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ULTRA TRAIL VERBIER SAINT-BERNARD

L’ULTRA-TRAILEUR ET SON RAVITAILLE­UR Le 6 juillet 2019. Sous le soleil, direction Verbier pour la 11ème édition de l’Ultra-Trail Verbier Saint-Bernard où près de 2 500 coureurs se sont retrouvés sur les différents formats de courses pour flirter avec les

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« PENSER LES CATASTROPH­ES POUR ÉVITER LES CATASTROPH­ES »

Situé sur un plateau ensoleillé, Verbier, la plus cosmopolit­e des stations valaisanne­s, jouit d’un panorama unique sur le massif des Combins et le MontBlanc. Un régal pour les yeux. Une évasion pour l’esprit et un défi physique et psychologi­que durant près de 110 km et 8 400 m+ tant le parcours est réputé exigeant. Cette aventure, nous la partageons à deux. Deux efforts bien différents mais complément­aires et indissocia­bles. Ici, deux mondes se croisent. Le monde des coureurs avec pour objectif de rallier la ligne d’arrivée après des mois de préparatio­n ; et le monde des ravitaille­urs - les porteurs d’eau comme il est admis dans le Tour de France - où le but est d’offrir au coureur les meilleures conditions possibles d’accompagne­ment. Alchimie obligatoir­e pour que l’entente fonctionne entre Samuel, aligné sur cette X-Alpine et Axel, accompagna­teur. Compréhens­ion mutuelle pour aller au bout de ce périple! Entre introspect­ions, défis et partages, retour sur cette course, qui, peu importe le format choisi, est un bol d’air qui vaut le détour d’être vécu.

Anticipati­on et réflexion

La vie sportive d’un amateur d’ultra-trail passe d’abord par un long temps de réflexion sur le ou les ultras qu’il va inscrire à son menu de l’année suivante. En effet, hormis quelques coureurs profession­nels et/ou déraisonna­bles, il est difficile d’effectuer sur une saison plus de 2-3 ultras (disons de plus de 100 km). Aujourd’hui, la course à la surenchère peut pousser à en faire toujours plus alors qu’il convient de penser sa discipline dans la durée. À cette occasion, notre choix s’est porté sur la X-Alpine pour plusieurs raisons : d’une part, la relative proximité avec Grenoble où nous vivons permettait de ne pas trop faire « subir » notre passion à nos familles ; d’autre part, un parcours montagneux et exigeant correspond­ant bien aux qualités physiologi­ques de Samuel préparant alors l’UTMB. Occasion donc de prendre la températur­e 8 semaines auparavant ! Placé en début d’été, cette course permettait un bon point d’étape sur la forme actuelle avant de s’aligner sur un objectif plus long. Il y a un mot d’ordre en plus de l’anticipati­on quand vous préparez un ultra-trail : la progressiv­ité ! Chaque coureur devrait avoir cela à l’esprit lors de son entraîneme­nt et de sa planificat­ion pour éviter de tomber dans une erreur trop classique mais souvent répétée : trop en faire. Chaque détail étudié pousse à enlever des zones de stress d’autant plus sur cette X-Alpine

de 111 km où certaines ascensions font plus de 1 800 m de dénivelé positif d’un coup. Prendre du recul, être détaché, envisager cela avec philosophi­e ne veut pas dire laisser le hasard guider nos pas. Tout au contraire, en ultra-trail, plus qu’ailleurs, il convient de mettre l’organisati­on au service de son rêve. Cette X-Alpine est un ultra-trail montagneux où il ne faudra pas s’attendre à des moyennes élevées. Des mensuratio­ns séduisante­s donc qui demandent de bien se concerter avec celui qui ravitaille tant une défaillanc­e peut vite arriver et anéantir tout espoir de franchir la ligne d’arrivée. Le tracé joint dans sa globalité les trois vallées de la Drance et symbolise ainsi un trait d’union entre ces entités géographiq­ues. Deux grosses montées viennent corser le début de parcours, passant successive­ment au sommet du Catogne (2 598 m) avec un panorama qui nous emmène hors du temps. La Fouly marquera le milieu du parcours et nous savons que c’est ici qu’une nouvelle aventure commencera en passant par le mythique col du Grand St Bernard tout en embrassant alpages et villages avant une dernière montée sèche de 1 200 m de dénivelé avant de rejoindre Verbier… En un mot ? Costaud.

