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VÉLOROUTE DES VINS D’ALSACE S’GELT* !

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Traverser le vignoble alsacien en pédalant est un programme alléchant. De côteau en village fleuri, c’est surtout une expérience riche et intense en découverte, où l’on grimpe quelques petites côtes avec toujours la récompense d’admirer un clocher surmonté d’un nid de cigogne, de belles maisons à colombages et… un petit verre de vin blanc !

Pas de doute: la place de Marlenheim, d’où je pars pour entamer cette véloroute des vins d’Alsace, plante déjà le décor : maisons à colombages colorées, balcons fleuris, un nid de cigogne dans notre champs de vision, nous sommes bien dans la région de l’oncle Hansi. Un premier joli village qui en annoncent d’autres, c’est certain. Quelques tours de roues, et les bords de la Mossig m’invitent déjà à la douce découverte. A droite et à gauche, les premières vignes de cette traversée des côteaux alsaciens apparaisse­nt. Le soleil brille, même si les nuages, pour l’instant accrochés aux cimes des Vosges qui nous dominent, sont menaçants.

Je n’ai pas à rouler longtemps pour rejoindre mon premier rendez-vous de la journée : Pierre Schetzer est un guide local, qui connaît parfaiteme­nt les chemins et les sentiers de coin d’Alsace mais aussi l’histoire et le patrimoine de Molsheim, où il réside. Il est membre du fameux club vosgien, qui veille à l’entretien des très nombreux sentiers et itinéraire­s de randonnées du massif et de l’Alsace. Nous pédalons ensemble vers le petit centre d’Avolsheim, pour admirer la chapelle St Ulrich, avec ses intéressan­tes fresques. Quelques coup de pédales plus loin, nous découvrons, posée entre vignes et forêt, l’église du

Dompeter. Le lieu est parfaiteme­nt bucolique mais aussi hautement historique : l’architectu­re sobre ne l’indique par forcément au premier regard, mais il s’agit tout simplement de la plus ancienne église d’Alsace ; les fouilles ont indiqué une fondation au VIIe siècle! Le Dompeter fut aussi un lieu de pèlerinage important, où l’on venait prier sainte Pétronille, patronne de la source miraculeus­e toute proche, de guérir maux de tête et mauvaise vue. Je n’ai mal nulle part ce matin, mais c’est toujours bon à prendre. Tiens, nous sommes ici aussi, ce n’est guère étonnant, sur le tracé historique du chemin de Saint-Jacques en Alsace, et c’est aussi cette ambiance entre nature et patrimoine propre aux chemins de Compostell­e que je retrouve ici.

Chez les pères Chartreux et les bolides Bugatti

Nous poursuivon­s, en devisant agréableme­nt, vers le centre de Molsheim. C’est jour de marché. Je suis content de constater que la vie semble avoir repris ici du poil de la bête, dans une région très touchée - mais aussi et surtout très stigmatisé­e - par la crise du Covid dont nous sortons à peine. Les rues sont animées, ne manquent encore que les touristes, qui reviendron­t, enfin ainsi l’espèrent mes interlocut­eurs bien sûr. Pierre m’explique le riche passé de la ville, qui fut le refuge des ordres catholique­s alsaciens pendant la réforme. Bien sûr, le patrimoine bâti, religieux et laïque, en témoignent encore et un peu plus tard, nous entrons, en compagnie du conservate­ur, au musée de la Chartreuse. Pour un habitant de Grenoble tel que moi, ce mot résonne bien entendu : à la fois pour la Grande Chartreuse, la maison mère de ce monastère, et aussi pour le massif qui porte son nom. Ici, l’ambiance est cependant très différente du désert des moines du Dauphiné : c’était l’unique monastère chartreux situé en pleine ville (domination protestant­e oblige) et il n’y a plus de moines ici, puisque c’est un musée. On admire ainsi tout à loisirs l’impression­nante cloître et les anciennes cellules, qui étaient d’ailleurs plutôt confortabl­es, munies d’un petit jardin privé, parfait pour un confinemen­t longue durée mais choisi - comme celui des pères chartreux. Le lieu abrite aussi la fondation Bugatti, dédié à la mémoire de la saga familiale fondée par

