Aux origines de l’Ultra-running
Une plongée vers l’époque des pédestrians, les glorieux pionniers de l’effort pédestre XXL.
Si le succès de l’Ultra-trail reste aussi récent que fulgurant, puisque son développement majeur se tient dans ces quinze dernières années, les exploits des coureurs de grand fond fascinaient déjà dès la fin du XVIIIe siècle ! Nous vous proposons un voyage dans le temps, à l’époque des glorieux pionniers de l’effort que l’on nommait alors les Pédestrians.
Le temps des « Pédestrians »
La course à pied et la course de grand fond tiennent leurs origines aux premières heures de l’humanité, entre les grandes migrations préhistoriques et les légendes des messages antiques, où les hommes faisaient déjà preuve d’une endurance à la course exceptionnelle. Il faut cependant déjà se transporter dans des siècles plus récents pour trouver des traces mieux renseignées et plus précises d’exploits de coureurs dûment enregistrés, ou qui au moins ont connu un écho médiatique et populaire à leurs époques. C’est donc entre la fin du XVIIIe siècle et au début du suivant que se développe les toutes premières courses à pied de compétition réellement établies, et courues par des athlètes, spécialistes de la course et / ou de la marche (souvent les deux), amateurs ou professionnels.
Ces premiers coureurs à pied, amateurs et surtout professionnels dont l’histoire a retenu le nom pourraient tout à fait être assimilés aujourd’hui à des “traileurs”, même si cette “récupération” est contestable, notamment en terme de cohérence historique, puisque le trail en tant que tel n’existait alors pas, bien entendu. Néanmoins, ces pedestrians, tel est le nom que l’histoire a retenu pour désigner ces pionniers d’une première époque de la course à pied, ont marqué surtout par leurs exploits sur de longues distances, réalisées à l’époque sur des sentiers et des routes qui n’étaient bien sûr pas asphaltées, ce qui peut les rapprocher des ultra-traileurs modernes.
A une époque où le sport est une sorte de Terra Incognita, où personne n’a jamais entendu parler de physiologie de l’effort et où la plupart des observateurs n’ont guère idée des limites humaines, les exploits de certains de ces pionniers restent proprement effarants. Dans ces toutes premières heures du sport, les mesures et les chronomètres restent souvent aléatoires. Surtout dès lors que les exploits dépassent les murs des villes où les premières courses sont organisées pour se dérouler sur des défis de longues haleines, reliant le plus souvent une cité à une autre.
Comme nous l’avons dit, il est bien difficile de définir avec précision à quand remontent les premiers exploits athlétiques en dehors de l’antiquité et des temps médiévaux, aussi bien sur les longues distances que sur les plus courtes. Néanmoins, dans le plus riche et sans doute le plus fiable ouvrage qui nous soit parvenu sur la matière et datant d’avant la seconde partie du XIXe siècle, Pedestrianism or an account of the performances of celebrate pedestrians, rédigé par le journaliste Walter
Thom, on peut penser que la vogue du « pédestrianisme » (on désignait alors par ce vocable les athlètes d’endurance pédestre), où les coureurs et les marcheurs de grand fond étaient célébrés comme des héros par un large public frappé par ces performances hors-normes, est né dans les trente dernières années du XVIIIe en Angleterre. Si d’autres courses et performances semblent avoir été organisées à la même époque notamment en France et en Allemagne, la terre de naissance des sports moderne semblait déjà, dans ces temps où le sport était plus que balbutiant, posséder une certaine avance dans l’organisation de courses et dans la diffusion des exploits des meilleurs athlètes. Les premières performances répertoriées, avec une certaine précision, dans cet ouvrage, remontent à 1762. Un certain Child couvre 44 miles (75 km) en 7 h 57, tandis que John Hague marche 100 miles (160 km) en 23h15, ce qui lui vaut le titre de “centurion”, décerné alors aux hommes capables de couvrir la distance en moins de 24 heures.
