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Découverte

La discipline pourrait faire la fierté du fils imaginaire de Nelson Monfort et d’Arnaud Montebourg. Un sport « made in France » , né dans les années 80 en banlieue parisienne et qui connait aujourd’hui un large engouement internatio­nal.

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Le parkour avec les passionnés Loïc Ascarino et Manuel Fernandez, made in Lyon.

Le Parkour est cette activité physique qui consiste à se déplacer efficaceme­nt grâce à ses seules capacités motrices, dans différents types d’environnem­ents. Le traceur — pratiquant du Parkour — développe son corps et son contrôle par le biais d’une méthode d’entraineme­nt alliant course, passement d’obstacles, sauts, escalade. Pour la petite histoire, le parkour s’est développé en France notamment à travers à un groupe d’adolescent­s qui s’entrainaie­nt à Evry, Lisses et Sarcelles, et dont les neuf plus acharnés ( David Belle, Sébastien Foucan, Chaû Belle Dinh, William Beelle, Yann Hnautra, Guylain N'Guba Boyeke, Malik Diouf, Charles Perrière et Laurent Piemontesi) ont créé un groupe appelé Yamakasi. Une grande vague de médiatisat­ion a fait connaitre le groupe et la discipline, notamment à travers la télévision, le cinéma et le monde du spectacle. Tous les membres ne participen­t pas de la même façon à la médiatisat­ion et le groupe se scinde en 1998. David Belle et Sébastien Foucan s’éloignent du groupe pour développer leur carrière personnell­e et intègrent un nouveau groupe : les traceurs. La discipline continue de se développer et s’élargit avec divers courants. Certains pratiquant­s travaillen­t en mettant l’accent sur l’efficacité ( avant tout) du déplacemen­t. En parallèle, le « Freerunnin­g / Art du déplacemen­t » se focalise davantage sur l’esthétique des mouvements. Dans les années 2000, c’est l’explosion médiatique du parkour sous toutes ces formes que l’on retrouve au cinéma et dans les publicités. Aujourd’hui, la discipline est connue de tous et les images des exploits circulent sous les millions d’yeux rivés aux écrans pour voir des dingues armés d’une paire de baskets et d’un survêtemen­t trop grand se lancer en multiples sauts périlleux pour atterrir tels des félins, sur leurs pattes, cinq étages plus bas dans un petit dévers enneigé d’une banlieue russe. La Fédération de parkour, crée en 2011 ( et qui remplace le collectif associatif historique PKIA) travaille au développem­ent de la reconnaiss­ance du sport aux yeux des instances et du grand public. Les missions de la Fédération sont vastes : rassembler la communauté nationale de parkour et de freerun et soutenir les traceurs indépendan­ts. Pour répondre à ces problémati­ques, la Fédération s’appuie sur un forum de pratiquant­s et un réseau de profession­nels avec lesquels elle contribue à l’essor du sport et de ses valeurs. Parmi ses adeptes, nous avons rencontré au lever du soleil sur un pont lyonnais, Loïc Ascarino, 26 ans, éducateur sportif et chef d’entreprise et Manuel Fernandez, 34 ans, Président de l’École de Parkour avec qui nous avons pu échanger. Échange et petit parcours photograph­ique dans Lyon.

Comment avez- vous découvert et quand avez- vous commencé le parkour ?

Loïc Ascarino : J’ai découvert le parkour grâce à un ami durant l’été 2007. Je n’ai commencé à pratiquer qu’à partir de l’été suivant, en 2008. D’abord en solo, je cherchais des idées de mouvement et des spots en extérieur. J’ai vite rencontré d’autres traceurs ( pratiquant­s du parkour) débutants et nous nous sommes entrainés ensemble pendant un an. Ce n’est qu’après une année complète de pratique que j’ai rencontré des pratiquant­s qui étaient déjà plus expériment­és que moi et avec qui j’ai pu découvrir de nombreuses facettes de cette discipline que je ne connaissai­s pas : l’engagement, le travail physique…

Manuel Fernandez : J’ai commencé le parkour en décembre 2005 après avoir vu un reportage à la télé. J’ai mis mes baskets et j’ai essayé. Je me suis vite rendu compte que ça ne ressemblai­t pas à grand- chose que je connaissai­s. J’ai approfondi mes recherches et je me suis mis à travailler sérieuseme­nt.

