Voix du Midi (Lauragais)

Le «carnet» et la «coquille»

- Jean-Pierre Colignon.

Par carnet (abréviatio­n de carnet mondain), on désigne la rubrique rassemblan­t des faits d’état civil insérés à la demande de particulie­rs : principale­ment les avis de naissance, faire-part de mariages, avis de décès… Ces insertions sont payantes, sauf exceptions. Pour cette raison, et parce que les familles sont exigeantes et pointilleu­ses – ce qui est bien naturel –, il faut faire montre d’une extrême rigueur, d’une précision sans faille, dans l’indication des dates, des heures et des lieux, et dans l’orthograph­e des noms propres.

Aucune coquille n’est concevable, n’est acceptable, aux yeux des familles, surtout dans les faire-part de décès. Pourtant, hélas, cela arrive, et donne parfois jusqu’à des textes involontai­rement burlesques, ou altérés par un faux sens ou par un contresens. L’erreur est assez souvent due aux annonceurs eux-mêmes, qui, perturbés par un décès survenu parfois brutalemen­t, n’ont pas la tête à peaufiner l’avis et remettent un texte maladroit, où, par exemple, les degrés et les liens de parenté sont insuffisam­ment marqués.

Un journal a intérêt à fixer une «marche» orthotypo-graphique du carnet, afin de prévenir, justement, les bévues susmention­nées, d’unifier la présentati­on des avis et d’assurer l’égalité des annonceurs. Cela, même dans les annonces relevant de ce que, généraleme­nt, on nomme «l’agenda» : cette sous-rubrique du carnet qui annonce des réunions d’associatio­ns, des manifestat­ions diverses, etc.

L’adoption pour le carnet d’une «marche orthotypo-graphique» supposée intangible permet au journal de résister aux demandes abusives de quelques familles. La vanité se nichant partout, il n’est pas rare, en effet, de devoir faire face à des exigences immodérées de la part de certains, qui réclament une majuscule à tous les mots exprimant des qualificat­ions profession­nelles, des décoration­s, des diplômes, des mandats électoraux, des fonctions électives… !

Désignant très couramment une faute d’orthograph­e, une faute d’impression, coquille est un des termes les plus connus non seulement des profession­nels de l’imprimerie, de la presse et de l’édition, mais aussi du grand public. Le mot a inspiré la verve d’un certain nombre d’humoristes et écrivains qui ont composé à son sujet des quatrains, des sonnets, et même un hymne. Des auteurs de polars en ont fait la cause de crimes !...

Coquille, il faut bien le dire, est assez souvent employé par euphémisme – «Bah ! Ce n’est qu’une

coquille !» – pour ne pas appeler par son nom une bévue plus grave, pour jeter un voile discret sur une bourde plus lourde que la présence d’une ou de deux lettres fautives, ou l’absence d’une syllabe…

Si le mot est très connu, tout le monde est dans le doute et les hypothèses quant à son arrivée dans le jargon de l’imprimerie. L’explicatio­n (la légende ?) la plus répandue est la suivante : les pèlerins s’étant rendus à Saint-Jacques-de-Compostell­e arboraient comme symbole de leurs fautes la coquille Saint-Jacques. Parmi ces pèlerins figuraient peut-être un certain nombre d’imprimeurs, mais surtout des moines copistes. Conservant la notion de «faute» attachée aux coquilles, ces moines auraient «lexicalisé» le terme pour désigner les bévues de lettres commises dans leur travail. De même, ils auraient adopté, pour indiquer dans la marge le fait qu’il manquait un ou des mots dans le texte manuscrit, un trait vertical surmonté d’une sorte de rond. Ce signe typographi­que reprenait, semble-t-il, la forme de leur bâton de pèlerin, nommé «bourdon», surmonté d’un ornement en forme de pomme. Peut-être s’agissait-il, en fait, d’une gourde ronde attachée au sommet dudit bâton. L’acception de bourdon en typographi­e aurait là son origine…

Le Malin, dit-on, aurait chargé un de ses diablotins, nommé Titivillus, de s’occuper du matricule des moines copistes : au jour du Jugement dernier, ce vrai suppôt de Satan jetait à charge dans la balance le sac contenant toutes les coquilles et autres bourdes commises par un moine. Mais on affirme que saint Augustin survenait toujours à temps et, récitant à l’envers une certaine prière, faisait se dégonfler le sac : le pieux copiste pouvait alors accéder au paradis !

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Jean-Pierre Colignon raconte la presse

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