LA BONNE TRAJECTOIRE DE LA TRANSAT JACQUES VABRE}
AURÉLIEN DUCROZ, DE LA MONTAGNE À LA MER SUR LE BATEAU CROSSCALL-CHAMONIX-MONT-BLANC
Aurélien Ducroz, le spécialiste de ski freeride, vient de boucler sa troisième Transat Jacques Vabre. Avec son coéquipier Louis Duc, ils ont terminé 5e dans la catégorie Class 40, malgré de nombreuses avaries et un parcours difficile. Aurélien revient pour nous sur cette expérience, où ils ont su trouver la bonne trajectoire pour rallier Le Havre à Salvador de Bahia, au terme de 18 jours de mer.
Aurélien Ducroz conjugue sa passion de jeunesse pour le ski, qui l’a amené au meilleur niveau mondial en freeride, avec plusieurs titres mondiaux et des victoires de prestige, avec son attrait pour l’océan. Depuis douze ans maintenant, il se consacre également à la voile. Il participait ainsi, le mois dernier, à sa 3e transat Jacques Vabre, en compagnie de l’expérimenté Louis Duc.
Un duo sur les flots.
« Nous avions eu peu de temps pour nous préparer à cette aventure, qui s’est montée très vite. Mais au final, ce fut une super expérience. Nous sommes très heureux d’avoir pu nous mêler à la lutte avec les meilleurs, des spécialistes qui se consacrent à 100 % toute l’année à la voile. » explique le chamoniard. Au-delà du résultat, c’est bel et bien la manière et l’esprit d’équipe qui a soudé les deux hommes qu’Aurélien retient. « Nous avons connu une transat très difficile, avec une certaine malchance sur le matériel et pas mal d’avaries. Cinq voiles fendues, ça fait beaucoup. A un
NOUS AVONS TENU LE CAP JUSQU’AU BOUT
moment, nous nous sommes transformés en couturiers plutôt qu’en navigateurs tant nous avions à réparer les voiles. Mais contrairement à d’autres équipages qui ont pu jeter l’ancre pour moins que ça, nous avons tenu le cap jusqu’au bout. Surtout, et c’est vraiment remarquable dans une telle situation, où vous vous retrouvez à deux, isolés au large, nous sommes toujours restés sur la même longueur d’onde, jamais un mot plus haut que l’autre. » Les deux hommes ont dû limiter au minimum leurs temps de repos sur les six derniers jours de mer, pour se relayer à la barre tout en réparant les voiles. « Nous avons pu ainsi nous maintenir jusqu’au bout dans le top 5 », souligne Aurélien. « A l’arrivée, c’est une immense satisfaction, même si la récupération est difficile. Difficile de dire combien de temps j’ai dormi pendant ces 18 jours de mer, mais c’est peu ! ». En principe, les deux membres du binôme fonctionnent un peu comme deux navigateurs solitaires qui se relaient, l’un se reposant lorsque l’autre est sur le pont, rôles bien fixés, mais les conditions de course ont dû rendre
encore plus cruciale l’entente : « Nous étions solidaires. Lorsqu’il fallait réveiller l’autre pour réparer ou effectuer une manoeuvre, il n’y a jamais eu de souci. Notre complémentarité était totale : Louis est plus expérimenté, un vrai marin, c’était sa 15e transat, et m’apporte beaucoup. Je possède une expérience en régate qu’il n’a pas, et ça nous a aussi aidé pour rester à la bagarre, concentrés jusqu’au bout. » conclut Aurélien, très fier et heureux de la gestion de cette transat « Ma course au large la plus aboutie jusqu’à présent » conclut-il. « En prime, avec tous les ennuis qu’on a eu, nous serons au top pour notre prochaine transat sur ce qu’il faut mettre dans la trousse de réparation », s’amuse le skieur-skipper.
Lire la mer comme la neige
Bien entendu, lorsque l’on connaît le talent et la maîtrise du chamoniard dans la pente, la montagne et la neige, on peut se demander ce qu’il est venu faire dans la galère de la voile. Mais pour Aurélien, la montagne et la mer se complètent et répondent à des sensations et des envies communes. « Ce sont des milieux où la nature est reine. Mon expérience de skieur est très transposable en mer. Comme pour une voie en montagne ou une descente en freeride, il faut trouver la bonne trajectoire. Etre capable de lire le terrain, sur la neige ou sur la carte marine, selon la météo ou les conditions, j’y vois un parallèle assez évident. Bien sûr, la technique de la voile est totalement différente et m’a demandé un apprentissage, mais la lecture du terrain en montagne et de la météo en mer sont très semblables ; dans
les deux cas, il faut anticiper, trouver le chemin le plus sûr et la meilleure sécurité. » En terme de préparation et de qualités physiques, Aurélien souligne aussi la complémentarité de ses deux pratiques : « Certes, la voile ne demande pas d’être aussi affûté et explosif, mais le temps des marins sans entraînement physique est révolu. Il faut avoir de l’endurance, une forme physique globale, pour encaisser la fatigue. Ma forme et mon explosivité de skieur me servent notamment lorsqu’il faut être réactif à bord, pour effectuer une manoeuvre en urgence alors qu’une minute avant, je dormais profondément. »
Moments de douceur
Au-delà de cette complémentarité des pratiques, Aurélien voit dans la mer, comme dans la montagne, l’occasion d’aventures intenses et de moments de plénitude. « Malgré toutes les avaries subies et l’intensité de la course, nous avons quand même pu profiter d’instants de calme absolu, où tu profites à fond du moment, de ces paysages incroyables de pleine mer. Je me souviens de couchers de soleil fantastiques, de rencontres avec les oiseaux de mer, autant d’instants magiques dont tu sais que tu es le seul, à cet instant et à cet endroit, à pouvoir en profiter. Rien que pour ces moments, ce type d’aventures est irremplaçable. » Une soif de grands espaces et d’aventures au large qu’Aurélien compte bien encore assouvir. Il lorgne maintenant vers la Route du Rhum : « C’est un projet encore plus grand et qui va nécessiter encore plus de préparation, notamment dans la recherche de sponsors car la voile demande des budgets conséquents...» nous livre-t-il, l’oeil toujours rivé sur l’horizon, qu’il soit barré de montagnes majestueuses ou ouvert sur l’immensité des vagues.