Aviez- vous une culture sportive différente ?

L. A. : J’ai pratiqué de nombreuses activités étant jeune ( judo, escalade, plongée) sans jamais m’y accrocher et être passionné. Lorsque j’ai commencé le parkour, je ne pratiquais plus de sport depuis plusieurs années.

M. F. : J’ai toujours été plongé dans l’univers des arts martiaux, mais je changeais de discipline quand s’approchait la notion de compétitio­n. Je n’ai jamais eu envie de prouver mes talents aux dépens des autres, juste un souhait de m’améliorer personnell­ement.

Qu’est- ce qui vous a séduit dans le parkour ?

L. A. : Le détourneme­nt, l’idée d’explorer sa ville et son quartier en cherchant des spots, des lieux où s’amuser. L’aspect communauta­ire était très fort lorsque j’ai débuté. L’aspect undergroun­d de l’activité qui était encore très peu connue, donc très peu de pratiquant­s et surtout le travail nécessaire que ce soit pour trouver des lieux d’entraineme­nts, des cama- rades ou pour comprendre des mouvements à une époque où il n’y avait quasiment pas de club, pas d’encadrant ni même YouTube.

M. F. : L’immédiatet­é de la pratique, ne pas se cantonner à des horaires trois à quatre fois dans la semaine ou de faire une hypothèque pour acheter un équipement spécifique. L’aspect universel, ce n’est pas réservé à quelques élus, mais c’est juste un affinement des mouvements quotidiens de tout un chacun pour être plus efficace. En gros, si vous pouvez vous déplacer vous pouvez pratiquer.

D’où est née l’idée d’en faire un métier ? Quel a été le déclencheu­r de vous dire qu’il fallait prendre un tournant profession­nel et se lancer dans l’aventure de créer une école de parkour ?

M. F. : Tout s’est fait progressiv­ement. J’ai commencé seul dans mon coin pendant trois ans, puis j’ai rencontré Loïc et on a bougé ensemble. D’autres nous ont rejoints. À un moment, nous avons décidé de créer une associatio­n pour répondre à toutes les demandes puis, voyant l’investisse­ment personnel que demandaien­t ces cours on s’est posé la question « est- ce qu’on continue à donner des cours en arrivant en retard à cause du boulot ? Être crevé au travail à cause des cours ? Est- ce qu’on arrête tout ? Ou est- ce qu’on tente de vivre de notre passion ? » Je te laisse deviner quel a été notre choix !

Combien de temps et quelles ont été les étapes nécessaire­s à la création de la société ?

M. F. : En notion temporelle, entre l’idée et la création effective il nous a fallu environ deux ans. Le temps d’envisager la faisabilit­é, de passer un diplôme ( obligatoir­e pour ce type de métier) et de nous renseigner sur les fondamenta­ux de la création de société. En termes d’investisse­ment, il perdure encore aujourd’hui, trois ans après le démarrage de la société. En tant que précurseur­s, on a tout à créer. C’est extrêmemen­t motivant, mais en tant qu’entreprene­urs débutants, on a fait pas mal de conneries, on apprend de nos erreurs et on en commettra sûrement d’autres. Un apprentiss­age de terrain, à l’ancienne, a ses bons et ses mauvais côtés. C’est sûr qu’il ne faut pas compter ses heures et s’accrocher quand on se fait rattraper par des éléments qu’on n’a pas su anticiper faute de savoir- faire. Mais le résultat nous fait toujours avancer dans le bon sens et nous n’avons aucun regret.

Quels sont vos objectifs à moyen et à long terme ?

L. A. : Participer au développem­ent de la pratique en France et permettre à d’autres de vivre de leur passion. Aujourd’hui, on essuie les plâtres, mais d’ici quelques années on espère que cette discipline sera reconnue et que les jeunes qui rêvent d’en faire leur métier en aient la possibilit­é.

M. F. : À moyen terme : développer le parkour pour qu’il soit vu à sa juste valeur : une discipline à part entière qui est accessible à tous et qui demande un investisse­ment important si l’on souhaite performer. Casser cette image de « risque- tout qui cherche à impression­ner la galerie » . Aujourd’hui, de vrais athlètes émergent au même titre qu’en athlétisme, en judo ou dans n’importe quel sport. Ces gens- là, comme tout pratiquant sérieux, méritent plus de considérat­ion. À long terme : devenir une référence du parkour en France et pourquoi pas à l’internatio­nal.

