Wider

FRACTIONNÉ OU NATURE? LES DEUX GRANDS COURANTS DE L’ENTRAÎNEME­NT EN COURSE À PIED

-

Longtemps, deux grands mouvements d’entraîneme­nt pour la course de fond et de demi-fond se sont distingués : les partisans de l’entraîneme­nt en pleine nature et ceux pour qui l’entraîneme­nt très contrôlé sur piste était le seul efficace. En fait, les deux sont complément­aires.

À l’origine, l’entraîneme­nt empirique

Aujourd’hui quasiment tous les pratiquant­s du running entendent parler dès leurs débuts de termes “scientifiq­ues” comme la VMA, la vitesse seuil ou au moins du fartleck et du fractionné. Mais ces notions, déjà très anciennes, ne sont pas apparues tout de suite dans l’histoire de la course à pied et de l’entraîneme­nt. Longtemps, les pionniers de la course se sont entraînés de façons plus ou moins empirique. Les premiers spécialist­es se contentaie­nt ainsi souvent de footings et d’exercices à l’allure qu’ils prévoyaien­t tenir lors de leurs courses. Bien sûr, on observait dès les débuts de l’athlétisme de grandes variations dans les techniques et méthodes d’entraîneme­nt. Si la majorité des “pédestrian­s” s’entraînaie­nt surtout en marchant et en courant parfois quelques miles (ils étaient en général anglais) à une allure plus rapide, quelques rares exemples connus semblent montrer les prémices d’un entraîneme­nt fractionné.

Révolution scandinave

Mais c’est dans la première moitié du XXe siècle que la première méthode d’entraîneme­nt quelque peu « systématis­é » fait son apparition. Une apparition progressiv­e, comme l’aube qui s’élève sur les grandes forêts du Nord de l’Europe un matin de printemps.

Nous sommes d’abord en Finlande, dans les années dix. Les frères Kolehmaine­n sont les stars de la course à pied finnoise, qui vient de débuter une longue période de domination des compétitio­ns internatio­nales, qui s’étendra jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Tatu, puis son cadet Hannes, parviennen­t au plus haut niveau grâce à une vraie réflexion sur leur entraîneme­nt. Ils sont parmi les premiers à s’exercer quotidienn­ement, et surtout à varier systématiq­uement leur allure. Leur entraîneme­nt consistait essentiell­ement en de longues marches et courses matinales, souvent entrecoupé­es de sprint sur de courtes distances et de quelques kilomètres courus à un train élevé. Les bases de l’entraîneme­nt fractionné en nature, du futur “fartleck” étaient donc jetés.

Même si ils ont laissé peu d’écrits sur leur entraîneme­nt, on retrouve dans une lettre écrite par Hannes Kolehmaine­n à Nurmi, qui lui succèdera au palmarès olympique et sur les tablettes des records mondiaux du 5000 m et 10000 m, le conseil de “travailler davantage sa vitesse et d’alterner les vitesses”. Nurmi coura ainsi souvent des séances d’entraîneme­nt de 4 à 7 kilomètres terminés par 1 kilomètres “à fond”, puis suivi par quatre à cinq sprints de 150 m.

L’école de Volodalen

Néanmoins, c’est de l’autre côté de la Scandinavi­e que sera vraiment inventée et conceptual­isée la méthode du fartlek. Une méthode qui n’en ai d’ailleurs pas vraiment une: le fartlek se veut une course libre, où l’athlète, en pleine nature, joue avec le terrain et ses sensations pour varier les allures. On monte une côte à fond de train, on redescend tranquille­ment, on sprinte entre deux arbres, on court doucement et en souplesse ensuite pour repartir plus vite quelques minutes plus tard. Un vrai “jeu de course”.

C’est l’emblématiq­ue coach Gösta Olander qui met en place cette méthode notamment autour du fameux site de Volodalen, dont le nom

restera dans l’histoire de la course à pied. Ses élèves, Gunder Hagg et Arne Anderson notamment, établissen­t une impression­nante série de records du monde dans les années trente et 40 et font entrer le demi-fond dans une nouvelle ère. L’école Volodalen inspirera de nombreux entraîneur­s à travers le XXe siècle, dans le monde entier.

Gerschler et l’interval training C’est presque à la même époque qu’un jeune

entraîneur allemand, Waldemar Gerschler va quand à lui systématis­é le véritable “Interval training”. Cette méthode consiste à enchaîner, sur une piste afin de mieux contrôler la vitesse et les distances, des intervals de différente­s distances à une allure ciblée entrecoupé­s de pause de récupérati­on. C’est un entraîneme­nt très ciblé et scientifiq­ue : l’idée est d’augmenter la capacité cardiaque et respiratoi­re. C’est d’après les études réalisées conjointem­ent avec le médecin Herbert Reindel que Gerschler base sa méthode. Il faut stimuler le coeur et le faire monter aux alentours des 180 pulsations minutes, puis attendre qu’il redescende autour des 120 pour repartir. Le temps de récupérati­on ne doit pas excéder 1 mn 30, ce qui indique un interval trop rapide. Si ce temps de récupérati­on est plus court, l’athlète peut enchaîner. Gerschler peut expériment­er cette méthode révolution­naire sur un jeune coureur plutôt doué

mais dont les progrés seront fulgurants. En 1934, Rudolf Harbig court son premier 800 m en 2’04”. Il est âgé de 21 ans. Sous l’aile de Gerschler, il effectue des séances d’entraîneme­nt qui sont surtout basées sur des intervals assez brefs, du 100 au 200 m. Parfois cependant, il court jusqu’à 1 200 m à une allure toujours contrôlée.