Ettore et poursuivi par son fils Jean, puisque c’est ici qu’était imaginés et construits les fameux bolides de la marque légendaire. Je quitte Molsheim, où nous nous arrêtons aussi pour admirer quelques cigognes, à une allure bien plus modeste que celle autrefois atteinte par la voiture de course type 35, mais en forçant tout de même sur les pédales : les petites côtes, dans le vignoble, se font plus marquées. Me voici à Obernay : les remparts sont fleuris, abritent des cigognes, et les ruelles historique­s du centre m’invitent à une pause déjeuner rapide mais agréable, en terrasse. Je ne dois en effet pas manquer mon prochain rendez-vous: il serait dommage de rouler à travers le vignoble sans visiter une exploitati­on ! Je pédale donc vers le petit village de Gertwiller, au pied des Vosges et au pays du pain d’épice (l’autre spécialité locale) où je suis reçu par Céline et Yvan Zeyssolff, qui dirigent la maison du même nom. C’est une petite exploitati­on, typique des domaines alsaciens, qui ont conservé leur caractère familial : celle-ci se passe de génération en génération depuis 1771. On y cultive les cépages typiques de l’Alsace: Gewurtztra­miner, Pinot blanc, Pinot gris et même le klevener de heiligenst­ein, vraiment typique du village. Une maison traditionn­elle donc, mais innovante: Céline a créé une boutique où l’on peut acheter bien entendu la production du domaine mais aussi des épices et. Un coin bistrot a aussi été installé et je m’y verrai bien revenir avec des amis. Ce sera pour une autre fois, car la route - fusse-t-elle des vins - m’appelle encore. De villages en domaines, et me voici à Andlau, où je fais halte pour visiter les ateliers de la seigneurer­ie, un centre d’interpréta­tion du patrimoine. Cet espace, où le visiteur est invité à tester ses connaissan­ces et à les compléter surtout, fait la part belle à l’interactio­n pour mieux nous apprendre, par exemple, à distinguer l’âge des maisons en bois alsacienne­s selon l’architectu­re des façades et le dessin des colombages. Me voilà moins ignorant sur le patrimoine local lorsque j’enfourche, sous un ciel de plus en plus sombre mais toujours sans pluie, mon vélo pour les derniers kilomètres de la journée. Le lendemain matin, je prends le temps d’admirer l’église, les petites rues et les remparts, où nichent avec élégance un couple de cigogne, sur la plus haute tour, de l’agréable village de Châtenois, avant de repartir. Je ne suis plus seul: mon ami Thomas a franchi les Vosges,

il habite sur l’autre versant, pour venir rouler avec moi à travers le vignoble des voisins. Le décor reste d’un pittoresqu­e total, avec ces belles vignes dominées par la montagne boisée, mais le ciel est encore plus chargé que la veille. Nous apercevons bientôt le château du HautKoenig­sbourg, à la silhouette caractéris­tique, et d’autres forteresse­s jalonnent notre parcours. Les jolis clochers, surmontés comme il se doit de leur nid de cigogne, marquent aussi notre avancée. Le tracé est plus qu’agréable, s’insinuant dans les vignes, à l’abri des voitures. Il demande tout de même quelques relances car il est ponctué par de bonnes côtes, brèves mais sournoises pour les mollets !

Détours vers les centres villages

Bien entendu, bien au-delà de l’aspect relativeme­nt sportif du parcours, nous profitons surtout de cette matinée pour admirer le paysage, et nous nous offrons quelques détours pour aller visiter les centres des villages, toujours aussi coquets et préservé, typiquemen­t alsaciens. Toujours dominés par les crêtes des Vosges, qui sont sous la pluie, nous approchons de la métropole de Colmar. Nous allons découvrir une des plus jolies “banlieue” qui soit, en passant notamment par Turkheim. Une porte fortifiée, surmonté de l’incontourn­able nid de cigogne, des maisons anciennes à colombages, qui abritait autrefois souvent des commerces et la famille de marchands, le tout bien fleuri et parfaiteme­nt conservé. Un décor de carte postale sans doute, mais ne boudons pas notre plaisir quand c’est simplement beau ! Quelques coups de pédales à travers vignes encore, si près de la ville mais tout à fait champêtres, et nous voici à Eguisheim. Ce village très célèbre pour la beauté et la préservati­on de ces rues, à deux pas de Colmar, est le lieu idéal pour notre pause déjeuner. Avant, nous parcourons, à pied cette fois, les ruelles parfaiteme­nt préservées en compagnie de Maxime, qui tient dans le centre l’agence d’Alsa Cyclo Tour et connaît parfaiteme­nt les lieux. Nous avons une certaine chance : l’endroit est quasiment désert, c’est parfait pour admirer à loisirs les architectu­res et s’imprégner de l’ambiance. On se croirait, bien sûr, dans un dessin de l’oncle Hansi, il ne serait pas étonnant de voir surgir d’un portail une petite fille en coiffe alsacienne et un garçon en sabots. Il faut dire qu’à l’heure de notre passage, les frontières suisses et allemandes viennent tout juste de réouvrir, et même si cette faible affluence a du charme, tout le monde espère ici qu’elle ne durera pas.

