Prédications d’un jésuite au XIXe siècle
Pour lire les homélies d’un anglican devenu jésuite
Je me souviens avoir entendu naguère le romancier Philippe Sollers dire tout le bien qu’il pensait du catholicisme britannique. Il existe en effet une originalité propre à l’Eglise catholique qui est en Grande-Bretagne. Minoritaire, longtemps opprimée, menée par des hommes courageux, elle a su tirer son épingle du jeu face à la modernité envahissante. Gerard Manley Hopkins est loin d’être aussi connu que le Bienheureux John-Henry Newman et pourtant leur trajectoire sont assez semblables. Priants et confessants, tous deux en viennent à quitter l’Église d’Angleterre pour rejoindre l’Église catholique. Nous sommes au XIXe siècle, siècle de tension pour une Église ballotée entre la crise moderniste et l’attention portée par le pape Léon XIII au monde ouvrier. Pour G. Hopkins, l’Église anglicane est trop proche du pouvoir, trop compromise avec la puissance temporelle ; il convient de prendre du large. Et puis, Rome n’est-elle pas la mère de toutes les Églises, et l’Église catholique ne possède-t-elle pas les clés de la succession apostolique ? Voilà les raisons principales d’un retournement qui se veut retour aux sources. Converti, ordonné prêtre chez les jésuites, Gerard Hopkins a soin d’enseigner les paroissiens qui lui confiés. regroupe une trentaine de sermons prononcés entre 1879 et 1881. Les sermons de Hopkins sont remarquables autant par le fond que par la forme. Hopkins montre beaucoup de répugnance à faire preuve de modération ; les formules intransigeantes ne sont pas rares chez lui. Catéchiste, philosophe, moraliste, théologien, il use de la palette la plus large pour convaincre ses auditoires, auditoires qu’il prend régulièrement à témoins par l’expression : « mes frères ». Au premier regard, on peut juger l’ensemble un tantinet suranné. Tâchons d’aller voir plus loin : il y a chez Hopkins le désir sans cesse renouvelé d’édifier les fidèles grâce à une spiritualité de l’incarnation qui ne laisse jamais indifférent.
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : ’Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’ Celui-ci répondit : ’Je ne veux pas.’ Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : ’Oui, Seigneur !’ et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. » Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. » [Mt 21, 28-32]
Seul l’Évangile de Matthieu rapporte ce petit épisode de la vie de Jésus. Il fait partie de 3 péricopes prenant place dans le Chapitre 21 qui s’ouvre sur l’entrée à Jérusalem. Tout a déjà été annoncé, et pourtant, encore une fois, il faut que Jésus appuie où cela fait mal, là où on l’attend le moins. Il raconte des petites histoires qui bousculent et qui font réfléchir sur la vérité de son discours. L’heure du choix, pour chacun et chacune des témoins, vient. Il y a foule autour de lui, il y a ceux, les bien pensants, qui ont suivi la Loi de Dieu, qui ont tout fait pour s’approprier les recommandations de la Loi et qui, comme on dirait aujourd’hui, ont « ouvert le parapluie » pour s’assurer de la protection de Dieu. Et puis, il y a ceux qui sont dans leur misère sociale ou spirituelle, les « mis de côté », les petits et les sans-grades, les rejetés, qui ne connaissent peut être pas parfaitement la Loi et ses injonctions. Ceux-là, ils ont compris le message de Jean d’abord, au bord d’un lac, puis celui de Jésus sur les chemins de Galilée. Les collecteurs d’impôts et les prostituées, ont su accueillir en vérité une parole nouvelle, ils ont laissé leurs coeurs parler en laissant tomber le raisonnement et les rituels de pensée. Ils se sont convertis. Dieu nous laisse libres de nos choix, il nous rend responsable de nous mêmes. Nos réponses à ses demandes, c’est à nous de les formuler, de les construire et, en conséquence, à nous donner des règles de conduite. C’est donc à la question de notre propre responsabilité que nous sommes appelés ce dimanche. Responsabilité de chrétiens appelés à vivre à partir d’un message et d’une promesse qui nous laissent libres et responsables de nos actes. Le deuxième point qui me paraît important de soulever dans ce texte est le travail sur soi-même auquel nous sommes invités à mettre en oeuvre. Les pharisiens et les scribes, ceux qui disent oui à Dieu mais qui ne passent pas aux actes en paroles et en pratique, ne font pas le chemin que font les collecteurs d’impôts et les prostituées qui eux font le chemin de conversion auquel ils sont appelés. Ce chemin, Jean le Baptiste le leur a proposé en appelant à la conversion des coeurs. Le chemin de conversion c’est le coeur qui parle et pas seulement nos savoirs, nos dogmes et nos habitudes qui semblent nous mettre bien à l’abri et en règle avec Dieu. Chemin de conversion qui accueille la Parole dans son expression la plus simple et la plus vraie, conversion qui seule nous permet de nous transformer aux yeux de Dieu. [François Billion-Bey, Église Protestante Unie de France, Jura]