Wider

« En course à pied, il n’y a pas de kilomètre facile… »

-

Je cours à pied. Je fais du marathon. Je pratique l’ultra-trail… Des définition­s de l’effort pédestre lorsque les deux pieds ne touche plus le sol – un seul, c’est de la marche et pas seulement athlétique, que l’on entend souvent chez les pratiquant­s de course à pied. Par, contre je suis un ultra-endurant, ce n’est pas un statut que l’on revendique. Il faut dire que de la course à pied à la natation, en passant par le triathlon, le cyclisme et le ski de fond, pour ne parler que des sports individuel­s de compétitio­n, le spectre est aussi large qu’une traversée de l’Atlantique à la rame. Une autre pratique de l’ultra-endurance. Mais restons sur terre avec Xavier Thévenard.

380 km en 24 h ! en ski de fond

Depuis longtemps, à l’image de son palmarès, le triple vainqueur de l’UTMB a dépassé le cadre du simple entraîneme­nt croisé. A 33 ans, déjà et seulement, lorsque les fleurs commencent à pousser la neige, course à pied, vélo et ski de fond sont à son programme. « C’est top lorsque l’on peut ainsi diversifie­r ses séances », commente Xavier. Mais quel est celui qui demande le plus énergie pour un ultra-endurant. « Je n’ai jamais fait d’expérience­s incroyable­s à vélo. Je ne suis pas un expert. Au bout de cinq heures sur un Gravel, j’en ai ma claque… J’en fais, parce que j’aime bien, mais mes plus longues sorties font 200 km. En ski de fond, c’est différent. J’ai déjà fait 380 km en 24 heures (376 km, +8 500 m, en 23 h 21), lors de sa Grande traversée du Jura (aller/retour) en 2019. Et à pied, c’est le GR 20 (180 km, +13 800 m) en Corse. L’an passé, j’ai fait 32 h 32. » Il avait échoué dans sa tentative de record détenu par François D’Haene: 31h06 en 2016.

L’ultra-dénivelé

Au-delà de la technicité des sentiers corses, ce ne sont pas ceux du Tour du Mont-Blanc, il y a aussi cette notion de dénivelé positif. Sur la distance étalon, le kilomètre vertical, le record du monde appartient à l’Italien Philip Götsch (28’53 à Fully en Suisse, en 2017). L’an passé, celui du 24 heures a connu un intérêt majeur, lorsque l’Italien Luca Manfredi a réalisé 17 020 mètres, le Jurassien Patrick Bohard (17 130 m) et le Savoyard Aurélien Dunand-Pallaz (17217 m). Une session de trois mois, entre le 15 juin et le 20 septembre 2020, que la Nordiste Elise Delannoy a conclu en cumulant 16 572 mètres, le record féminin et la quatrième meilleure performanc­e de tous les temps ! « C’est sur une autre forme, mais c’est de l’ultra-endurance, commente Xavier. Ces records de D+ existent aussi en ski-alpiniste, avec Kilian (Jornet, 23 486 m en 2019) et en cyclisme (21 168 m par le Français Nicolas Chatelet en 2020). Mais en ski de fond, cela n’a jamais été fait… »

Le kilométrag­e, le dénivelé, le ratio « KD » (kilomètre/dénivelé), le fameux kilomètre-effort (KME), le rapport de la performanc­e dans le

temps font le bonheur des statistici­ens férus d’ultra-endurance. Dans cet effort de très longue durée, comme le résume le Docteur Jean-Claude Verdier, cardiologu­e de son état, il y a aussi le mental. Non pas pour aller plus vite, mais plus longtemps, plus loin… « La course à pied est une épreuve rude, mentalemen­t, développe Xavier. Même si en descente, musculaire­ment, cela reste traumatisa­nt et il faut être lucide et présent, on peut se laisser aller avec la gravité… C’est moins dur physiqueme­nt

que la montée. En ski de fond, mentalemen­t, tu peux lâcher un peu plus, parce qu’il y a la glisse… Les kilomètres sont faciles. En course à pied, il n’y a pas de kilomètre facile. Sur chaque distance, il faut consommer de l’énergie. En ski de fond, ce qui est traitre, ce sont les sensations. La glisse est facile et tu as tendance à aller encore et encore. Tu peux enchaîner des heures et des heures sans avoir des blessures, car c’est un effort posé et très doux. Puis, à un moment, tu as le revers… Mais mentalemen­t, en ultra-endurance, le ski de fond est l’effort le plus soft que je connaisse. »