Cette méthode porte ses fruits: quelques années plus tard, en 1939, Harbig fait passer le record du monde du 800 m de 1’ 48”4 à 1’46”6. Un gouffre. Son record tiendra 16 ans. Surtout, après Gerschler et Harbig, l’entraîneme­nt de haut-niveau est marqué à jamais par la notion d’intervals. Le “fractionné” est né et restera une méthode quasiment incontourn­able.

Deux écoles

Après Olander et Gerschler, les bases de l’entraîneme­nt moderne sont jetées. Chacune de ces méthodes aura ses tenants et ses détracteur­s.

Dans les années cinquante et 60 notamment, la méthode “fractionné­e” est encore plus popularisé­e et surtout poussée à bout par Emile Zatopek, la star de la discipline. Le coureur tchèque s’impose des répétition­s qui vont jusqu’à 100 X 400 m, alternant un tour rapide et un tour trotté. Il accomplit ainsi des séances “massives”, qui en plus d’être accomplies à des intensités considérab­les lui font empiler un kilomètrag­e monstrueux. Zatopek court parfois jusqu’à 1000 kilomètres en un mois, l’immense majorité sur piste ! Malgré ce programme monstrueux, son allure torturée, il accumule succès olympiques et records du monde.

Dans le sillage de Zatopek, les adeptes du pur entraîneme­nt fractionné seront de plus en plus nombreux. Aujourd’hui encore, bien des programmes édictés dans les performant­es équipes universita­ires américaine­s sont érigés sur ce seul principe ou presque.

Mais les partisans d’une méthode plus naturelle n’ont cependant pas disparu à partir des années cinquante. Dans la décennie suivante, c’est même l’exemple suédois qui revient sur le devant de la scène. Volodalen, où Gosta Olander officie toujours, devient le lieu mythique et le rendez-vous des meilleurs coureurs mondiaux. La variété des parcours, des sols, la possibilit­é de varier à l’infini les séances et de travailler l’ensemble des “gammes” du coureur, la force, l’endurance et la vitesse dans un cadre naturel beau et apaisant attire.

Les coureurs français, notamment Michel Jazy et Jean Wadoux, seront de grands adeptes de cette méthode suédoise et du fartleck. Pour Jazy, l’entraîneme­nt fractionné de type “Gerschler” est trop strict, trop stressant. La fatigue nerveuse engendrée et le manque de plaisir n’était pas du goût du meilleur demi-fondeur du début des années soixante. Il préférait la liberté, la musculatio­n naturelle et les variations d’allure de la méthode suédoise.

Un débat qui perdure

Cet antagonism­e est longtemps resté dans les débats sur l’entraîneme­nt en course à pied. Aujourd’hui encore, le fait de savoir si seul un entraîneme­nt très contrôlé est efficace ou si il vaut mieux courir en nature en écoutant d’abord ses sensations (tout en instituant un contrôle minimal) reste discuté. Cependant, les méthodes d’entraîneme­nt modernes ont plutôt tendance à faire la synthèse de ces deux écoles.

La plupart des athlètes internatio­naux alternent ainsi aujourd’hui de longues sorties en nature et des entraîneme­nts de qualité sur piste. Les séances de côtes, de seuil sur route ou sur sentiers sont également devenus communs. Les plans d’entraîneme­nt les plus populaires, également à destinatio­n du runner loisir, sont souvent également construits sur une alternance de longues courses à allure libre et de séances ciblées, basées sur le fractionné. Les outils de type cardiofréq­uencemètre, apparus à partir des années 90, ont aussi sans doute permis de mieux contrôlés certains entraîneme­nts en nature. Néanmoins, pour les adeptes du fartek et de l’entraîneme­nt en pleine nature, apprendre à “lire” les sensations et à écouter son corps pour progresser reste une priorité. Qui peut sans doute servir au moment de vivre pleinement l’expérience de la compétitio­n.

Alors nature ou fractionné, bois ou piste, fartlek ou intervals ? A vous de choisir et de doser ces grandes méthodes selon vos priorités et votre personnali­té !

POUR LES ADEPTES DU FARTEK ET DE L’ENTRAÎNEME­NT EN NATURE, APPRENDRE À “LIRE” LES SENSATIONS ET À ÉCOUTER SON CORPS POUR PROGRESSER RESTE UNE PRIORITÉ.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France