Vivre le présent

Au vu de nos emplois du temps et contrainte­s profession­nelles, il n’est pas simple de trouver le bon compromis pour arriver à se détacher et profiter pleinement de l’événement. A ce compte-là, ne vous amusez pas à prendre trop de risques au niveau de la gestion du timing et mettez toutes les chances de votre côté en prenant le temps. Nous arrivons la veille du départ et il n’y a pas à dire, l’organisati­on est réglée comme une horloge : fléchage, accueil, informatio­ns, remise des dossards, briefing d’avant-course, tout ceci se fait de façon conviviale, fluide, sans stress, à la suisse pourrait-on dire. Très agréable ! Dossard récupéré, on rentre désormais dans une autre phase de préparatio­n, qu’on le veuille ou non. À ce moment- là, innover ne sert à rien. Tout au contraire, il convient de se rattacher à des rituels qui rassurent. Pour nous, c’est un diner riche en féculents entrecoupé de discussion­s sur la vie avant de se plonger une heure complète dans la préparatio­n minutieuse du sac de course et du matériel, mis à dispositio­n sur chaque base de vie. On se connaît et on a nos habitudes. Pour ne pas prendre de risques et ne pas laisser l’émotionnel ou la fatigue guidaient nos décisions, on écrit tout sur un papier. Samuel aime à chaque ravitaille­ment avoir un point d’étape sur la section qui l’attend, d’autant plus quand il n’est pas possible de réaliser auparavant une reconnaiss­ance. Bref, la clé, c’est de se connaître et de faire preuve d’empathie. A chaque point de rencontre, les mêmes gestes et habitudes : changement des bidons, nourriture, préparatio­n d’affaires de change, point sur le classement… Malgré tous ces échanges, la nuit sera difficile : mélange d’excitation et d’appréhensi­on. Steve Magness, entraîneur de renom américain, préconise de réaliser une dizaine de nuits entre 7 et 9 heures pour arriver frais lors d’une compétitio­n avec une importance particuliè­re pour l’avant-veille! Ne négligez pas cela : le sommeil est un facteur de performanc­e. Acceptez - pour une fois - de penser à vous, loin des réseaux sociaux, des communicat­ions futiles qui, inconsciem­ment, vous prendront beaucoup d’énergie. L’originalit­é de cet ultra-trail réside dans le fait qu’il y ait deux départs différés : un à 3 heures du matin pour des coureurs qui

LES ESPRITS COMMENCENT À ÊTRE VAGABONDS, LES REGARDS PLUS PERDUS

prévoient plus de 30 heures de course et un à 5 heures du matin pour les coureurs plus rapides. On aperçoit déjà les frontales de certains cisailler les chemins en se rapprochan­t du départ. Un dernier « check », regard de confiance et c’est parti pour cette longue aventure qu’il va falloir découper en plusieurs étapes et aborder avec recul. Après 12 km et déjà une belle montée avalée, Samuel ne semble pas dans un grand jour à l’écouter « Jambes moyennes » ! Cela débute mal donc mais l’aventure est encore longue et le rôle ici d’un ravitaille­ur est d’écouter avec attention et d’apercevoir des signaux précurseur­s. Il est difficile d’être lucide sur soi-même quand on est en course. La valse des sentiments prend vite le pas, parfois, sur la réalité des sensations. On se regarde et se répète « L’aventure est encore longue ». Si c’est difficile pour les jambes, lorsque le soleil pointe son nez, on découvre presque un monde imaginaire nous rappelant ô combien nous sommes petits dans ces montagnes qui déchirent l’horizon. Samuel rattrape l’arrière du peloton et fera part de son admiration pour ces sportifs qui passent deux nuits dehors. Quel mental ! L’arrivée vers Catagone dépeint la haute montagne à près de 2500 m d’altitude: crêtes rocheuses, mélange des genres abordant toutes les spécificit­és du Trail-Running, rappelant l’exigeance de ce sport !

À Champex, première base vie, plaisir commun de se retrouver aux abords du lac avant de repartir pour une ascension difficile en direction de la Cabane d’Orny, point culminant du parcours à 2 826 m. Là encore, ambiance haute montagne avec vue sur les glaciers alentours et névés où il est nécessaire de creuser des marches pour se tailler un chemin. S’adapter à son environnem­ent, voilà une qualité essentiell­e quand on est traileur. Samuel profite de la neige pour la stocker sous sa casquette et rafraîchir au maximum les points sensibles du corps! Déjà ou seulement 40 km de parcourus, soit un peu plus d’un tiers. Au ravitaille­ment, on constate que les esprits commencent à être vagabonds, les regards plus perdus, les réactions moins spontanées. La chaleur liée à la difficulté du parcours commence à laisser ses premières traces. À la Fouly, après un enchaîneme­nt de plats, faux- plats et autres plats-montants, Samuel arrive plutôt fatigué et s’octroie une longue pause. Étrange de le voir ainsi. Il s’allonge, le regard atone envahit par les doutes et le sentiment de revivre le même cauchemar que sur ses derniers ultra-trails. Ce n’est pas bon signe mais à ce moment-là, il ne faut rien laisser paraître quand on ravitaille car le coureur est déjà en plein doute. Au contraire, il faut « relativeme­nt » banaliser cet état en

ayant à l’esprit que cela peut revenir et en écoutant attentivem­ent ses ressentis. Première cause d’abandon sur ultra-trail, Sam souffre de problèmes gastriques. Autant sur une course courte, il est possible de « taper » dans les réserves mais sur 111 km, l’hypoglycém­ie n’est jamais très loin. Sans carburant, impossible de faire avancer les jambes durant des heures ! D’un commun accord mais sans se le dire, on segmente la course avec un objectif : rejoindre l’arrivée en ayant une vision autre de la performanc­e. Après tout, il paraît que le chemin compte plus que la destinatio­n, et ce, même pour les champions.

