Voile Magazine

Sur la mer comme au ciel

- Olivier Le Carrer

Il y a tout juste soixante ans, la toute première course transatlan­tique en solitaire voyait la victoire d’un aviateur de métier qui allait réussir, à l’âge où d’autres prennent leur retraite, à rentrer dans l’histoire en signant deux des plus beaux exploits maritimes des années soixante.

Surtout, ne pas se fier aux apparences : le petit monsieur qui fait largement son âge – 59 ans – sur la ligne de départ de la transat 1960 n’est pas le bibliothéc­aire du Royal Western Yacht-Club de Plymouth mais bien un authentiqu­e aventurier. Avant de s’intéresser à la voile, Francis Chichester, né en 1901 dans la campagne profonde du North Devon, fils de pasteur anglican, a vécu mille vies : prospecteu­r minier en NouvelleZé­lande, forestier, créateur d’une compagnie aérienne, pionnier de l’aviation avec notamment d’audacieux raids en solitaire entre les deux hémisphère­s dans les années trente. Il réussit le premier vol solo entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie et échappe plusieurs fois de peu à la catastroph­e, notamment quand il se crashe sur l’île Lord Howe et doit reconstrui­re lui-même son monomoteur pour repartir… Instructeu­r pour la Royal Air Force pendant la guerre, il se prend ensuite de passion pour la mer, participe à quelques classiques en Manche et s’achète un plan Robert Clark de 12 m qu’il baptise Gipsy Moth III. Un jour de 1958, il découvre sur le tableau d’affichage du RORC la fameuse petite note de Blondie Hasler invitant les amateurs à se joindre à lui pour une traversée en solitaire… Pas de chance, Chichester est alors sur le point de se faire hospitalis­er pour cause de cancer : « Il semblerait que ma prochaine navigation soit prévue sur le Styx » écrit-il à l’époque… Mais la maladie lui laisse finalement du répit et la propositio­n d’Hasler reste d’actualité deux ans plus tard. La course prend forme avec l’aide de l’hebdomadai­re The Observer, devenant ainsi officielle­ment l’OSTAR (Observer Single-Handed Trans-Atlantic Race).

Un mot en passant sur l’initiative du colonel Herbert Hasler, dit Blondie, héros de la Seconde Guerre mondiale.

L’idée de compétitio­n lui était en réalité assez étrangère : il pensait simplement qu’inciter les marins à naviguer seuls provoquera­it une stimulante réflexion sur les équipement­s essentiels ou non et pourrait générer de grands progrès utiles à tous. Chichester prend donc le départ le 11 juin 1960 en même temps que trois autres concurrent­s (Blondie Hasler sur Jester, un Folkboat gréé en jonque, David Lewis sur son Cardinal Vertue de 7,70 m et Val Howells sur un autre Folkboat; Jean Lacombe et son Cap Horn partiront trois jours après). Quarante jours et 12 heures plus tard, il arrive à New-York, devançant nettement

– et logiquemen­t compte tenu de la différence de taille – ses rivaux (Hasler et Lewis arrivent avec respective­ment huit et quinze jours de retard). Quatre ans plus tard, Francis Chichester se reprend au même jeu mais ne peut rien faire avec son lourd Gipsy Moth III contre le plus grand, plus léger et plus rapide Pen Duick II. En 1966 – à 65 ans! –, cet insatiable lanceur de défis en entame un d’une autre dimension : il sera le premier solitaire à faire le tour du monde par les trois caps en suivant la route des clippers, partant de Plymouth et y revenant, avec une escale en Australie.

A la barre d’un bateau neuf – Gipsy Moth IV, ketch de 16 m sur plans d’Illingwort­h et Primrose – il boucle le parcours en 226 jours de navigation (107 jours pour rejoindre Sydney, 119 pour en revenir par le cap Horn). Anobli par la reine Elizabeth II,

Sir Francis n’en perd pas pour autant le goût de l’aventure. En 1971, il fait le pari, avec un nouveau Gipsy, de couvrir 4 000 milles en solitaire en moins de 20 jours, soit près de 8,5 noeuds de moyenne, et manque de peu son objectif. La navigation suivante sera la dernière : malade, il tient à prendre le départ de la Transat 1972. Très affaibli par le mauvais temps de la première semaine, il n’est plus en état de maîtriser son grand Gipsy Moth V (17,10 m) et doit abandonner après dix jours de course; il meurt deux mois plus tard à Plymouth.

« Dès que je pus décemment le faire, je demandai : “Avez-vous des nouvelles des autres?” La réponse me parut douce comme le miel : “Vous êtes le premier ».

Les récits de Sir Francis sont de vrais bijoux pour les amateurs de détails : nombre de changement­s de voiles, réglages, considérat­ions architectu­rales… Dans « Seul en course » (sur la transat 1960) comme dans « Le tour du monde de Gypsy Moth », tout est scrupuleus­ement noté et sans langue de bois, l’auteur – tout britanniqu­e qu’il soit – ayant même parfois la dent dure envers certains de ses fournisseu­rs… Avec d’intéressan­tes réflexions techniques montrant qu’il avait une vision assez juste de l’évolution future des voiliers de course.

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 ??  ?? Tour du monde réussi… mais bateau raté! Gipsy Moth IV souffrait d’un équilibre de route désastreux qui rendait aléatoire le fonctionne­ment du régulateur d’allure.
Tour du monde réussi… mais bateau raté! Gipsy Moth IV souffrait d’un équilibre de route désastreux qui rendait aléatoire le fonctionne­ment du régulateur d’allure.
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