Que se passe-t-il à la Ferme du Sillon ?
Au-delà des faits divers ces derniers mois, immersion dans un monde hors normes, où l’exception se vit au quotidien.
Huit directeurs en 10 ans, des licenciements, une enquête pénale sur le décès d’un résident en 2014, une autre enquête sur un résident portant des stigmates de maltraitance en juillet 2016, une jeune femme retrouvée avec 25 hématomes en janvier 2017. Sans compter de vives tensions entre certains salariés et leur directeur Franck Stepiens. Pour en avoir le coeur net, nous avons rencontré celui–ci. Empathique, ce premier directeur formé à l’autisme travaille depuis plus de 20 ans avec ce « public très exigeant, qui ne souffre pas de l’à-peuprès ». Et pour cause : la Ferme du Sillon héberge de l’âge de 20 ans jusqu’à leurs derniers jours 30 autistes sévères, atteints de déficience mentale profonde. « On s’en occupe du matin au soir, et du soir ou matin car il faut les accompagner en tout : lever, toilette, repas, etc. 70% d’entre eux sont muets ou ne prononcent que quelques mots, ils ne comprennent pas la notion de danger ou leur environnement ». « Rain man »
Pour Gloria Laxer, spécialiste reconnue au plan national et international, plusieurs priorités coexistent : « veiller à leur sécurité mais aussi à leur bienêtre, et tendre vers la meilleure autonomie possible ». Elle définit l’autisme comme une interaction sociale ou une communication atypiques, avec des comportements restreints ou répétitifs. Certains passent toutes leurs journées à aligner certains objets, d’autres à déchirer des journaux. D’autres encore connaissent par coeur tous les horaires d’un aéroport ou d’une gare, ou sont capables de dessiner une ville dans les moindres détails après l’avoir vue une seule fois (tel Stephen Wiltshire, « l’homme caméra »). Invitée par Franck Stepiens, la spécialiste est venue apporter son expérience pour évaluer chaque résident et mieux répondre à leurs besoins. Sa présence, espère le directeur, permettra d’améliorer en douceur le fonctionnement de l’institution spécialisée. Un fonctionnement jusque là assez chaotique, au gré des changements de directeurs parfois brusques. Un immense défi
Pour répondre aux besoins des résidents, le personnel doit changer de pratiques de tout au tout. « Même en cuisine, il faut faire des efforts et préparer des aliments tantôt haché, tantôt mixés, tantôt entiers » confie Gloria Laxer. Autre cheval de bataille pour un directeur très investi, dont le moteur reste « l’amour porté au résidents » : l’organisation de ses services. « Un autiste ne comprend pas le monde extérieur, ce qui génère beaucoup d’angoisse. Ils ont besoin de repères et de stabilité. Un salarié qui travaille le matin ne peut pas travailler d’un coup l’après-midi. Quand je suis arrivé le 1er janvier 2016, la Ferme du Sillon ressemblait à une caserne de pompiers en crise, une caserne condamnée à éteindre en permanence des feux allumés par elle-même ». Troubles du comportement, agressions d’autistes envers le personnel, hospitalisations psychiatriques étaient alors monnaie courante. Ne pas interdire, mais proposer avec bienveillance, établir un projet de vie, coller aux particularités de chacun : voici quelques objectifs de celui qui a relevé un immense défi. Car comme le dit Franck Stepiens, « les autistes sont des énigmes : il faut perdre nos repères pour comprendre les leurs ». Et sachant que si on réussit un jour, il faudra peut-être tout recommencer le lendemain…