LE TEMPS DES PIONNIERS
PHILIPPE DELACHENAL RACONTE
« NOUS COURIONS SUR LE GLACIER AVEC DES POINTES DE CROSS. »
L’histoire de la course à pied sur les pentes du Mont- Blanc ne date pas de Kilian Jornet. Le Catalan détient bien le « record » de l’ascension aller- retour la plus rapide au départ et à l’arrivée de l’église de Chamonix en 4 h 57 depuis le 11 juillet 2013, mais il avait alors battu une performance remontant à 1990 et détenue en 5 h 10 par le Suisse Pierre André Gobet. Ce record avait d’ailleurs clos une suite de tentatives de « chrono » au sommet du Mont- Blanc. À la fin des années 80, quelques spécialistes se défiaient ainsi. Philippe Delachenal, pionnier du trail et organisateur de nombreuses épreuves ( Tour des Glaciers de la Vanoise, Grande Traversée des Alpes), était de ceux- là. Pour lui, courir sur le Mont- Blanc relevait d’un rêve, mais aussi de la suite logique de sa trajectoire sportive : « Le Mont- Blanc, en tant que Savoyard, c’était un peu “ma montagne”. Je l’avais gravi pour la première fois très jeune, à seize ans, puis de nombreuses fois de façon classique. Comme je courais en montagne depuis quelques années déjà, faire un “chrono” sur le MontBlanc était quelque chose dont je rêvais. Nous étions au tout début du trail, qui n’existait quasiment pas. Mais nous étions quelques- uns à courir en montagne et aimer ce genre de défi. À 40 ans, courir sur le Mont- Blanc, c’était mon truc. Bien sûr, j’étais aussi alpiniste, je connaissais bien le Mont- Blanc, les différents itinéraires. Nous faisions les records sur l’itinéraire des Grands Mulets, aujourd’hui fermé. J’étais forcément attentif aux conditions climatiques. Pour réussir un “chrono”, il fallait que pas mal de conditions soient réunies. Enfin, je l’ai tenté trois fois en mode “course”, et à chaque fois je n’étais pas seul. Deux fois j’étais avec Laurent Smagghe, une autre avec un bon coureur lyonnais. Mon meilleur temps restera huit heures pour faire l’aller- retour à l’église de Chamonix. » UNE AFFAIRE DE SPÉCIALISTES Ces tentatives de « chronos » restaient à l’époque l’affaire de spécialistes, même si elles créaient déjà quelques polémiques : « Je me souviens que les guides que nous doublions dans la montée ne nous encourageaient pas vraiment et nous regardaient plutôt d’un mauvais oeil ! Mais nous n’inspirions pas le grand public. Cela restait vraiment l’affaire de coureurs spécialistes. Tous n’étaient pas alpinistes ou montagnards, mais ceux qui étaient le moins expérimentés en la matière s’y mettaient avant. Ainsi, Jacques Berlie ( qui porte le record à 5 h 37 en 1988) n’était pas un vrai alpiniste, mais il était très fort sur marathon et en courses de montagne. La même chose pour Gobet, qui était un super marathonien et qui est devenu un très bon alpiniste. Seul Laurent Smagghe avait un profil un peu différent : il était originaire du Nord et ne connaissait pas vraiment la montagne,