Quatorze mots, cinq ponctuatio­ns, deux guillemets

« Je ne pouvais pas aller vite, mais je pouvais courir longtemps, aller plus loin… » Une phrase, quatorze mots, cinq ponctuatio­ns, deux guillemets. Et si l’ultra-endurance pouvait se résumer à la citation de Xavier Thévenard. Fin d’émission d’encre noire. Point. Non, allons plus loin avec lui. Aussi longtemps qu’il nous parlera. A la vitesse que chacun, chacune adaptera. A pied, à vélo, en ski de fond, au choix. « Je ne pouvais pas aller vite, mais je pouvais courir longtemps, aller plus loin… « Je voulais dire que je n’ai pas plusieurs vitesses. Il y en a une qui me convient très bien et je peux la tenir longtemps à un certain rythme. C’est l’allure de l’UTMB. Elle me correspond, car je peux la conserver dans le temps. Je pourrais aller plus vite, certes, mais je ne serai pas loin de mon max. »

La zone de gestion, OH ÞO GH UDVRLUf Comme tous les ultra-endurants métronome, Xavier n’est pas dans le dépassemen­t de

fonction, plus joliment écrit, de soi. Reste-t-il dans une zone de confort ? « Non. C’est la zone de gestion, du fil de rasoir… Si tu montes plus haut, c’est à tes risques et périls. Si tu vas plus bas, tu perds un peu de temps. Il me faut trois heures pour m’échauffer. Après, je me débloque. Il y a un truc qui se passe et ça roule… Je me retrouve dans un effort qui a du sens. Dans ma façon de m’entraîner, mes séances, par rapport à ce que j’entreprend­s, mon objectif, il faut qu’il y ait un sens. Croire en ce que tu fais, c’est un bénéfice incroyable. Je ne vais pas faire du fractionné à 18/19 km/h. La moyenne de la gagne sur un ultra typé UTMB, c’est 8,5 km/h.

Je préfère privilégie­r des séances sur l’endurance de force, la résistance musculaire et des longues sorties de dénivelé positif et négatif. Je cours avec mes conviction­s. Lorsque ton effort est intuitif, il est positif. Il est aussi bénéfique, car il est en corrélatio­n avec ce tu fais, de l’ultra-distance. Tu es dans ton élément, en symbiose avec ton corps et ta tête. Tu ne fais qu’un avec le terrain. C’est une superbe sensation. » Tous les sens sont en éveil, même le goût, celui de l’effort, mais pas que.

Jura et Rocheuses A ce sujet, Xavier a ses gourmandis­es. Elles peuvent être dans ses poches. Mais dans ses souvenirs, sa préférence pour une épreuve d’ultra-endurance n’est pas celle où il est

« JE COURS AVEC MES CONVICTION­S. LORSQUE TON EFFORT EST INTUITIF, IL EST POSITIF ».

dévoré des yeux par le grand public, l’élite et la masse. « La Grande Traversée du Jura en ski de fond, j’en garde un superbe souvenir, révèle-t-il. Tout était réuni dans une belle atmosphère qui régnait. En course à pied, c’est la Hardrock (161 km, +10 000 m) aux Etats-Unis. J’ai vécu des superbes moments dans la montagne avec Jean-Marie (son frère) et à l’arrivée, l’ambiance était hyper cool. » C’était en 2016, dans les Rocheuses du Colorado.

Dolomites et Mont-Blanc

Pour 2021, Xavier a inscrit deux épreuves d’ultra-endurance sur son calendrier : Lavaredo Ultra-Trail (120 km, +5800 m) dans les Dolomites, en juin et l’UTMB (171 km, + 10 000 m), autour du Mont-Blanc, fin août. Et si la pandémie Covid19 maintient toujours la planète sous cloche, le Jurassien se fera bien en « pelleteur de nuages », comprenez un idéaliste, cependant réaliste. Car il a un projet qui galope, pour l’instant, que dans sa tête. « J’ai une petite idée autour de la maison : le tour de la flaque d’eau », annonce-t-il, en souriant. Mais encore : « Le tour du Lac Léman, par les chemins du Massif du Jura et du Chablais. Ce sont les montagnes que je côtoie le plus dans mes sorties, entre la France et la Suisse. »

La distance et le temps

Il reste à connaitre le nom de la course, du défi, de l’aventure qui correspond le mieux à LA phrase qui anime les fibres rouges et les cellules grises de Xavier : « Je ne pouvais pas aller vite, mais je pouvais courir longtemps, aller plus loin… » Car finalement, il fait la différence entre sa définition de l’ultra-endurance : « C’est la filière d’endurance, mais dans la distance et le temps. Pour moi, dès tu dépasses les 10 heures en course à pied, tu es dans le format », expliquet-il ; et sa sentence. « Comme cette phrase me correspond assez bien, au-delà de la compétitio­n, avant tout, je pense que c’est de continuer à pratiquer, le plus longtemps possible, l’ultra-endurance pour aller le plus loin dans la longévité… » Une constance et un temps où il est nul besoin d’aller vite…

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France