Dans les années qui suivent ces premiers exploits, d’assez nombreuses performances du même ordre (et qui paraissent tout à fait réalistes) sont mentionnées. Le « pédestrianisme » devient relativement populaire, les performances sont notées, les athlètes reconnus, les matchs et
les paris commencent à s’organiser. Certains spécialistes reconnus deviennent de véritables professionnels de la course et de la marche de grand fond. Les deux disciplines ne sont d’ailleurs pas séparées à l’époque. On court sur les distances courtes, on marche lorsque les épreuves s’allongent. Les « pedestrians » les plus fameux semblent d’ailleurs souvent exceller sur toutes les distances. Comme le note, ce sont avant tout des « hommes forts », capable de briller par leur force, leur résistance, leur endurance ou leur vitesse. Le pédestrianisme, comme le révèle aussi son livre, est aussi proche voire issu de l’entraînement militaire et de l’art de la guerre. D’ailleurs, même si leur carrière militaire est souvent un peu floue et intermittente, de nombreux « pédestrians » sont issus des régiments et connus comme « Captain » ou « Colonel ». Le premier nom à émerger et à rester dans cette « pré-histoire athlétique » est celui de
Forster Powell. Même Robert Parienté, dans sa « Fabuleuse histoire de l’athlétisme », le citera comme un précurseur. Né en 1736 dans le Yorkshire et exerçant d’abord la profession, moins physique, de clerc de notaire, c’est en 1774 qu’il commence à se signaler en marchant de Londres à York, et retour, en moins de six jours, pour 100 guinées. Dès lors, il sera le plus fameux pédestrian de son temps: ses plus grands exploits resteront une marque de 23 h 50 pour 109 miles ou 22 heures pour 100 miles, sur des parcours pas forcément simples. D’une taille plutôt petite mais aux jambes puissantes et bien proportionnées, il semblait bâti pour la performance pédestre, toujours selon. Sa retraite n’interviendra que tardivement, après qu’à l’âge de 56 ans personne n’est pris de pari pour qu’il réussisse successivement à courir, un mile en moins de 5’30 » puis marcher 100 miles en moins de 24 heures. Robert Pariente lui attribue toutefois une performance postérieure, et une mort tragique pendant une épreuve de démonstration autour d’une piste, où le fameux marcheur lançait des défis à qui voulait se mesurer à son endurance. Il serait tombé malade le treizième jour de cette représentation, et mourut quelques jours plus tards. L’auteur français ne cite cependant aucune source et Thomas n’en parle pas. Entre mythe et biographie, la frontière est souvent mince concernant ces athlètes d’un autre temps, nous le verrons encore davantage pour Mensen Ernst.
Captain Barclay et ses « 1 000 miles en 1 000 heures »
Quelques années plus tard, c’est une autre grande figure qui occupera le devant de la scène athlétique anglaise. Sa grande popularité marquera d’ailleurs l’apogée de cette première vogue du « pédestrianisme » et des grandes courses de fond. Des courses qui, si certains « match » entre quelques professionnels ou duels à deux coureurs sur des distances variées sont également organisées, demeurent avant tout des performances individuelles, accomplies comme des défis qui attisent paris et curiosité. A cette époque, il n’était bien sûr pas question de larges pelotons d’amateurs se lançant sur des marathons et des épreuves de grands-fonds. Cela viendra bien plus tard. Outre quelques courses de kermesses, l’affaire athlétique était réservé à une poignée d’êtres d’exception, gentilhommes ou saltimbanques que le destin avait désigné comme coureurs,
CERTAINS SPÉCIALISTES DEVIENNENT DE VÉRITABLES PROFESSIONNELS DE LA COURSE ET DE LA MARCHE DE GRAND FOND
et qui pratiquaient alors leurs tours de force par profession, contre pari et force monnaie. Robert Barclay, qui associera à son patronyme celui de son épouse de bonne famille, Allardyce, est plutôt un gentilhomme. Il se distinguera aussi dans l’armée et reste d’ailleurs connu sous le nom de « Captain Barclay ». Issu d’une vieille famille écossaise, ses ancêtres sont connus pour leurs forces et leurs succès dans les jeux traditionnels, il se distingue très jeune par ses aptitudes physiques. Ainsi, son premier « fait d’armes » répertorié est une marche sur 6 miles, accomplie en moins d’une heure, déjà pour un pari de 100 guinées, en 1796. Barclay n’a alors que quinze ans. Les années suivantes, il se distingue surtout par ses exploits sur de longues marches, mais, ce qui est plus curieux encore au regard des canons sportifs actuels, se révèle aussi très compétitif sur des courses de courtes distances, alliant ainsi une vitesse élevée à une endurance exceptionnelle. En 1802, il couvre ainsi 300 miles (soit 480 kilomètres) en cinq jours, entre deux villes du Yorkshire et sous la chaleur, ou bien encore, parmi une longue liste d’exploits de ce type, soixante quatre miles (102 km) en dix heures. Mais il est aussi capable de gagner un match sur un mile contre un autre coureur professionnel, en 4 minutes 50, démontrant de belles qualités de vitesse. Il court aussi un 440 yards (402 mètres) en 56 secondes. Enfin, il marche plusieurs fois sur 100 miles en 19 heures, notamment sur une route particulièrement mauvaise. Son domestique, un nommé William Cross, se révèle lui aussi très apte puisqu’il l’accompagne tout le long du chemin ! Parmi ses performances notables figure aussi une marche de 100 miles au cours de laquelle il abat les 67 premiers miles en treize heures, mais doit cependant se reposer après avoir bu trop de brandy. Les ravitaillements de l’époque étaient parfois surprenants !
