Voile Magazine

Vendée Globe : retour sur les heures héroïques de 1996-97

Ça ne rigole plus. Après un départ costaud et une descente de l’Atlantique presque sans histoire (voir nos numéros précédents), les concurrent­s sont cueillis dans l’Indien par une dépression explosive… La fatalité est en marche, la légende aussi.

- Texte : Olivier Péretié.

à dix heures de votre position ». Il a vu le message, mais il a d’autres soucis et l’a mis de côté. Il le lira plus tard. Le gros quadrimote­ur P3C Orion de la marine australien­ne vient de lui larguer un carton de bouteilles d’eau. La caisse a explosé, les bouteilles ont disparu, mais accroché aux lambeaux de carton il y a ce message qu’il a jeté au fond du radeau. L’Orion avait percé la couche de nuages à deux cents mètres à peine au-dessus de sa tête au moment même où il s’était dit que c’était foutu, qu’il ne pourrait pas tenir plus longtemps.

Depuis des heures, accroché au pont par sa longe de harnais, de l’eau jusqu’aux genoux parce que son voilier est clairement en train de couler, percuté toutes les trente secondes par des déferlante­s hautes comme des camions, giflé par une furie de vent, assoiffé et frigorifié par cette eau à 2°C dont sa combinaiso­n de survie peine à l’isoler, Raphaël Dinelli a fait appel à sa science de champion de planche à voile pour tenir. Tenir debout, les jambes fléchies, le dos douloureux, tenir avec l’espoir que ses balises de détresse vont alerter les secours.

Et puis l’avion a surgi de l’enfer. Après plusieurs survols, le P3C a largué des fumigènes, puis une « chaîne de survie » constituée de deux gros radeaux douze places reliés par une longue aussière de 150 mètres à laquelle sont accrochés des flotteurs. Dans ces flotteurs, il y a de l’eau et de la nourriture, mais Dinelli l’ignore. Manoeuvre parfaite, la « chaîne » a dérivé vers son épave. Au prix d’efforts surhumains, il a réussi à ramener à lui les radeaux et à les amarrer à son pont submergé. Puis il a décroché sa longe de harnais et a réussi à se hisser dans l’un des radeaux. Pour découvrir, hébété, que celui-ci ne contient ni eau ni nourriture. Désespéré, il est retourné à bord pour plonger dans son sous-marin, dégoter quelques maigres provisions mais ne pas trouver d’eau. Au moment de quitter définitive­ment sa coque éventrée, une bouteille de champagne a surgi d’on ne sait où. Ce sera toujours quelque chose à boire. Puis il coupe les amarres, et perd aussitôt de vue ce voilier de 18 mètres à bord duquel il court la troisième édition du Vendée Globe en « pirate ». Il ne se pardonne pas de ne pas l’avoir embrassé une dernière fois avant de l’abandonner.

Sauvé ? Pour l’instant. Mais combien de temps tiendra-t-il sans eau ? Ce champagne incongru lui donne quelques heures de survie, certaineme­nt pas une assurance de ne pas mourir de froid ni de soif. Et puis, il finit par lire le message : « Pete Goss à dix heures de votre position. »

Nous sommes le lendemain de Noël 1996, à 1 400 milles dans le sud du cap Leeuwin, la pointe sud-est de l’Australie. La veille, l’Indien lui a envoyé son cadeau : 75 noeuds dans les rafales, deux knock-down à plat sur l’eau, puis un chavirage complet. Le bateau est resté à l’envers pendant trois heures, le mât a défoncé les panneaux du rouf, l’océan a commencé à engloutir sa proie. Enfin le mât a fini par se détacher, le bateau par se redresser. Il ne flotte pas beaucoup. Il n’y a pas d’autre solution que de se réfugier sur l’endroit du pont le moins

Pete Goss, 160 milles contre le vent dans des conditions terrifiant­es…

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 ??  ?? Sans ses balises... et l’interventi­on héroïque de Pete Goss, Raphaël Dinelli n’aurait pas le sourire.
Sans ses balises... et l’interventi­on héroïque de Pete Goss, Raphaël Dinelli n’aurait pas le sourire.
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 ??  ?? Un peu d’eau à bord ? Qu’à cela ne tienne, Pete écope à la pelle à poussière !
Un peu d’eau à bord ? Qu’à cela ne tienne, Pete écope à la pelle à poussière !

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