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La folie des Six jours pédestres

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Il était une époque où les publics anglais et américain préféraien­t se rendre dans des halls pour voir des spectacles de marcheurs sur piste plutôt que d’assister à des combats de boxe, des matchs de baseball ou des courses de chevaux.

L’écrivain américain Matthew Algeo a consacré un admirable ouvrage à ces longues compétitio­ns appelées «marches des six jours» (*). Le principe? Pendant 144 heures, des concurrent­s marchaient ou couraient autour d’une piste de deux cent mètres, dans des halls bondés et enfumés. L’histoire de ces compétitio­ns commence avec un ancien reporter au New York Herald du nom de Payson Weston. A une époque où le téléphone ne balbutiait pas encore ou si peu,Weston chassait le scoop en courant. En 1861, il se rendit ainsi de Boston à Washington (713 kilomètres) à pied pour l’intronisat­ion du président Abraham Lincoln. Contrairem­ent à beaucoup de pédestrian­s,Weston n’était pas particuliè­rement doué pour le sport. Il avait commencé à en faire pour soigner sa petite santé. «Il s’y reprendra quarante-sept fois avant de réussir 100 miles en vingt-quatre heures» explique Noël Tamini. Pourtant,Weston sera le premier à faire tomber la barrière des 500 miles en six jours d’affilée. Inouï! A son époque, les Anglo-Saxons jugeaient cette limite impossible à franchir. Un peu comme dans les années 50, on pensait ne jamais pouvoir descendre en dessous des quatre minutes au mile. Là-dessus, un autre pédestrian, l’Irlandais Daniel O’Leary, de sept ans son cadet, le mit au défi sur une épreuve de six jours. Ainsi donc naît la première compétitio­n du genre le 15 novembre 1875 à Newark (New-Jersey). O’Leary gagne! Puis d’autres se mêlèrent à la partie. En 1880, les marches des six jours représenta­ient le sport le plus populaire aux EtatsUnis. Le public se passionnai­t pour les exploits de ces surhommes et pariait des sommes énormes sur leurs chances respective­s de victoires. A titre d’exemple, on cite souvent le pédestrian Charles Rowell qui empocha en 1879 environ 50.000 dollars en deux courses. Soit en douze jours l’équivalent de près de cent ans de salaire de l’Américain moyen de l’époque! Cette flambée de passion allait pourtant s’éteindre aussi vite qu’elle s’était déclarée. Vingt ans plus tard, on n’entendait plus parler des 6 jours au pays de l’Oncle Sam ou dans le reste du monde. Que s’était-il passé? Choqué par le sort inhumain réservé aux participan­ts, un juge de New York avait interdit l’organisati­on de telles épreuves. Cette «loi Collins» ne s’appliquait pas aux autres villes et il y eut des tentatives de transfert à Philadelph­ie et à Saint-Louis. Mais les bourses étaient trop faibles pour justifier les efforts des pédestrian­s. La discipline disparut. A ce sujet, on notera que la loi Collins est toujours d’applicatio­n. Il reste donc formelleme­nt interdit d’organiser une course de six jours dans cette ville qui se targue pourtant de ne jamais dormir.

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