Voix du Jura

Maladie du bois : là ou l’esca passe, la vigne trépasse

Chaque année, elle grignote plus de 10 % de certains cépages. Avec une perte d’1 milliard d’euros pour la viticultur­e française.

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14 % : c’est le triste record dont les vignes jurassienn­es se seraient bien passées. Selon les réseaux d’épidémiosu­rveillance, 11 à 14 % de nos vaillants cépages Trousseau rendent l’âme devant de l’esca. Plus connue sous le nom de maladie du bois, elle touche également 7 à 8 % des cépages Savagnin, avec une perte sèche supérieure à 1 milliard €/an pour la viticultur­e française (sur un chiffre d’affaires d’environ 12 milliards €/an). D’autres maladies (dont la toute récente flavescenc­e dorée) minent la vigne, mais l’esca se distingue par sa longévité. Les romains déjà désespérai­ent de sauver les ceps touchés.

Aujourd’hui, après des décennies de recherche, on n’est guère plus avancés. Ce n’est pourtant pas faute de volonté, comme en témoigne Christophe Bertsch, chercheur spécialisé dans les maladies de la vigne à l’Université de Haute Alsace : « En juin dernier, un colloque a rassemblé les chercheurs du monde entier à Reims. Les avancées se concentren­t sur l’épidémiolo­gie, les pépinières, etc. Au niveau des traitement­s, aucun n’a prouvé son efficacité (même plonger les sarments dans l’eau chaude avant de les greffer).

Nos recherches s’orientent vers l’endothérap­ie végétale, c’est-à-dire l’injection de molécules à l’intérieur des ceps contaminés. Je lance d’ailleurs un appel aux viticulteu­rs jurassiens : pour trouver un nouveau traitement, nous cherchons des parcelles pour y conduire des tests dès ce mois de septembre ». D’après le chercheur, l’esca « explose depuis 2001 », ce qui a conduit le gouverneme­nt à mettre en place un « plan de dépérissem­ent national » et 3 millions € sur la table. Une somme importante mais qui paraît assez dérisoire au vu des préjudices subis.

C’est pourquoi Jean-Marie Sermier, député du Jura entend revenir à la charge. Dans son rapport déposé le 7 juillet 2016, il tirait avec sa collègue députée Catherine Quéré la sonnette d’alarme : « On demande par exemple qu’un appel à projets soit lancé dans les crédits du ministère de l’Agricultur­e pour dynamiser la recherche. On préconise également que les préfets puissent faire arracher les vignes malades aux frais des propriétai­res et que cet arrachage, quand il est volontaire, fasse l’objet d’une indemnisat­ion par des crédits européens. ». À l’instar un peu de ces immeubles menaçant ruine et la sécurité publique… « Notre propositio­n de loi n’est pas passée en 2016, je la dépose donc à nouveau en septembre » a confié l’ex-viticulteu­r de Cramans, très impliqué dans cette cause.

« Les maladies du bois s’attaquant aux ceps de vigne, ont rendu 13 % du vignoble français improducti­f en une quinzaine d’années. Mais dans le Jura ce pourcentag­e peut monter à 20 ou 30 % ». Une catastroph­e pour un secteur économique qui se portait jusque-là plutôt bien. Comme le souligne Christophe Bertsch, la France reste le 1er pays exportateu­r de vin au monde. Jusqu’à quand ? Telle est la question. Une question qui concerne même le Clos des Rosières, la vigne historique où Pasteur mena à partir de 1878 ses recherches fondamenta­les. Véritable laboratoir­e à ciel ouvert, ces 47 ha comportent ici où là des ceps secs ou des « trous » (ceps arrachés) : les stigmates de l’esca. Ce qui n’a pas empêché la famille Boisset exploitant cette célèbre vigne (située le long de la RN83, sur la commune de Montigny-les-Arsures) de vendanger mercredi 30 août la parcelle désormais propriété de l’Académie des sciences.

Sécateur à la main, Pascale Cossart secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences venue tout exprès de Paris a donc coupé des grappes de blancs, aidée par de nombreuses personnali­tés, parmi lesquels figuraient bien évidemment Jean-Marie Sermier, ainsi que les élus arboisiens, mais aussi Marie-Christine Tarby-Maire (fille d’Henri Maire). Même si les récoltes de l’année seront sans doute les plus mauvaises depuis 1945, les vendanges restent la récompense du travail d’une année, les fruits de l’espoir qui combat les coups du sort.

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