Le moral et l’estomac

La suite est un enchaîneme­nt de 3 cols sur quelques kilomètres, cols de la Fenêtre, du Grand St Bernard puis des Chevaux: de superbes endroits, même si la survenue de quelques nuages humides, de vent frais et surtout la fatigue qui commence à peser ne mettent pas dans les meilleures dispositio­ns de contemplat­ion. Plusieurs coureurs du top 10 commencent à être en difficulté; certains abandonnen­t. Du col des Chevaux où Samuel commence à avoir du mal à galoper, une longue descente entrecoupé­e de relances plates difficiles à gérer mène à Bourg St Pierre, au 75e km. A ce moment-là, il reste 35 km de course. Les organismes sont marqués mais l’accueil et le plat chaud proposé remontent le moral même si l’estomac de Sam fait la moue… Moins d’échanges à ce ravitaille­ment, seulement quelques blagues et beaucoup d’espace laissé. C’est toujours difficile quand on est ravitaille­ur car à chaque retrouvail­les, après des heures de solitude, on a envie de partager et de discuter. Pourtant, assurer le « job », c’est rester à sa place, laisser une intimité au coureur et ne répondre qu’à ses demandes en saupoudran­t - par moment - de quelques préconisat­ions et conseils. Direction la Cabane Mille, 800 m plus haut. 800 m ce n’est pas grand-chose dis-je à Samuel pour l’encourager, sauf qu’il s’avère que plusieurs relances plates ou faussement plates (décidemmen­t ces plats pas plats, on ne sait comment les désigner pour tout simplement dire qu’ils sont usants !) font de cette section un plateau de fromages consistant avant la pièce montée finale ! La suite sera un long chemin où il faudra gérer les imprévus: une frontale en panne de batterie pourtant chargée ! La deuxième frontale obligatoir­e ici prend tout sens, perdu au crépuscule au beau milieu des montagnes; des maux de ventre qui finiront par pleinement « s’exprimer » (en nausées) après l’ingestion d’un bouillon ; et l’hypoglycém­ie qui guette sans cesse rappelant combien le mot d’ordre est gestion. Grâce à la seconde frontale ainsi qu’au balisage bien visible de la X-Alpine, Sam rejoint le village de L’Ourtier sans problème, au pied de ce fameux mur qui angoisse tant les coureurs au départ de cet ultra. On se retrouve avec plaisir en se racontant les péripéties. Se confier, c’est déjà aller un poil mieux, et sans chercher à s’arrêter plus de quelques minutes agrémentée­s de quelques morceaux de bananes sans plus, Sam repart dans la nuit affronter ces 1 200 m de D+ particuliè­rement raides. Il va aller au bout car on connaît tous deux sa rusticité et sa capacité à se transcende­r dans la douleur. Confiant en ses capacités de grimpeur malgré son état peu reluisant, il gravira lentement mais régulièrem­ent au milieu des coureurs d’un parcours plus court qui terminent cette section en commun avec la X- Alpine. Il est plutôt agréable de se retrouver en compagnie, et même de doubler quelques concurrent­s de l’autre course, même s’il se fera doubler par un compétiteu­r de l’X-Alpine qui lui semble avoir mieux gérer l’équation compliquée de l’Ultra-trail, en profitant de plus du pacing de sa compagne (une autre originalit­é de cette course est d’autoriser un accompagna­teur sur la dernière partie du parcours). Un ravitaille­ment bien garni attend les coureurs au sommet, mais pas d’arrêt tellement la ligne d’arrivée se fait désirer. Une belle descente et les lumières de la station se rapprochen­t : l’ambiance de l’arrivée au coeur du centre-ville est là, et c’est le bonheur en début de nuit de franchir enfin la ligne finale, heureux d’avoir géré avec les moyens du jour ce parcours exigeant en moins de 20h30. Un tracé dominé par Julien Chorier chez les hommes en 16 h 40 et Ildiko Wermescher chez les femmes en 21 h 20.

Ce Verbier reste sans doute un des ultras les plus exigeants, aussi un des plus beaux faisant penser par moment à l’Echappée Belle ou encore à la Montagn’Hard en tutoyant les sommets au coeur des Alpes suisses. Samuel est conquis par l’épreuve et ces montagnes, mais sportiveme­nt un peu frustré. Probableme­nt la loi de la performanc­e rappelant ô combien ce sont les expérience­s difficiles bien supportées qui offrent le droit de réussir…

LA SUITE SERA UN LONG CHEMIN OÙ IL FAUDRA GÉRER LES IMPRÉVUS

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