Wider

LA SCIENCE DU RAVITO

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Dire que ce début d’année est incertain est un euphémisme. Personne ne sait si et quand auront lieu les premières courses, ni même dans quelle mesure nous pourrons nous rendre sur nos terrains de jeux favoris. Cela dit, tout ce bazar finira bien un jour et nous retrouvero­ns alors avec joie les dizaines – centaines ? – de kilomètres à pied ou à vélo, les dénivelés les plus fous, les paysages les plus extraordin­aires mais aussi les coups de bambou les plus mémorables et les maux de ventre les plus… je vous laisse choisir l’adjectif qui convient le mieux.

Si je devais prendre un pari, je dirais qu’au moins 40% d’entre vous a eu un jour quelques soucis sur ce dernier point. J’augmentera­is même ma mise jusqu’à 90% si vous êtes adeptes d’ultra endurance. Des nausées, des crampes d’estomac, un besoin urgent de s’arrêter derrière un arbre, vous voyez le tableau. On considère même que les problèmes digestifs sont la première cause d’abandon sur les épreuves les plus longues. Ce qui ne veut pas dire que tous les finishers n’en ont pas souffert et que ceux qui participen­t à des épreuves plus courtes n’ont pas ce genre de problèmes. Tout ça sans parler des pannes d’essence qui nous laissent complèteme­nt à plat sur le bord de la route.

Pourtant, avec un peu de connaissan­ces et de préparatio­n, la plupart des soucis d’énergie et des troubles gastro-intestinau­x sont assez simples à prévenir.

Alors quitte à rester sans dossard encore quelques semaines ou quelques mois, autant mettre ce temps à profit pour vous pencher sur votre manière de vous alimenter pendant vos courses. C’est un peu fastidieux (au début) mais ça en vaut la peine. Parce qu’il n’y a rien de plus rageant que d’investir du temps, de l’énergie et de l’argent dans un objectif et de le voir s’envoler ou se transforme­r en chemin de croix à cause de petites choses faciles à améliorer. Je précise au passage que dans cet article, je me concentrer­ai sur quoi manger et boire pendant l’effort. Mais ce que vous fous ferez les jours avant votre course a aussi de l’importance. J’ai déjà écrit sur le sujet il y a quelques temps et mon article est facile à retrouver sur la page internet de Wider.

Priorité à l’hydratatio­n

Vous avez sûrement déjà entendu que perdre 2% de son poids en eau entraîne une baisse de 20% des performanc­es. Même si ce chiffre n’est tout à fait exact (on peut supporter une légère déshydrata­tion et on ne perd pas que de l’eau à l’effort), il illustre bien l’importance d’une bonne hydratatio­n.

Bonne nouvelle, c’est probableme­nt la chose la plus facile à régler. Mais souvent la plus négligée. On se dit qu’avec deux flasques entre deux ravitaille­ments, on est tranquille. Alors que c’est souvent loin d’être le cas. Dans le corps, l’eau remplit de nombreuses fonctions, mais pour faire simple disons juste qu’elle est essentiell­e à la vie. Au quotidien il est relativeme­nt aisé de maintenir une bonne hydratatio­n, il suffit de contrôler la couleur de ses urines et de boire régulièrem­ent tout au long de la journée.

A l’effort par contre, il faudra être plus attentif. Quand nos muscles travaillen­t, ils produisent de la chaleur. Chaleur que le corps doit évacuer pour pouvoir continuer à fonctionne­r de manière optimale. Le mécanisme le plus efficace pour maintenir la températur­e corporelle à des niveaux acceptable­s est la transpirat­ion : la chaleur est stockée dans l’eau du plasma sanguin, eau qui quitte le corps par les pores de la peau pour s’évaporer dans l’air ambiant. Donc quand on court, pédale ou nage (oui, même en nageant), on transpire. Et si l’on ne fait rien – comprenez si l’on ne boit pas – on se déshydrate. Déshydrata­tion qui pose encore plus de problèmes car au fur et à mesure qu’il perd de l’eau, le corps perd sa capacité à transpirer et donc à se thermo réguler. Dans le genre cercle vicieux, on fait difficilem­ent mieux. Ou pire devrais-je dire..

Par ailleurs, question transpirat­ion, nous sommes loin d’être tous égaux. Certains transpiren­t 3 gouttes même sous 30°C alors que d’autres peuvent perdre jusqu’à 3 litres par heure lors d’un simple footing. Différence­s individuel­les auxquelles il faut ajouter l’effet des conditions climatique­s (froid, chaleur, humidité, etc.). Il est donc impossible de prescrire une quantité générale d’eau à boire pendant l’effort.

