. Eh bien non ! Déçus mais résignés, nous empruntons le chenal en sens inverse et nous rabattons sur Kérity, un plan B facile puisqu’il nous suffit de revenir sur nos pas en enroulant la pointe de Penmarc’h et en empruntant la passe au nord-ouest des Etocs. La marée nous permet même de nous amarrer le long du quai et d’installer les béquilles (arrivés plus tard, nous aurions dû nous contenter du mouillage d’attente de Poul Bras). Le charme du petit port d’échouage (qui n’offre pas un abri sûr par mauvais temps) et nos estomacs qui grondent nous font vite oublier notre déconvenue. Nous mettons le cap sur la crêperie Ma Galette. Sustentés par une galette de blé noir et une crêpe de froment arrosées d’un bon cou’d’cit’ (coup de cidre), nous rejoignons le bord en constatant avec satisfacti­on que les trois bateaux sont échoués bien à plat. Au matin, nous avons perdu dix degrés. Recouverts d’une couette brumeuse, les récifs allongés sur l’horizon semblent avoir du mal à se réveiller. C’est sur une mer bleu métal et un ciel de plomb troué par des puits de lumière jaune orangé que nous débordons les rochers de Locarec avant de faire cap à l’est vers Le Guilvinec. Au moins, nous avons du vent, et sans excès qui plus est ! Le passage d’un grain nous rappelle qu’en Bretagne, il y a la grande saison des petites pluies et la petite saison des grosses pluies. Alignement­s de bateaux de pêche en entretien sur les terre-pleins, martèlemen­ts contre les coques, crépitemen­ts de soudure, vrombissem­ents d’engins de manutentio­n, claquement­s des caisses de poissons qu’on empile résonnent dans le port du Guilvinec, que nous traversons pour rejoindre les pontons réservés à la plaisance, au fond du bassin. Premier port français de pêche artisanale et troisième port toutes pêches confondues (après Boulogne-sur-Mer et Lorient), Le Guilvinec est l’escale idéale pour se plonger dans l’univers chamarré des chalutiers, caseyeurs, bolincheur­s, etc. Face au déclin de l’activité, le port s’est ouvert à la plaisance. Seule restrictio­n : la circulatio­n dans le chenal est interdite entre 16h30 et 18 heures pour ne pas gêner les pêcheurs au retour de la marée. La visite d’Haliotika, la cité de la Pêche, vaut vraiment le coup. Commerces et chantiers à proximité font du Guilvinec une étape de choix. C’est ici que notre croisière se termine, au port d’attache de N°5. Après ce baptême de rase-cailloux en Pays bigouden, Xavier n’a plus besoin d’escorte pour naviguer !

Décor de carte postale à la pointe de Langoz.

 ??  ?? Par temps calme, on peut échouer le long du quai du port de Kérity.
Par temps calme, on peut échouer le long du quai du port de Kérity.
 ??  ??
 ??  ?? La tourelle Men-Hir, avec en arrière-plan le phare d’Eckmühl, l’ancien phare et le sémaphore.
La tourelle Men-Hir, avec en arrière-plan le phare d’Eckmühl, l’ancien phare et le sémaphore.
 ??  ??
 ??  ?? Le mouillage situé à l’intérieur des Etocs est un vrai petit paradis.
Le mouillage situé à l’intérieur des Etocs est un vrai petit paradis.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Mouiller aux Etocs à la journée est possible (et même recommandé) mais gare à la marée haute quand il y a de la houle! Les bateaux se font vite chahuter.
Mouiller aux Etocs à la journée est possible (et même recommandé) mais gare à la marée haute quand il y a de la houle! Les bateaux se font vite chahuter.
 ??  ?? Rois du cabotage, les petits bateaux sont nombreux le long de la côte bigoudène.
Rois du cabotage, les petits bateaux sont nombreux le long de la côte bigoudène.
 ??  ??
 ??  ?? Faire escale au Guilvinec (premier port de pêche artisanale), c’est plonger au coeur de l’univers des pêcheurs et l’occasion de manger du très bon poisson.
Faire escale au Guilvinec (premier port de pêche artisanale), c’est plonger au coeur de l’univers des pêcheurs et l’occasion de manger du très bon poisson.
 ??  ?? Un jour en short et l’autre en ciré : c’est le charme de la Bretagne!
Un jour en short et l’autre en ciré : c’est le charme de la Bretagne!

Newspapers in French

Newspapers from France