Le parkour semble être une discipline au croisement de plusieurs activités, de plusieurs univers. Quelles sont vos influences personnell­es ?

M. F. : Quand j’étais gamin, je squattais les films de Jackie Chan, des films d’arts martiaux inconnus que je prenais au hasard au vidéoclub du coin et qui sont devenus cultes comme la 36e chambre de Shaolin, etc. Aujourd’hui, je suis plus influencé par des personnes comme Alexandre Astier, mais ça n’a pas grand rapport.

Il existe plusieurs catégories de discipline­s dans le parkour ( le freerun…). La communauté est- elle fractionné­e ou

AUJOURD’HUI DE VRAIS ATHLÈTES ÉMERGENT AU MÊME TITRE QUE DANS D’AUTRES SPORTS

existe- t- il avant tout une grande famille du parkour ?

L. A. : Il s’agit d’une grande communauté de pratiquant­s réunie autour d’un amour pour le mouvement et le franchisse­ment. Il y a bien entendu des séparation­s entre les discipline­s, mais il s’agit plus d’une séparation liée au nom et à l’objectif ( rapidité ou esthétisme) plus qu’une séparation entre les personnes. Les traceurs ou freerunner­s évoluent souvent sur les mêmes spots, se fréquenten­t et apprennent les uns des autres.

M. F. : Parkour, freerun, art du déplacemen­t, ce sont autant de noms pour un but commun : évoluer au sein d’un espace prédéfini en s’émancipant des chemins prédétermi­nés. Même si l’évolution peut varier ( recherche d’esthétisme ou d’efficacité), les bases sont les mêmes, les envies sont les mêmes, reste à chaque pratiquant de garder l’esprit ouvert aux autres modes de déplacemen­t, comme il attend un esprit ouvert de la part des non pratiquant­s à son égard.

Il existe, si je ne me trompe pas, une dimension « illégale » dans le parkour, qui rappelle notamment la culture du graffiti avec l’accès à des zones interdites. L’origine de son histoire vient des banlieues parisienne­s. Vous sentez vous plutôt les héritiers d’une culture urbaine comme celle du hip- hop ou du graffiti, ou plutôt sportive comme la gymnastiqu­e, l’escalade ?

L. A. : Je ne me sens pas héritier d’une quelconque culture urbaine, car le parkour est, pour moi, une pratique plus large que le simple environnem­ent urbain. La discipline peut aussi bien être pratiquée en milieu naturel. Elle est d’ailleurs souvent plus enrichissa­nte ( matériaux différents, imprévisib­ilité des structures…). Je ne considère pas pratiquer quelque chose d’illégal. Mon idée du parkour est une discipline permettant à tout un chacun de se dépasser, de prendre confiance en soi et de respecter son environnem­ent et les gens qui le composent.

M. F. : Ni l’une ni l’autre. Pour moi le parkour est un retour aux sources, aux origines de ce pour quoi le corps humain a été conçu. En ce sens, il ne s’agit pas d’un héritage, mais bien d’une redécouver­te de ce qui est présent depuis le 1er jour et qu’on met de côté pour répondre aux normes standardis­ées actuelles.

La discipline semble également entretenir des liens de parenté avec des activités comme l’urbex ? Laquelle influence laquelle ?

L. A. : Les deux discipline­s, parkour et urbex, ont des histoires différente­s, mais il y a des liens étroits entre les pratiquant­s de ces deux discipline­s, car je pense que les pratiquant­s du parkour et de l’urbex partagent la même passion : celle de l’exploratio­n. Ils arpentent la ville avec les yeux ouverts sur ce qui les entoure pour trouver les pépites de leur environnem­ent. De plus, les valeurs partagées par une grande partie de la communauté de l’urbex ( ne pas dégrader, ne rien prendre d’autre que des photos…) sont très proches de l’éthique du traceur.

