Brins de maraude
Comme chaque semaine, le Père Dagras livre son analyse et propose un temps de réflexion autour d’un sujet d’actualité l’ayant marqué.
JEAN-CLAUDE dit le professeur niche sous le tablier du pont de la rocade à l’extrémité du bassin des Ponts jumeaux. Au sommet de la pile en plan incliné, l’espace est long d’une dizaine de mètres, large de 50 cm et haut d’à peu près autant. Kiki, son chat affectionné partage la chaleur du duvet en attendant de quitter son maître pour des escapades aussi imprévisibles que son retour. Aujourd’hui, il ne pleut pas. Grimper la pile, semelles sèches, est donc possible. Les gobelets de café au lait parviennent ainsi à domicile. Échange cordial sur l’air du temps, les santés respectives, le projet de la douche hebdomadaire à La Grave et d’autres menus détails d’une vie quotidienne troublée ces jours-ci par le passage de promeneurs agressifs. Poignée de main, amical « Faites attention à vous ! » et retour au vélo. La voie cyclable passe et repasse sous la rocade pour déboucher à proximité de l’agréable coulée verte séparée de Garonne, par la digue de la rive droite. Elle court, bordée d’arbres et de jardinets jusqu’au pont des Catalans. À mi-distance, dans les restes d’un espace boisé, inissent de se délabrer quelques vieilles masures. Derrière un écran de verdure la clôture en fort grillage a été proprement découpée sur toute sa hauteur pour aménager un passage. Sous un ancien hangar un vieux camion des années 50 achève de pourrir. Il abrite un sans-logis qui préfère, on s’en doute, l’inconfort de ce immobil-home à celui du froid et de la pluie. Plus loin une tente épisodiquement occupée expose en vrac des couvertures douteuses. Un caddy empli d’objets hétéroclites et de sacs aux contenus improbables est abandonné à proximité. Des rats traversent et ilent dans la broussaille. Un ponceau sur ce qui fut, avant la construction de la digue, un mini-bras du fleuve, donne à l’endroit un air bucolique. Ses garde-fous dégradés, séchoirs de fortune après la trempe d’une averse, sont recouverts d’effets plus que minables… Tout près de là, un édicule sordide. Une étroite embrasure taillée dans un mur permet d’y pénétrer. Le sol est jonché de déchets de tissus, de chaussures et de débris comme échappés d’une poubelle. À l’intérieur tôles, planches et cartons parviennent à isoler des espaces estimés habitables par de pauvres hères condamnés à la rue. Un escalier plonge dans le noir vers ce qui dut être une cave. Un appel lancé à la cantonade annonce l’arrivée du café. Nordine et un jeune couple suivi d’une nichée de chiots, sortent alors de l’obscurité et s’avancent jusqu’au vieux camion où une table et des sièges facilitent le service. Au bout de la coulée verte, traversée du pont des Catalans offre une vue largement ouverte plein sud. Pour pressentir le temps probable des heures qui viennent ? Place des Ravelins puis place Saint Cyprien, les gobelets de café chaud sont appréciés, mais surtout le petit bonheur de quelques minutes de conversation, au milieu de passants indifférents, pressés en début de journée. Dernière grimpette par le pont Saint Pierre pour retrouver le beau tableau du plan d’eau, saisissant de calme et de paix, encadré du Pont Neuf et de La Grave, en amont de la chaussée du Bazacle. Au passage le grand Carlos lance un affectueux « Bonjour papy ! » Sac au dos, guitare en bandoulière, il préfère au café un brin de causette. Un café estimet-il n’est convenable qu’à la terrasse d’un bistrot… Rappel d’un besoin de dignité, vif et persistant, chez toutes ces personnes en quête d’humanité, rencontrées aux petits matins d’automne et d’hiver.