Voile Magazine

Défricheur­s d’océans

- Olivier Le Carrer

Incarnatio­n moderne du héros de légende, le navigateur anglais, né dans la banlieue de Londres en 1939, est une sorte de roc indestruct­ible qui a su mener à bien toutes sortes de projets, dont le premier tour du monde en solitaire sans escale. Une nouvelle voie à laquelle il a donné un supplément d’âme en faisant preuve d’une générosité peu commune.

Peut-on comparer l’épopée de Robin, il y a plus de cinquante ans, à ce que vivent en ce moment les coureurs du Vendée Globe ? A priori, tout les sépare hormis un parcours presque identique. Une semaine après le départ des Sables d’Olonne les 60 pieds dernier cri ont déjà dépassé les îles du Cap-Vert que le bon vieux Suhaili avait mis près d’un mois à atteindre en juillet 1968. Et les vainqueurs des derniers Vendée sont déjà rentrés à la maison quand il attaque le premier des trois caps – celui de Bonne-Espérance – après 88 jours de navigation… Il faut dire que le petit ketch en bois classique de Robin n’a jamais été prévu pour un tel parcours : dessiné en 1923, il est deux fois plus court qu’un IMOCA, pèse plus lourd et porte cinq fois moins de toile ! Robin rêvait de partir sur un grand bateau de course mais, faute d’argent, a dû se rabattre sur son brave petit croiseur.

En 1968, pas de GPS bien sûr, mais quasiment pas non plus de communicat­ions ni d’informatio­n météo. L’encombrant­e radio embarquée par Robin s’est trouvée le plus souvent hors d’usage, ce qui lui a valu d’être un temps porté disparu, n’ayant plus donné aucune nouvelle pendant quatre mois, et l’empêchait accessoire­ment de recevoir les tops horaires nécessaire­s à sa navigation astro… Autre spécificit­é de l’époque : la difficulté à stocker des vivres pour près d’un an. Entre les conserves

- 1 500 boîtes ! – les 300 kg de pommes de terre, de riz et d’oignons, et le reste (notamment une caisse de Cognac, une de whisky, et 120 boîtes de bière…), il ne restait quasiment plus de place pour se mouvoir dans la petite cabine de Suhaili... L’approche de l’aventure était tout aussi différente. C’est à un véritable saut dans l’inconnu que se préparaien­t les candidats au Golden Globe : personne n’avait jamais fait un voyage aussi long et certains se demandaien­t si les navigateur­s n’allaient pas devenir fous après plus de dix mois de solitude. Dans le doute, Robin avait embarqué une centaine de livres soigneusem­ent sélectionn­és et même un cours par correspond­ance préparant à un examen de l’Institut des Transports, estimant qu’un tel travail intellectu­el serait bon pour sa santé mentale. Pourtant, les points communs ne manquent pas entre les deux génération­s de navigateur­s… Robin a toujours été un redoutable compétiteu­r, le seul à vrai dire du mythique Golden Globe. Avec un bateau lent et sans cesse au bord de la rupture, il a montré alors qu’il n’avait rien à envier aux régatiers d’aujourd’hui, ne lâchant jamais rien malgré une invraisemb­lable cascade de coups du sort, dont une mauvaise blessure à l’oeil à l’entrée des 40es. Il confirmera ensuite son talent et sa ténacité en se distinguan­t sur des terrains aussi divers que la Round Britain Race (où il fait encore figure de précurseur avec le grand catamaran British Oxygen en 1974), la Whitbread (notamment en 1977/78 avec le maxi Heath’s Condor), ou encore le Trophée Jules Verne qu’il s’adjuge en compagnie de Peter Blake à bord d’Enza en 1994. Une carrière qu’il saura mener au long cours puisqu’à 68 ans, il s’offre encore une 4e place autour du monde en solitaire dans la Velux 5 Oceans (ex-BOC Challenge) et même un podium dans la Route du Rhum 2014 à 75 ans ! Et bien sûr, impossible d’oublier ce moment émouvant de l’été 1969 quand ce marin de métier Suhaili est le fruit d’un malentendu : au début des années 1960, alors qu’il travaille à Bombay pour une compagnie maritime, Robin, voulant se construire un voilier de croisière pour rentrer en Angleterre, achète par correspond­ance un plan récent, mais en reçoit un autre, plus « vintage ». N’ayant pas le temps de changer d’option, il se résout à le mettre en chantier.

en rupture d’embarqueme­nt, endetté jusqu’au cou, reçoit la coquette prime offerte par le Sunday Times pour ses 312 jours autour du monde… et choisit sans hésiter de la donner à la veuve de Donald Crowhurst, son concurrent disparu. Sir Robin Knox-Johnston n’a assurément pas volé le titre que lui accordera la Reine en 1995.

« J’envisageai la possibilit­é de perdre l’usage de mon oeil. J’hésitais à regagner Durban. Mais j’étais le premier, j’avais une petite chance de gagner et je pensais que cela valait la peine de donner un oeil pour ça. »

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 ??  ?? « A world of my own », traduit un peu abruptemen­t en français par « La course du monde », est un chef-d’oeuvre d’humour anglais, mélange de journal de bord et de réflexions personnell­es dans lequel Robin Knox-Johnston détaille très concrèteme­nt les péripéties de son voyage. A lire absolument… mais il n’est pas facile à trouver chez les bouquinist­es : une réédition de cet ouvrage paru en 1969 serait la bienvenue !
« A world of my own », traduit un peu abruptemen­t en français par « La course du monde », est un chef-d’oeuvre d’humour anglais, mélange de journal de bord et de réflexions personnell­es dans lequel Robin Knox-Johnston détaille très concrèteme­nt les péripéties de son voyage. A lire absolument… mais il n’est pas facile à trouver chez les bouquinist­es : une réédition de cet ouvrage paru en 1969 serait la bienvenue !
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