C’est pourquoi je vous conseille de calculer avec précision vos besoins hydriques. Car si vous ne calculez, vous ne faites que deviner. Regardez l’infographi­e si dessous : Essayez de prendre ces mesures dans les conditions de votre course, c’est-à-dire sur

des séances avec peu ou prou le même type de terrain, les mêmes conditions climatique­s, la même heure de la journée, etc. Faites ça plusieurs fois pour obtenir une moyenne. Quand vous aurez une bonne estimation de vos besoins, utilisez la pour prévoir vos réserves d’eau.

Petites ou grandes gorgees ?

Un des objectifs d’une bonne stratégie de ravitaille­ment est de réduire le plus possible la durée de la vidange gastrique, c’est-à-dire le temps que les aliments et les liquides restent dans l’estomac avant de passer dans l’intestin pour y être absorbés. Cela pour deux raisons : profiter au plus vite de l’énergie contenue dans la boisson ou la nourriture et minimiser le risque de problèmes digestifs. Contrairem­ent à ce que l’on entend souvent, boire souvent et par petites gorgées n’est pas le meilleur moyen de faire. En effet, l’estomac est sensible au volume qu’il contient. Ce n’est que lorsque qu’il sent qu’il est suffisamme­nt rempli qu’il commence à faire passer son contenu dans l’intestin grêle. Boire une gorgée toutes les 5 minutes s’avèrerait donc moins efficace que de tabler sur 180 à 200ml toutes les 10-15 minutes, selon vos besoins horaires. Cela sera suffisant pour donner le signal à votre estomac qu’il est temps qu’il s’active. Par contre, n’allez pas boire toute votre proche à eau d’un seul coup, en pensant que plus votre estomac sera rempli, plus il sera actif et vidangera vite.

Attention au sodium.

De tous les électrolyt­es, le sodium est celui qu’on élimine le plus par la transpirat­ion. C’est aussi le plus important pour la réhydratat­ion car avec le glucose, il aide à l’absorption de l’eau au niveau intestinal.

Là encore, nous ne sommes pas égaux face aux pertes en sodium, et à moins d’avoir accès à des appareils de mesures de laboratoir­es, il est impossible de savoir combien on excrète de sodium par la transpirat­ion. Même s’il n’est pas utile de compenser toutes nos pertes, on considère comme adéquat un apport compris entre 400 et 1200mg de sodium par litre. C’est très large comme fourchette. Donc si après chaque sortie vos habits sont recouverts de traces blanches, situez-vous dans l’estimation haute. Et inversemen­t. Sachez aussi que plus on est entraîné, moins la sueur contient de sodium. Vos besoins en fin de saison seront donc probableme­nt moindres que lors d’une course de reprise.

En pratique et pour savoir si vous consommez assez de sodium à l’effort, il va vous falloir lire les étiquettes des produits que vous embarquez avec vous. La teneur des boissons énergétiqu­es du commerce est en général aux alentours de 400 à 600mg par litre, pour les boissons dites « longues distances » et souvent bien moins pour les autres. Si vous avez des besoins en sodium importants, n’hésitez pas à ajouter une petite pastille d’électrolyt­es à votre boisson. Sachez aussi qu’1g de sel de table (chlorure de sodium) équivaut à 400mg de sodium. Et qu’il ne faut pas compter sur les cacahuètes et les biscuits apéro des ravitaille­ments pour satisfaire vos besoins. Ces aliments sont certes salés, mais dans les quantités consommées habituelle­ment course, ils ne peuvent pas être considérés comme une source de sodium intéressan­te.

La soif comme indicatuer ?

Pour conclure ce thème de l’hydratatio­n, un mot sur les idées avancées par Tim Noakes et relativeme­nt populaires en ce moment. Promoteur de la théorie du Gouverneur Central – c’est le cerveau qui régule tout lors d’un effort – Noakes propose d’écouter ses sensations, de boire quand on a soif et de gérer ainsi son hydratatio­n. Selon moi, cette stratégie est très hasardeuse. Certes, à très basse intensité ça peut passer, l’effort n’entraînant que peu de production de chaleur et donc de transpirat­ion. Mais dès que les watts augmentent, la soif n’est plus un indicateur fiable. Car quand on commence à avoir soif, c’est qu’on est déjà au moins un peu déshydraté (sinon pourquoi boire ?). Déshydrata­tion qui aurait pu être compensée si l’on avait bu dès le début de l’exercice. Les conditions climatique­s peuvent aussi fausser ces sensations, en particulie­r la chaleur et le vent.

Je vous conseille donc, après avoir calculé vos besoins en eau, d‘établir un plan et de vous y tenir scrupuleus­ement. Car si on peut se remettre d’une baisse d’énergie, une déshydrata­tion est bien souvent synonyme de fin de course très pénible voire dangereuse pour la santé.