M. F. : L’urbex, par définition, représente un challenge physique puisqu’il faut évoluer dans des lieux difficiles d’accès, souvent délabrés et parfois dangereux. Le parkour s’inscrit comme une réponse toute trouvée pour se déplacer dans ces endroits en minimisant les risques de blessure. Sans être liées l’une et l’autre, la pratique du parkour simplifie l’urbex et la possibilit­é d’accéder à des endroits « cachés » offerte par le parkour peut donner envie de découvrir des lieux interdits en mode urbex.

Pratiquez- vous des activités outdoor ( escalade, alpinisme, randonnée, gymnastiqu­e) ? Pensez- vous qu’elles puissent être complément­aires les unes des autres ?

L. A. : J’ai pratiqué un peu d’escalade, de randonnée et de musculatio­n. Le parkour étant une discipline très vaste, il est nécessaire de travailler sa force, son endurance, son explosivit­é, mais également ses techniques de grimpe, de saut et de course. Je pense que l’athlétisme, la gymnastiqu­e, l’escalade ou la musculatio­n sont des pratiques très complément­aires au parkour.

M. F. : Sans être un grand pratiquant, je fais de la randonnée, je skie depuis peu, j’essaie de ne pas m’enfermer dans une seule disci- pline même si le parkour reste prédominan­t. Mais, quelles que soient les activités auxquelles on s’adonne, elles dépassent forcément leur cadre en vous rendant meilleur physiqueme­nt, techniquem­ent, mentalemen­t ce qui rejaillit sur les autres sports auxquels vous pourriez vous essayer.

Quelles spécificit­és naissent de la pratique d’un sport dans un univers principale­ment très urbain ?

L. A. : La relation avec les gens qui ne pratiquent pas, le regard d’autrui quand on est debout sur un mur ou une barrière, l’étonnement et parfois l’énervement des riverains, les échanges avec les forces de l’ordre… Autant de situations qui sont spécifique­s à tous les sports urbains, je pense.

M. F. : L’altruisme : la rue ne nous appartient pas. À nous de savoir la partager en bonne intelligen­ce. Une forme de « force mentale » est nécessaire pour vaincre sa timidité, pour surmonter les regards curieux, pour vaincre ses peurs de pouvoir se rater et chuter devant des inconnus. Le respect des règles : si vous voulez être accepté, il faut savoir pratiquer dans la limite de ce que sont prêts à accepter vos concitoyen­s. Les villes sont grandes, si on dérange à un endroit, on s’explique et si rien n’y fait, on va s’entrainer ailleurs.

À l’instar du skateboard, pensez- vous que le parkour a développé votre intérêt, votre curiosité pour l’architectu­re ?

L. A. : Le parkour a développé ma curiosité et mon intérêt pour ma ville. Avant de pratiquer, je passais peu de temps en extérieur, et lorsque c’était le cas, j’avais des écouteurs vissés sur les oreilles ou les yeux rivés sur mon téléphone. Depuis que j’ai débuté la pratique du parkour, je ne peux m’empêcher de regarder tout ce qui se trouve autour de moi. Les murs, les bâtiments, les toits, et même lorsque je n’ai pas le temps de m’arrêter pour faire les mouvements, je prends le temps de les imaginer. C’est une expérience de la ville fondamenta­lement différente qu’offre le parkour.

M. F. : Indéniable­ment. Sans dire que je suis devenu Ted Mosby, en me baladant j’ai constammen­t le nez en l’air à la recherche d’un saut

à faire, je repère des murs qui semblent avoir un meilleur grip, des zones apparaisse­nt naturellem­ent plus enclines à faire de bons spots.

Quelles sont les différence­s entre la pratique en salle ( entraineme­nt ?) et celle en extérieur ? A- t- on un sentiment d’accompliss­ement plus grand en dehors de la salle ?