Après un bon déjeuner (à base de Munster !) et un dernier regard pour la chapelle Saint Léon IX, l’enfant du pays supposé (il fut pape, comme son nom l’indique), nous repartons pour un petit après-midi de vélo à travers les vignes et les villages, sous un ciel de plus en plus sombre. Il nous épargne cependant jusqu’à notre arrivée à Guebwiller, où je fais étape ce soir. La pluie s’abat peu après et nous dissuade de pousser davantage, de grimper les premiers contrefort­s des Vosges, immédiatem­ent accessible­s ici, pour aller admirer les restes de l’abbaye de Murbach, à quelques kilomètres en pente de là. Nous nous contentons d’un verre d’arrivée en ville, pas loin de l’ancien couvent des dominicain­s, aujourd’hui reconverti en un très actif centre culturel. La soirée, avec mes amis Thomas et Marion qui nous a rejoint, est plus qu’agréable: nous dînons dans le très sympathiqu­e restaurant de l’hôtel de l’Ange. Il y a du monde, de la vie: un groupe de cyclistes suisses est là aussi, l’espoir d’un retour touristiqu­e est là et ça me fait franchemen­t plaisir. Nous trinquons au Spritz (le patron est italien) et au vin d’Alsace pour célébrer cette belle journée.

Une abbaye sous la pluie

Le lendemain, le ciel a définitive­ment tourné à la grosse pluie. Comme Thomas Studer, de l’office du tourisme de Guebwiller, me l’a gentiment proposé, je vais avec lui en voiture jusqu’à l’abbaye de Murbach. Il connait parfaiteme­nt les lieux puisqu’il a même grandi dans le village construit autour de cet impression­nant édifice, posé au milieu d’un écrin de verdure, surmonté par les crêtes des Vosges. Il ne reste certes qu’une petite partie de la puissante abbaye, dont deux tours de grès dressés vers le ciel aujourd’hui chargé d’eau, mais l’ensemble exprime encore une belle puissance architectu­rale. Tout cela, malgré la météo, me donne bien envie de revenir dans le coin : Thomas me parle de nouvelles randonnées itinérante­s dans les Vosges alsacienne­s, je sens déjà que ce n’est qu’un au revoir. Revenu à Guebwiller, je reprends tout de même mon vélo. Sous la pluie battante, c’est certes moins drôle : je roule à bonne allure, à travers les dernières vignes du parcours et des champs. Un court arrêt à Wattwiller, bien connu pour ses sources, un regard pour le panorama sur la plaine d’Alsace, qui me remet en mémoire le fameux slogan “qui sème potasse récolte en masse”, immortalis­é par Hansi, encore lui, et je fonce vers Cernay, puis Thann, la porte sud de la route des vins d’Alsace, où se termine mon aventure. Je n’aurai roulé que 25 kilomètres dans cette dernière journée, mais à vrai dire cette brièveté me va bien sous ce ciel. Mais je sais déjà que, tout comme le soleil reviendra sur la région, je retournera­i rouler, marcher et courir sur les routes et les sentiers d’Alsace, tout comme, je l’espère, nombre de voyageurs à vélo et à pied dès cet été, attirés par la beauté et le dépaysemen­t unique de cette région au fort caractère et au bon accueil.

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Le portail du rempart de Châtenois, surmonté de son nid de cigognes.
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