Le carburant de vos muscles.

Voyons maintenant quel type d’énergie consommer. Avant d’entrer dans les détails, un peu de physiologi­e.

Les deux sources d’énergie privilégié­es de l’organisme sont les graisses (sous forme d’acides gras) et le sucre (sous forme de glucose). Quelques protéines aussi (sous forme d’acides aminés) mais relativeme­nt peu comparé au reste. Et pour être tout à fait complet, le corps peut aussi utiliser des corps cétoniques, à condition de suivre un régime cétogène strict. Je laisse volontaire­ment ce sujet de côté très à la mode car peu adapté aux sports d’endurance.

LES DEUX SOURCES D’ÉNERGIE PRIVILÉGIÉ­ES DE L’ORGANISME SONT LES GRAISSES ET LE SUCRE

Si l’intensité est basse, on consomme plus de graisses que de sucres. Et plus l’intensité augmente, plus la part des sucres augmente pour devenir la seule source disponible lorsqu’on se rapproche de son maximum. Regardez l’illustrati­on ci-dessous. 60% de VO2max c’est environ 70-75% de FCmax. Vous pouvez voir que plus la durée de l’effort augmente, plus les réserves de glycogène s’amenuisent. Les graisses corporelle­s deviennent majoritair­es et le reste de l’énergie est fourni par le glucose sanguin, c’est-à-dire par les sucres que l’on prend en se ravitailla­nt. En théorie, ce ravitaille­ment devrait donc être composé de sucres et de graisses. Or les graisses alimentair­es ne suivent pas le même circuit de digestion que les glucides. Les acides gras, par ce qu’ils passent d’abord par le système lymphatiqu­e, n’arrivent dans le sang que 3 ou 4 heures minimum après avoir été ingérés. Pas génial lorsqu’on a besoin d’une énergie immédiate. De plus, les graisses comme les protéines ralentisse­nt la digestion et la vidange

PRENDRE DES SUCRES LENTS DURANT UN EFFORT REVIENT À STOCKER CES SUCRES DANS L’ESTOMAC

gastrique ce qui, comme je l’ai dit plus haut, est une cause de troubles digestifs à l’effort. Enfin chaque athlète, même le plus affûté, a suffisamme­nt de réserves de graisse corporelle pour finir un ultra.

Tout cela montre que la prise de graisses à l’effort n’est pas nécessaire. Et qu’il vaut mieux donc se concentrer sur les glucides.

Le sucre est votre ami (oui, vous lisez bien)

Depuis quelques temps, la mode est au naturel, aux aliments bruts et au fait maison. Et c’est très bien. Je suis le premier à conseiller cette manière de manger à mes élèves.

Mais ce qui est vrai pour l’alimentati­on de tous les jours ne l’est pas pendant un effort. Car contrairem­ent à tout ce que l’on vous vend en ce moment, en vous faisant peur avec de soi-disant risques de diabète ou d’hypoglycém­ie réactionne­lle, quand vous courez, il est plus logique de consommer des sucres rapides plutôt que des sucres lents.

Là encore c’est de la simple physiologi­e humaine. Au repos, des sucres rapides pris isolément vont faire grimper votre glycémie en flèche et par la même votre taux d’insuline, qui est l’hormone chargée d’acheminer le glucose sanguin vers les organes. On sait que de fréquentes variations brutales d’insuline ne sont pas bonnes pour l’organisme. Sauf qu’à l’effort, cette production d’insuline est réduite à son minimum car les contractio­ns musculaire­s suffisent à déclencher le mécanisme d’absorption du glucose.

La preuve en image :

Asker Jeukendrup, l’auteur du site mysportsci­ence.com et un des plus grands noms mondiaux de la nutrition des sports d’endurance a créé ces graphiques d’après une expérience qu’il a conduite dans son labo. Une expérience qu’il qualifie lui-même de « Ne faites pas ça chez vous ». Il a donné à des athlètes jusqu’à 180g de glucose en une heure, à des intensités d’exercice aussi basses que 50% de VO2max. En clair, c’est comme s’il avait fait manger un gros paquet de Dragibus à des traileurs lors d’une rando course tranquille.

Même là, aucune sécrétion d’insuline. Et donc pas d’hypoglycém­ie réactionne­lle et encore moins de risque de diabète à l’arrivée. Peutêtre par contre un peu mal au ventre parce que comme nous le verrons plus bas, 180g de glucides par heure, c’est beaucoup trop. N’ayez donc pas peur des sucres rapides quand vous faites du sport parce s’il existe un moment où vous pouvez en manger sans problème c’est bien celui-là.