Captain Barclay devient vite une vedette et occupe de loin le devant de la scène sportive anglaise, alors concentrée sur la boxe, les courses de chevaux et donc le « pédestrianisme ». Si il lui arrive d’être battu, il est le favori constant des parieurs. Car il exerce son art de la course pour de l’argent : on est encore loin des règles austères et inflexibles de l’amateurisme qui vont régir le sport pendant une grande partie du vingtième siècle. Les sommes sont de plus en plus élevées et l’homme gagne bien sa vie : des 100 guinées des premiers défis, on passe vite à des sommes plus conséquentes.
Le plus fameux de ces « paris », celui qui est vraiment resté dans les annales et qui à l’époque a le plus frappé les esprits, reste ses « mille miles en mille heures », accomplis entre et 1809. Cette fois, les sommes engagées, et le gain pour Barclay (qui est d’ailleurs parent avec les fondateurs de la banque du même nom!), sont vraiment importants : la mise de base est de 1 000 guinées, mais il se murmure qu’en cas de succès Barclay touchera finalement plus de 16 000 guinées, alors que le salaire hebdomaire moyen était à l’époque de 50 guinées par semaine pour un travailleur anglais.
Il est vrai que la tâche n’est pas simple: il ne s’agit en effet pas de parcourir cette distance en moins de mille heures, mais d’accomplir un miles pendant mille heures consécutives. Donc en se privant de sommeil régulier pendant plus de 42 jours! Un sacré défi donc, qui attire une foule considérable. Le mile en question, au bout duquel se trouve la maison d’un ami dans laquelle Barclay pourra se reposer dans une pièce aménagée spécialement pendant les brefs intervals que lui laisse son timing tout de même très serré, est tracé au coeur de la ville de Newmarket. Les paris et les pronostics vont bon train. Pour la majorité des observateurs, le défi est insensé et ne pourra être accompli. Pourtant, Barclay Allardyce, soutenu efficacement par son fidèle Cross qui l’assiste au long de sa tentative, parvient à rester sur ses pieds pendant ces milles heures consécutives, non sans connaître défaillances diverses et avoir à affronter un temps capricieux, typique de l’été anglais. Parti le 1er juin, il entreprend son 1000 em mile le 12 juillet. Epuisé, il a eu beaucoup de peine à boucler l’antépénultième, arrivant seulement 9 minutes avant l’heure. La
foule est immense pour l’acclamer lors de son dernier mille, qu’il parcourt en 22 minutes. Plus de 40 000 personnes assistent à la conclusion de ce pari hors-normes, qui reste célèbre en Angleterre plus de 200 ans après. Barclay, outre la très forte somme d’argent que lui a permis de gagner cet exploit, est devenu très célèbre. Sa tentative, couronnée de succès, a été bien menée, notamment grâce à une organisation personnelle bien construite et une équipe d’assistance très efficace. Il peut dormir sereinement, pour la première fois depuis 42 jours. Si l’on sait finalement peu de choses sur sa personnalité, la psychologie n’étant guère présente dans la relation des faits précise mais un peu froide présenté par Walter Thom, Robert Barclay semble avoir été, au-delà de ses performances, un personnage fort et influent. La biographie que lui consacre, ces toutes dernières années, l’universitaire anglais (et médaillé de bronze olympique du 100 mètres en 1960), le montre sous ce jour. Il s’investira ainsi plus tard dans la boxe professionnelle, notamment en tant que manager.