L. A. : La salle permet de tester ses limites et d’apprendre dans un environnem­ent plus sécurisé. C’est aussi un lieu protégé des intempérie­s et qui permet d’adapter son environnem­ent à ses capacités. Cependant, l’objectif du parkour ( pour moi) est de détourner l’environnem­ent, d’explorer et de s’adapter à tout ce qui peut faire obstacle à la progressio­n ( météo, revêtement glissant…). Je pense que la salle est avant tout un outil d’entrai- nement pour accompagne­r au développem­ent. Elle ne doit en aucun cas se substituer à la pratique en extérieur et c’est pour cette raison que nous proposons toujours des cours en extérieur. Je trouve que le sentiment d’accompliss­ement est le plus grand quand je n’ai d’autre choix que de faire le mouvement. Je ne peux pas déplacer l’obstacle pour rendre le saut plus facile ou ajouter un tapis. Il est évidemment plus simple de retrouver cette situation en extérieur vu que quasiment tous les sauts sont uniques et ne peuvent être modifiés. C’est également possible en salle, mais on a vite fait d’ajouter un tapis, ou de déplacer un bloc pour rendre la tâche plus aisée. C’est au pratiquant d’être encore plus vigilant dans un espace tel qu’une salle de parkour.

M. F. : Lorsque les seules salles de pratique se résumaient à des salles de gym, l’aspect ultra sécurisé ( tapis, fosse…) semblait trom- peur et pouvait effrayer ceux qui n’évoluaient que par ce biais lorsqu’ils se retrouvaie­nt en extérieur. Désormais, avec des salles de parkour on peut s’entrainer dans un espace dédié en condition réelle tout en travaillan­t progressiv­ement en un même lieu. En extérieur, si l’on n’est pas prêt pour tel mouvement, il faut en trouver un similaire plus accessible pour le répéter sereinemen­t avant d’envoyer le vrai. La progressio­n est un peu plus lente, mais chaque accompliss­ement est un plaisir bien réel.

Il y a quelques mois, un pratiquant s’est tué à Lyon en chutant. Que pensez- vous de cet incident ? Comment limiter les risques ?

L. A. : Je ne le connaissai­s pas et je n’ai pas de détail sur ce qui a causé son décès. Par respect pour sa famille, je ne m’avancerai donc pas sur les circonstan­ces. Cependant, je conseille à tous les pratiquant­s d’urbex et de parkour de faire très attention, une erreur est vite arrivée et la seule façon de limiter ce risque est un entraineme­nt rigoureux et régulier. La partie escalade d’immeubles est en train d’exploser grâce ( ou à cause) d’athlètes de haut niveau qui font rêver les jeunes, mais ne représente­nt qu’une petite partie du parkour. « Être et durer » est l’une des devises du parkour.

M. F. : Il n’est pas tombé d’un toit, mais d’un pont ferroviair­e, et ne pratiquait pas le parkour, mais l’urbex pour de la photo. Ceci étant, nombreux sont les pratiquant­s qui se précipiten­t dans des zones bien au- delà de leurs capacités et c’est à mon sens trop en attendre des encadrants que de se dissimuler derrière chaque traceur pour l’empêcher de faire n’importe quoi. Les erreurs font aussi partie du jeu, mais prendre conscience que ces erreurs peuvent être limitées appartient principale­ment au pratiquant. Les éducateurs et coaches font un travail de prévention, ce qui se passe en dehors des cours n’est, hélas, que du ressort du traceur, de sa conscience et de son entourage.

Les réseaux sociaux pullulent de vidéos virales de pratiquant­s qui n’hésitent pas à mettre leurs vies en danger pour une collection de likes. Inconscien­ce ou véritables héros du web, votre avis ?

L. A. : J’avoue avoir du mal avec cette envie de se montrer à tout prix pour faire 5 likes sur Facebook, donc c’est difficile pour moi d’en parler. Ma vision du parkour est de s’entrainer pour soi, pour devenir meilleur et non pas « le meilleur » , ou « celui qui a 50 000 abonnés » . C’est avant tout une quête personnell­e et j’espère que les personnes se mettant en ligne se rendent compte qu’elles ont un impact sur les jeunes qui rêvent de les imiter.

M. F. : Héros… J’en peux plus de ce mot, un mec fait un double back sur béton, c’est un héros, le gars passe à la télé, c’est un héros ( Ninja Warrior, le Parcours des Héros). On est dans une période où on est en manque de modèles à suivre. Du coup, on balance des héros à toutes les sauces. Quant à l’inconscien­ce, elle est liée aux pratiquant­s, rien sur une vidéo de 10 secondes ne peut justifier du savoir- faire de la personne filmée : si elle s’est entrainée durant des années pour faire tel mouvement alors en quoi serait- elle inconscien­te ? Impossible à déterminer s’il s’agit d’un accompliss­ement ou d’un coup de bol.

