Ahmed et Francois
Comme chaque semaine, le Père Dagras livre son analyse et propose un temps de réflexion autour d’un sujet d’actualité l’ayant marqué.
Le Cheikh Ahmed Al-Tayeb, est grand imam d’Al-Azhar, prestigieuse institution sunnite établie au Caire. Francois est Pape de l’Église catholique. Voila dix ans, les relations entre catholicisme et islam avaient pris un sérieux coup de froid à cause d’une citation faite par Benoît XVI au cours d’une conférence à Ratisbone. Le Pape d’alors dissertait sur les rapports fructueux entre foi et raison. En cours d’exposé, il it en contrepoint état d’un autre rapport, insoutenable celui-là, entre religion et violence. Il cita dans ce but l’empereur Manuel II Paleologue qui, au XIVe siècle, adressa à un Persan cultivé, d’une façon étonnamment abrupte doublée d’une rudesse assez surprenante ce propos provoquant : « Montremoi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait. » Bronca immédiate dans le monde musulman ! Beaucoup perçurent dans ce propos repris hors contexte, une insulte à l’Islam. Surtout quand aujourd’hui, des extrémistes brandissent le Coran pour justifier exactions et persécutions. Méfaits atroces qui exacerbent des sensibilités et poussent à faire des amalgames. N’aurait-il pas été équitable d’ajouter à la preuve le souvenir de croisades et de guerres de religion ? Des voix de penseurs musulmans se sont aussitôt levées pour dénoncer le procès d’intention fait à Benoît XVI. Mais une gêne s’installait à rebours de prises de positions, de contacts suivis et de relations ouvertes depuis des années au cours de voyages pontiicaux en Afrique, au Proche Orient et à l’occasion d’événements inter religieux comme les Rencontres d’Assise. La décision toute récente des deux grandes personnalités de se rencontrer pour dialoguer, fut- ce brièvement, revêt donc une forte portée symbolique. Il est probable qu’Ahmed et François n’ont pas perdu leur temps a se rappeler des comportements déplorables qui de part et d’autre insultèrent leur foi respective… ni les échanges positifs réalisés au cours des dernières décennies. Ils prirent le parti d’une simple rencontre, voulue pour dépasser les contentieux et manifester leur volonté mutuelle d’une coexistence pacifique. Les communiqués le soulignent. Il fut question d’engagement pour la paix dans le monde, de refus de la violence et du terrorisme, de la situation des chrétiens au Moyen Orient et de leur protection… sujets abordés dans un esprit de dialogue, arme privilégiée des artisans de paix. N’empêche, des détracteurs montent des deux côtés aux créneaux. On crie compromission, naïveté, récupération, manipulation, hypocrisie politique… Comme si ne rien faire, se contenter de se regarder en chiens de faïence ou s’envoyer piques et reproches pouvait servir la cause du vivre ensemble dans le respect des différences. D’autres reçoivent par contre l’événement comme un appel à laver son regard des préventions injustiiées pour observer la présence de valeurs chez les autres et adopter à leur égard des comportements naturels et positifs : se saluer, échanger, se rendre de menus services, porter attention aux joies familiales, aux fêtes religieuses… en restant de part et d’autre soi-même. Et pourquoi pas se retrouver au coude à coude au service des autres… Bref une manière d’afirmer que les rencontres de paix ne sont pas l’apanage d’un Cheick et d’un Pape, mais un pain quotidien de meilleur goût et plus nutritif que celui des indifférences et des ressentiments.