Deux semaines après son exploit, le capitaine Barclay doit cependant rejoindre son bataillon pour combattre les armées napoléoniennes. L’époque n’est pas pacifique, et les longues marches à pied sont encore souvent synonimes de campagnes militaires, les armées se déplaçant encore principalement à pied. C’est d’ailleurs sans doute le fait que l’on se déplace encore à pied au quotidien qui amène une grande notoriété à ces marcheurs hors pairs. En effet, la distance parcourue à pied, notamment celle franchie en une journée, est encore une réalité palpable pour le public.
Mensen Ernst, entre mythe et réalité ?
Encore plus que celles abattus par le Captain Barclay et les autres grands spécialistes anglais,
dont les performances restent respectables selon nos critères actuels mais aussi tout à fait plausibles, les distances quotidiennement parcourues par l’autre grande figure de ce début de XIXe siècle en terme de course de fond semblent elles d’un autre monde. Mensen Ernst, c’est de lui qu’il s’agit, étaient en effet capable, au moins selon ses biographes et les quelques témoignages qui nous sont parvenus, de courir et de marcher plus de 150 kilomètres quotidiens pendant des durées de plus de quinze jours, et sur des terrains pas forcément rectiligne.
Si la postérité n’a guère retenu son nom, la figure de ce norvégien, qui fut, dans les temps lointains du début du XIXe siècle, un des premiers coureurs professionnels, peut être aujourd’hui encore considérée comme celle d’un grand pionnier de la course aventure et de l’exploration pédestre. Une vraie légende de l’époque où courir les chemins était synonyme de Terra Incognita.
Un marin devenu arpenteur du monde
De la vie de Mensen Ernst, il reste peu de documents historiques. Suffisamment cependant pour que l’on puisse à partir de ses exploits rêver à une époque où rien n’était encore fixé en matière de limites humaines et où courir les chemins pouvait être une vraie forme d’exploration. La vie de ce globe-trotter ne fut d’ailleurs, semble t il, qu’une vaste course à la découverte d’un monde qui réservait encore bien des surprises. Cette trajectoire unique, qui s’achèvera comme il se doit assez tragiquement, débute dans la froide campagne norvégienne. Mons Monsen Horen, il « anglicisera » son nom ensuite, naît dans le petit village de Fresvik, septième fils d’une famille modeste, en 1783.
De son enfance, on sait peu de choses, mais il est établi qu’il devient marin et s’embarque sur un navire britannique en 1812. Commence alors une vie d’itinérance qui mènera Mensen à la découverte du monde et aussi vers la gloire. Si ses premiers voyages ont donc lieu sur l’eau, c’est bien sur la terre ferme que le jeune matelot fait preuve de talents exceptionnels. Lors d’une escale en Afrique du sud, il prend part à une course et l’emporte. Il a trouvé sa voie. Un peu plus tard, en Angleterre, où le public est alors friand de courses à pied, il devient coureur professionnel, les paris mis en jeu pour les exploits et lors des confrontations avec d’autres coureurs lui permettant de gagner plus d’argent que son activité de marin.
Si il participe à de nombreuses courses l’opposant sur divers distances à d’autres professionnels de l’époque, sa réputation et sa supériorité lui autorisent vite à acquérir une célébrité importante et à se lancer dans des défis bien plus incroyables qui feront de lui un homme alors connu et sans doute la première vraie figure légendaire de la course à pied.
DES DÉFIS INCROYABLES QUI FERONT DE LUI LA PREMIÈRE VRAIE FIGURE LÉGENDAIRE DE LA COURSE À PIED
Le plus fameux coureur du XIXe siècle
Après avoir remporté des courses notamment entre Londres et Porthmouth puis Liverpool, en 1818, il se rend en Europe. Là, il profite de sa renommée pour organiser une immense tournée qui le voit se produire sur différentes distances à travers de nombreuses villes.
Sa popularité et sa réputation de coureur phénoménal le conduit à rencontrer de nombreuses personnalités et à devenir le protégé de certaines grandes familles.
Ainsi, il s’accorde deux ans de “repos”, sous l’hospitalité de la famille Weydemer, en Allemagne. Durant ces années, Mensen semble presque se poser. Mais son âme de vagabond est la plus forte : en 1824, il reprends sa vie de voyageur et ses démonstrations de coureur à travers l’Europe. Ce n’est pourtant pas l’argent qui le motive ; un chroniqueur écrit lors d’une performance accomplie dans la ville de Odense, en 1830 : “Il est dit qu’il est un homme assez aisé, qui pourrait bien se dispenser de gagner ainsi sa vie mais qu’il continue de le faire d’une part car sa constitution est habituée à ce régime et qu’il a besoin de tant d’exercices et d’autre part, sans doute, parce qu’il a développé un réel goût pour cette vie de voyage.” Dans un ouvrage sur le mathématicien norvégien Niels Andrik Abel, également présent à Paris en 1826, il est mentionné: “L’homme qui gagnait le plus d’argent à Paris cet automne là en soutenant des paris audacieux était le norvégien Mensen Ernst. Célébré dans la presse norvégienne et étrangère cet athlète exceptionnel avait reçu de nombreuses sommes d’argent en courant à travers l’Europe.”
