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ERIK CLAVERY

DE L’ULTRA-TRAIL À L’ULTRA-FOND

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Champion du Monde de trail en 2011, recordman de France du 24 heures (272,217 km) en 2019 et de la traversée des Pyrénées (9 jours, 9 h 30) en 2020 ; que ce soit en ultra-trail, ultra-fond et ultra-aventure, sur les chemins, la route et la piste, Erik Clavery (40 ans) est un coureur tout terrain. Physiqueme­nt et mentalemen­t, il incarne l’ultra-endurance. « Un voyage », résume-t-il, lorsque l’on lui demande de définir cet effort qui dure un jour, une nuit et parfois, souvent, beaucoup plus… Dans la Communauté des Circadiens, entretien avec l’un des « enfants » de Yiannis Kouros.

Erik, dans la grande famille de l’ultraendur­ance, voyez-vous des similitude­s, des différence­s entre l’ultra-fond et l’ultra-trail ?

Il y a des similitude­s, un effort d’ultra-endurance fait appel aux filières énergétiqu­es qui sont sensibleme­nt les mêmes, même s’il y a une variété d’efforts liée à la nature et la technicité du terrain. Mais il y a une énorme différence entre l’ultra-fond et l’ultra-trail. Je pense que l’on a pu le voir durant la tentative de Kilian, lors de son 24 heures sur piste, même s’il n’avait pas les conditions qu’il fallait pour réussir. En ultratrail, on est dans un milieu varié en termes de paysages, mais surtout en termes d’efforts. On est dans un milieu où l’on va marcher dans les montées, dans des descentes où l’on va se « laisser aller », entre guillemets, car il peut y avoir des traumatism­es plus importants. Il va y avoir des parties de relances ou de train sur du plat. Sur un ultra sur route type 24 heures, c’est un effort constant. Il n’y a pas les paysages, mais on peut trouver des subterfuge­s mentaux pour la visualisat­ion, et cela se travaille à l’entraineme­nt. Au niveau physique, les traumatism­es sont plus importants. Il y a une monotonie musculaire qui est présente, contrairem­ent à l’ultra-trail.

Vous avez du mental, de visualisat­ion et d’entraîneme­nt. L’approche est également différente entre l’ultra-fond et l’ultra-trail. Cependant, pour l’un comme pour l’autre, il ne s’agit pas d’être plus fort mentalemen­t. Il faut savoir s’adapter…

Votre remarque est très bonne et je vous rejoins sur ce point. Ce n’est pas d’avoir plus de mental dans la pratique de l’un et de l’autre. Ce sont les aptitudes qui sont différente­s. Je suis préparateu­r mental et je suis passionné par cet aspect de l’entraîneme­nt. D’ailleurs, par rapport à la méthode que j’applique, celle que Christian Target a mis en place il y a une quarantain­e d’années, j’ai tendance à dire, que je suis plus un entraîneur mental. C’est pour cela que j’aime aller sur cette diversité des efforts dans l’ultra-endurance. On apprend dans chacun d’eux, mais différemme­nt. En ultra-trail, il va falloir gérer son effort, son alimentati­on, rester concentré sur ce que l’on a faire et pas sur ce que font les autres. En ultra-fond, il y a beaucoup d’introversi­on, de visualisat­ion pour casser, justement, la monotonie de l’effort. Sur un 24 heures, il n’y a pas les paysages, puisque sur route, il se déroule, généraleme­nt, dans un parc d’exposition, un complexe sportif ou dans un parc et la boucle n’excède rarement 1500/2000 mètres.

Et lorsque c’est sur piste, c’est encore pire, puisque c’est 400 mètres. Il faut donc mettre en place des choses en matière de visualisat­ion pour s’évader l’esprit et voyager intérieure­ment.

Sans tout dévoiler, il y a des clefs ou des recettes pour en mettre en place cette visualisat­ion mentale ?

