FIGURES. Génial Gratien
Qui était cet inconnu qui donna à l’Eglise l’architecture juridique qui lui faisait défaut ?
Au milieu du Moyen Age, l’Evangile a gagné le bassin méditerranéen, le Proche et le Moyen-Orient et s’est enfoncé à l’est de l’Europe. L’Eglise a prospéré et s’est peu à peu dotée d’une législation propre. Du point de vue de la foi et de la discipline, il s’en est passé des choses en quelques siècles : lettres des papes, canons des conciles et ainsi de suite. Des monceaux de règlements, de lois, de prescriptions concernant la vie des communautés, celle des baptisés, les rapports avec les princes… De quoi remplir des coffres. Comment donner corps à tout cet ensemble, faire en sorte qu’il soit maniable et pratique ? C’est ce à quoi va s’employer, au milieu du XIIe siècle, un moine camaldule du nom de Gratien, un homme au sujet duquel on ne sait pratiquement rien. Et pourtant son oeuvre est restée ; elle a même réussi à s’affranchir des siècles puisque, jusqu’à la promulgation du code de droit canonique de 1917, le fameux Décret de Gratien sera un des éléments majeurs de la législation ecclésiastique. Dans cet énorme volume appelé Décret, Gratien ne s’est pas contenté d’aligner l’ensemble de la législation connue depuis les origines de l’Eglise. Il a fait mieux en lui donnant un ordre, de sorte que ses contradictions et paradoxes disposent d’un agencement un tant soit peu rigoureux. Ce n’est pas pour rien que le Décret porte comme sous-titre la « concordance des canons discordants ». Gratien ne s’est donc pas contenté de travailler sur les sources, il les a ordonnées, donnant le sentiment qu’il y a lieu de distinguer essentiel et accessoire. Depuis peu, les chercheurs doutent de l’identité de Gratien : A-t-il seulement existé ? Etait-il seul pour accomplir ce vaste chantier ? Peu importe. Comme disait Bergson à propos des Evangiles : à l’auteur on donnera le nom que l’on voudra mais on ne fera pas qu’il n’y a pas eu d’auteur.
« Nunc dimittis »: à présent, ton serviteur peut partir……ce texte de Luc pourrait paraître triste à la première lecture. Pourtant il porte en lui, par la présence inattendue de Siméon et d’Anne, une joie extrême. Joie par le témoignage et la fidélité dont ils font preuve, joie et fidélité par la nouveauté qui nous est offerte.
Siméon et Anne sont fidèles à la promesse Dieu qui traverse tout l’ancien testament. « Cet homme est juste et fidèle à Dieu » dit-on de Siméon. Siméon, fidèle et témoin. Un homme qui a vécu une vie de prière et de méditation, qui, depuis des années, attend la délivrance et la consolation d’Israël avec impatience et armé d’une foi rare. Anne, fidèle et témoin, qui, malgré l’âge attend depuis des lustres, de jour comme de nuit, faisant son service de prière et de jeûne. Sa vie avait ainsi trouvé son sens, son appui. Sa vie avait trouvé là à se déployer, malgré son âge, malgré sa pauvreté. Elle vivait un présent plein de sens et son attente l’ouvrait sur un avenir. Anne témoin et fidèle. Anne et Siméon, représentants d’une vie finissante. Pourtant, leur attitude fidèle, leur prière perpétuelle, leur témoignage risqué, voient dans ce fragile enfant présenté au Temple, quelque chose que les autres ne voient pas sinon une naissance bien ordinaire. Siméon et Anne, fidèles à la promesse de Dieu, voient leur attente et leurs longues prières récompensées: celui que le peuple d’Israël attendait est arrivé. Joie de cette rencontre, joie de cette reconnaissance. Joie des hommes et des femmes qui reconnaissent en Jésus leur sauveur et leur salut. Joie aussi d’une autre naissance autrement plus étonnante: le christianisme, christianisme ancré pleinement dans le judaïsme. Entendre la parole de Siméon « Car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé » c’est entendre d’une certaine façon la première confession de foi chrétienne. Anne célébrant Dieu, c’est le signe de reconnaissance de la nouvelle alliance que Dieu fait avec son peuple. Sous nos yeux, le christianisme naît de l’espérance juive. Etrange équipage: un homme et une femme âgés mais fidèles au judaïsme et qui reconnaissent le Fils de Dieu en cet enfant de Noël. Aujourd’hui, jeunes et moins jeunes, nous sommes appelés dans la joie et dans la reconnaissance à être fidèles et témoins. Fidèles à une parole faite chair, fidèles à Dieu. Mais cette fidélité n’est pas synonyme de rigidité et d’immobilisme. Bien au contraire. Siméon et Anne n’ont pas hésité à faire le pas en reconnaissant en un nouveau-né le Fils de Dieu. « Oui, nos yeux ont vu le salut que tu nous donnes ». Etre fidèle et témoigner dans la joie, c’est se laisser bousculer comme Siméon et Anne dans notre attente et notre immobilisme. C’est affirmer que nous voyons Jésus et le contemplons à chaque instant de notre vie à travers tous les visages croisés. Pour nous, il a pris forme et il a pris visage. Pour nous, il est joie pour toujours. [François Billion-Rey, Eglise Protestante Unie] de