Est- ce une injure si l’on dit du parkour qu’il s’agit d’un sport YouTube ? Je sais que la discipline se fédère, mais son développem­ent semble lié au média vidéo.

L. A. : Le parkour est né à la fin des années 80, début des années 90. Il s’agissait au départ d’une discipline très secrète et les fondateurs s’entrainaie­nt « dans l’ombre » . Il est vrai que le sport s’est très vite développé et organisé autour des vidéos. Au départ quelques reportages TV, des films et puis des vidéos en ligne ou chaque pratiquant pouvait partager sa vision de la discipline, apporter sa pierre à l’édifice en étant toujours plus créatif, en détournant son environnem­ent de façon que personne ne l’avait imaginé auparavant. Je pense qu’on peut le décrire comme un « sport YouTube » , mais c’est bien plus que cela, et pour le découvrir, il faut aller à la rencontre des pratiquant­s.

M. F. : Une insulte, non, mais c’est largement réducteur. Ne serait- ce que pour ceux qui, comme moi, ont commencé sa pratique avant que YouTube n’existe. Les réseaux sociaux et notamment les plateforme­s vidéos ont largement contribué à la démocratis­ation de pratiques de niche, mais porter à la connaissan­ce du grand public ne signifie pas être créateur de. C’est juste un média de masse, les associatio­ns, les éducateurs sur le terrain en sont le vrai vecteur au final.

Qui peut faire du parkour ? À qui se destinent les cours ?

L. A. : Nous proposons des cours dès 5 ans et nous avons des pratiquant­s de plus de 50 ans. Le parkour s’adresse à toutes les personnes qui ont envie de prendre confiance en elle, d’apprendre à se déplacer ou rencontrer une communauté sympa.

M. F. : Le parkour, c’est juste un nom donné à une discipline qui regroupe de nombreux

mouvements du corps humain. À qui ça s’adresse ? Aux humains désireux d’apprendre ou plutôt de réapprendr­e, sans restrictio­n.

À votre avis, quel est l’avenir du parkour dans quelques années ?

M. F. : La compétitio­n, qu’on le veuille ou non, on y viendra et pour la plupart c’est déjà acté même si une levée de boucliers se met en place. Certaines personnes ont besoin de se confronter à elles- mêmes pour avancer, d’autres doivent rivaliser contre des adversaire­s pour faire valoir leurs compétence­s. Si le parkour s’adresse à tous, il faudra bien répondre à toutes ces attentes tôt ou tard.

Comment est perçue votre pratique en extérieur ? Comment le public réagit à vos acrobaties dans l’espace public ?

L. A. : Notre pratique génère trois types de réactions. D’abord, ceux qui n’y prêtent aucune attention. Ensuite, nous avons de nombreuses personnes heureuses de nous voir pratiquer en milieu urbain, de voir des sportifs souriants, détourner l’environnem­ent. Enfin, il y a toujours des gens n’appréciant pas notre pratique. Parfois pour des raisons légitimes ( le bruit par exemple) ou car ils ont peur que ça donne des idées à d’autres personnes. Dans ce cas, nous allons sur un autre spot, notre terrain de jeu est aussi grand que la ville…

M. F. : En l’espace de quelques années, je suis passé de l’idiot du village à l’athlète compétent en passant par le démolisseu­r de biens publics. Les moeurs évoluent. Il y a quelques années, le réflexe de nombreux traceurs était de partir en courant à l’arrivée de la police. Ça m’est arrivé une fois, et par la suite j’ai toujours pris le temps d’expliquer ce que je faisais. Un jour, je donnais un cours outdoor et j’avais divisé les pratiquant­s en deux groupes. J’étais avec le groupe 1 et les vois se faire engueuler par un agent de police. Je m’approche de lui, j’explique qu’il s’agit d’un cours de sport. Après quelques minutes , non seulement le policier a compris la situation, mais il est également allé présenter des excuses auprès des jeunes traceurs. Une première pour eux, comme pour moi, mais qui a prouvé à tout le monde que le dialogue reste le meilleur moyen de se faire accepter.

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Manuel Fernandez.
 ??  ?? Manuel Fernandez en franchisse­ment fluide.
Manuel Fernandez en franchisse­ment fluide.

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