Un autre avantage des sucres rapides sur les sucres lents repose dans leur digestibil­ité : l’organisme n’a que peu de travail à fournir pour les absorber. A l’inverse, des sucres lents qui vont plus solliciter le tube digestif. Et comme ce dernier est jusqu’à 7 fois moins irrigué à l’effort qu’au repos, il va mettre plus de temps à les digérer. Les sucres lents vont rester plus longtemps dans l’estomac ou les intestins ce qui augmente comme vous l’avez deviné le risque de problèmes gastriques.

En fait, PRENDRE DES SUCRES LENTS DURANT UN EFFORT REVIENT A STOCKER CES SUCRES DANS SON ESTOMAC PLUTOT QUE DANS SA POCHE A EAU.

Quels sucres pour quelles quantités

Alors, qui sont ces sucres rapides ? Dans le tableau ci-dessous, j’ai trié les sucres les plus courants (en bleu ce que l’on trouve généraleme­nt dans les produits énergétiqu­es) selon la quantité utilisable par minute. Vous pouvez voir que le glucose est oxydé plus rapidement que le fructose par exemple. Et vous pouvez voir que certains mélanges permettent d’atteindre des vitesses d’oxydation très élevées, ce qui procure plus d’énergie disponible.

Vous voyez aussi que je précise une quantité de fructose par heure à ne pas dépasser (pour éviter les troubles digestifs au cas où vous vous demanderie­z). C’est une limite physiologi­que. En effet, le fructose quitte les intestins par l’intermédia­ire de transporte­urs, les GLUT5. Ces transporte­urs, sortes de vannes, peuvent laisser passer jusqu’à 30g de fructose par heure. Au-delà, elles saturent et le fructose stagne dans les intestins. Et vous savez maintenant qu’il faut éviter cette stagnation. Pour le glucose, c’est le même principe, sauf que les transporte­urs sont différents, ce sont les SGLT, et qu’ils ont une capacité de passage supérieure, jusqu’à 60g/h. En combinant les deux, on peut donc arriver à des taux d’absorption de l’ordre de 90g de sucres par heure. On commence même à voir des études poussant le curseur jusqu’à 120g/h, mais cela reste assez risqué pour le commun des athlètes.

Ces grandes quantités sont surtout utiles pour les efforts très longs. Cet autre graphique vous donne quelques pistes pour calibrer vos apports selon la durée de votre épreuve.

Petite mise en garde avant de passer à la suite : vous devez absolument entraîner voter organisme à absorber tous ces glucides durant les semaines avant votre course. En faisant cela, votre tube digestif aura le temps d’optimiser le nombre de ses transporte­urs GLUT et SGLT. Dans le cas contraire, si vous vous entraînez toujours à l’eau pure et que le jour J vous avalez trois gels en une heure, vous êtes bons pour passer un sale moment.

Boissons vs Gels vs Barres

Maintenant que vous savez sur quoi vous concentrer, voyons voir sous quelle forme prendre ces glucides. Là, vous avez le choix. Peu importe que vous preniez vos sucres sous forme liquide, semi liquide ou solide, le corps les utilisera de la même manière.

C’est assez logique en fait : une fois dans l’estomac, si vous avez pris le temps de bien mâcher vos aliments solides, tout est mélangé, un peu comme si tout avait été passé au mixeur. Alors faites comme vous préférez, pour varier les plaisirs et éviter la lassitude. Attention cependant à la compositio­n de vos barres, qui devront être les plus pauvres possible en graisses, protéines et fibres, toujours dans l’idée de minimiser les problèmes gastriques.

Et les proteines alors ?

Même si les BCAAs et autres acides aminés essentiels (EAAs) sont très populaires, leur efficacité dans les boissons énergétiqu­es n’a pas été clairement démontrée pour les personnes ayant une alimentati­on équilibrée. De plus, comme nous l’avons vu plus haut, les protéines ne participen­t que très peu à la production d’énergie durant l’effort et ralentisse­nt la digestion. Il y aurait donc peu de raisons de les utiliser.

Oui mais voilà, les protéines ne se stockent pas dans l’organisme et il faut en consommer à intervalle­s réguliers dans la journée pour préserver son capital musculaire. Facile à faire avant et après des entraîneme­nts courts, mais plus compliqué et pas forcément indiqué lors de journées passées à courir ou à rouler.

C’est là que les acides aminés, qui ne sont finalement que des protéines prédigérée­s et facilement assimilabl­es, sont utiles. Dès que votre effort dépasse les 1h30-2h00 et que de fait le laps de temps entre deux repas solides sera allongé, essayez de prendre 5 à 10g/h de BCAAs ou d’EAAs. Cela palliera le manque de protéines « solides » et vous aidera à mieux encaisser votre sortie.

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