TéMOIGNAGES DE RENTRéE : LE "BLUES" DES PROFESSEURS DU JURA
Un enseignant témoigne de son sentiment de solitude face à toujours plus de situations complexes à gérer, l’amenant à choisir de quitter le primaire pour le secondaire.
Ce à quoi il aspire n’a rien d’extraordinaire : rentrer chez lui avec la satisfaction d’avoir transmis un savoir à ses élèves. A 40 ans, ce professeur des écoles a fait le choix d’un détachement en collège ou lycée. Il s’en explique : « « J’aime mon métier, mais j’ai voulu aller dans le secondaire pour ne plus être psychologue, ni assistante sociale, ni thérapeute familial, ni réparateur de ceci ou de cela ».
Le témoin, dont on respectera la demande de rester anonyme, était en poste dans une petite ville du Jura, après avoir enchaîné les affectations sur des postes non attribués, parcourant jusqu’à 70 km par jour pour aller travailler et revenir. Il avait patienté plus de dix ans pour être enfin titulaire dans une école près de chez lui. « Il y a quinze ans, je m’étais engagé pour transmettre des connaissances, les valeurs de l’école Républicaine et laïque. Ce travail ne représentait plus que 30 à 50 % de mon quotidien. Le reste du temps était passé à essayer de faire classe à des élèves qui sont de plus en plus dans des situations sociales et familiales compliquées ». Résultat : l’impression que ses journées ne consistaient plus qu’à « faire de la discipline, soigner des troubles du comportement et, sous réserve que les familles y consentent, solliciter des réseaux d’aide saturés ».
Renommer le ministère
Tandis qu’il terminait sa formation, un inspecteur leur avait dit : « Hier, on devait répéter cinq fois, aujourd’hui c’est cent et demain ce sera mille ». Il voyait juste : « On y est, aux mille ! ». Et de dresser ce constat alarmiste : « Dans une classe, ce sont 25 % des enfants qui ne peuvent pas être élèves ». Y compris dans le Jura. Cela concerne les zones rurales autant que les villes. « 7 % des écoles sont en zone d’éducation prioritaire. Dans les 93 % restant, on a les mêmes problématiques mais sans le soutien qui va avec ».
Il explique que les enseignants doivent, en plus, faire face à « des demandes institutionnelles en décalage avec la réalité », sans toutefois aller plus loin sur les défauts qu’il trouve aux tentatives de réformes successives : « Je reste fonctionnaire ; j’ai un devoir de réserve ». D’ailleurs, ce n’est pas la hiérarchie ou les politiques qui sont la cause des difficultés : « La précédente ministre avait parfaitement reconnu les difficultés du métier », mais plutôt ces familles qui aimeraient « sous-traiter l’éducation de leurs enfants à l’école ». Il souscrit à l’idée de donner un autre nom au ministère. Ce pourrait être « Ministère de la coéducation ».
Sur vingt demandes, dix-huit validées
La conscience professionnelle et la bonne volonté font que le système continue à tenir. « Mais ça ne suffit plus ». L’enseignant témoigne de la solidarité des équipes au sein desquelles il a travaillé : « Si on ne se serre pas les coudes, on va au naufrage ». Il ajoute : « Au début d’année, il y a une réunion collective avec les parents. Il est prévu une autre rencontre dans l’année dont l’organisation est laissée à la discrétion de l’enseignant. On peut proposer aux familles des rencontres individuelles, mais dès qu’il y a une situation qu’on pressent difficile, on se tourne vers le directeur ». Transmettre une fiche d’informations préoccupantes aux services de protection de l’enfance n’est plus si rare ! D’autres fois, il s’agit d’appuyer une demande d’auxiliaire de vie scolaire ou d’accompagnant d’élève en situation de handicap. « Mais il faut souvent trois, quatre, cinq, six mois… pour que ça aboutisse ».
Notre témoin n’affirme pas que tout est facile au collège mais au moins, explique-t-il, « il y a un CPE qui gère les problèmes qui ne relèvent pas de l’enseignement ». Vingt professeurs des écoles auraient, cette année, émis le désir d’un détachement dans le secondaire. La procédure comporte un entretien avec l’inspecteur régional de la matière sollicitée. Les demandes sont examinées en fonction du profil des candidats (diplômes universitaires, parcours professionnel) mais aussi des besoins au niveau académique dans la discipline demandée. Dix-huit ont été validées, dont douze étaient des renouvellements de demande. Le détachement débute par une année de stage avant le basculement depuis le corps des professeurs des écoles vers celui des professeurs certifiés.
« La précédente ministre avait parfaitement reconnu les difficultés du métier ». « Les familles pensent qu’elles peuvent soustraiter l’éducation de leurs enfants »