Des records impossibles ?
Après quelques années à courir ainsi d’exhibitions en compétitions, et après un nouvel épisode de voyage maritime, qui le conduit pour la première fois en Egypte, Ernst se lance dans une entreprise encore plus ambitieuse et aussi, surtout sur les chemins peu sûrs et devant “l’inconnu” que revêt alors le voyage au long cours à pied, seul et légèrement armé, plus dangereuse : une série de “grandes courses” qui doivent voir ce “messager” courir entre les grandes capitales du monde. Des voyages et des performances qui, aujourd’hui, laissent pantois et même sceptique. Jugez plutôt : en 1830, la Chronique du Québec, preuve de la renommée internationale du coureur norvégien, rapporte déjà un exploit probant : 32 heures pour relier Londres à Liverpool, soit 240 kilomètres. La suite est cependant bien plus incroyable sur le plan des performances.
Paris - Moscou en 14 jours !
Son voyage le plus célèbre, c’est deux ans plus tard que Monsen l’accomplit. Le 11 juin 1832, il s’élance de Paris pour relier Moscou. 14 jours plus tard Mensen rejoint la place du Kremlin. La performance est monumentale, surtout en tenant compte des conditions de voyage de ce début du XIXe siècle. Des chemins peu sûrs, des cartes imprécises. De nombreux dangers aussi: Ernst doit ainsi échapper à des chiens errants et quelques mauvaises rencontres, franchir de nombreux gués etc. et couvre donc une moyenne de 178 km par jour!
On peut bien sûr douter de la véracité de cet exploit mais les faits semblent relativement bien documentés, notamment ses passages et arrivées dans les différentes villes où il était attendu. Plus tard, le norvégien volant, qui n’est d’ailleurs jamais revenu dans son pays natal depuis son départ de matelot, accomplit d’autres périples impressionnants. Il relie ainsi Constantinople à Calcutta, en 59 jours, soit encore 140 km par jour. Là encore, de telles distances laissent pantois. Il semble qu’il courait et marchait entre dix huit et vingt heures par jour, se contentant de peu de sommeil et d’une nourriture frugale à base de pain et de fromage. Une force de la nature, à coup sûr.
Mort sur le Nil
Son dernier défi lui sera cependant fatal. C’est encore de Paris que Mensen s’élance en pour rejoindre les sources du Nil. A l’époque, cette ligne d’arrivée est encore Terra Incognita. Mensen n’en reviendra pas. Il meurt pendant son périple, sans doute de dysenterie. Si imprécis et fantaisistes que soient parfois les reportages de l’époque, Ernst était sans doute un phénomène digne d’impressionner tous les ultras runners modernes. Même bien oublié, sa légende rejaillit encore de temps à autre. Ainsi, en 2007, H. Buhl, un auteur allemand, s’inspire librement de son histoire pour écrire un roman, Courir le monde (Ed. Phèbus) pas si mauvais sur le plan littéraire. La description psychologique du personnage ne peut laisser un coureur de fond indifférent. Mensen est en effet un être épris de liberté, qui se fait même messager d’une révolution allemande qui n’aura jamais lieu mais aussi capable de courir très loin, par amour. Que l’on soit romancier ou trailer, la figure légendaire de Ernst peut encore inspirer. Même si ces performances surnaturelles peuvent être mis en doute. On peut aussi y voir le charme d’une autre époque où rien n’était impossible, et les quelques témoignages de l’époque s’accordent en tous cas pour présenter un coureur extraordinaire. Plus récemment des ethnologues ont recueillis des récits de différents villages de Nubie qui parlent d’un homme blanc qui court très vite. Ils ont d’abord pensé à un conte très ancien, puis fait le rapprochement avec Mensen, passé par là pour atteindre les sources du Nil. Légendaire, véritablement.
SON DERNIER DÉFI LUI SERA FATAL