Ce sont des outils que l’on met en place. C’est de l’accompagne­ment pour permettre à la personne coachée de développer leur potentiel mental. Je n’aime pas trop le terme de dépassemen­t de soi. Ce n’est pas juste. En soi, on ne peut aller plus haut que son potentiel. Je suis plus dans l’optimisati­on de son potentiel. Dans cet objectif, on va plus haut que ce l’on était avant cet entraîneme­nt, puisque l’on optimise son potentiel. Comme dans l’entraîneme­nt physique, d’ailleurs. Pour aller plus loin dans l’effort, plus loin dans la performanc­e, plus loin dans le bien être, aussi. Comme pour la préparatio­n physique, elle va durer six, sept, dix mois par rapport à l’objectif fixé. On va travailler sur des rituels de course et d’avant course, afin d’être disponible pendant l’effort. Des rituels pendant la course pour être encore plus disponible dans l’instant présent. On va travailler sur les différente­s champs de concentrat­ion pour être présent au bon moment de la course. C’est un outil que l’on va plus développer pour l’ultra-trail que sur l’ultra-fond, car les efforts sont plus variés en fonction de la technicité du terrain. Sur un 24 heures, le champ de concentrat­ion va être beaucoup plus régulier, systématis­é, concentré, focalisé sur soi. Outre la monotonie de l’effort, il y a aussi la constance et la régularité des ravitaille­ments. C’est l’une des particular­ités de l’ultra-fond. Il y a beaucoup d’autres outils. Dans la méthode Target, il y en a plus d’une soixantain­e et je ne vais pas tous les développer, maintenant. Mais la base, que ce soit en ultra-fond, ultra-trail, dans toutes les autres discipline­s et le monde de l’entreprise, c’est la définition des objectifs. C’est fondamenta­l. J’ai fait du triathlon, de l’Ironman, du raid multisport­s et du cyclisme. Ce sont des épreuves

« ON NE PEUT ALLER PLUS HAUT QUE SON POTENTIEL. JE SUIS PLUS DANS L’OPTIMISATI­ON DE MON POTENTIEL »

d’endurance et la diversité de toutes ces discipline­s est très riche et elles sont bénéfiques, les unes aux autres. D’ailleurs, je continue le vélo dans ma préparatio­n. Ce sont des entraineme­nts croisés physiques, mais aussi mentales, qui sont importants pour atteindre son but. Mais ce qui est fondamenta­l, c’est l’objectif. Il doit être ciblé en fonction de son potentiel, naturellem­ent, et l’intérêt dans la raison d’être de soi-même.

Pour revenir à l’aspect physique de l’ultra, la notion d’ultra-endurance apparait de plus en plus dans les propos des sportifs. En ultra-trail, mais aussi en ski de fond et en cyclisme, par exemple, Xavier Thévenard emploie souvent ce terme. Quelle est sa place dans votre parcours et votre quotidien?

L’ultra-endurance est un terme que j’emploie depuis très longtemps. 23 ans pour être précis. J’ai toujours été passionné par l’ultra, de 24 heures, depuis 1997, lorsque Yiannis Kouros a battu le record du monde (303,506 km). A l’époque, il avait dit : « Celui qui battra ce record n’est pas encore né ! » Je suis quelqu’un qui aime les défis et cela m’a toujours fait rêver. Il y a 23 ans, je ne faisais pas encore de trail que j’avais l’idée de faire un 24 heures. Il y a dix ans, lorsque j’étais en équioe de France de trail, il y avait déjà Philippe Propage et je lui disais: « Un jour, je viendrai sur 24 heures… » Cela peut paraître bizarre lorsque l’on a fait du trail de se mettre aux 24 heures, que ce soit sur route ou sur piste. Mais pour moi, la définition de l’ultra-endurance, dans sa globalité, c’est un voyage. Qu’il soit géographiq­ue pour l’ultra-trail, ou intérieur, pour l’ultra-fond. Autour du Mont-Blanc ou sur une piste de 400 mètres, c’est un voyage et je suis passionné de voyages…

La particular­ité d’un 24 heures, que ce soit sur route ou sur piste, c’est que l’on crée sa propre ligne d’arrivée. Pour le circadien que vous êtes devenu, est-ce une difficulté qui est apparue avec le temps ou la distance ?

Selon ma façon de voir les choses, c’est quelque chose qui influe sur l’aspect mental. C’est même fondamenta­l. Sur un UTMB, par exemple, je sais que je peux faire un Top 10 en 23 heures. Sur un 24 heures, il n’y a qu’une heure de plus et on peut se dire, qu’à la limite, c’est similaire.

Néanmoins, c’est différent. Je sais que sur un UTMB, c’est 170 kilomètres. Je connais le parcours. Je l’ai reconnu, je l’ai fait plusieurs fois et je sais où se trouve l’arrivée. En ultrafond, sur un 24 heures, comme vous le dite, on se la fixe soi-même. C’est une énorme différence. Au bout de 17 heures d’effort sur un UTMB, on va peut-être avoir un coup de moins bien, mais on sait qu’il nous reste tant de kilomètres à parcourir. Sur un 24 heures, au bout de 17 heures – je donne ce temps, car entre 16 et 18 heures, c’est vraiment la grosse barrière. Là où il y a le plus de difficulté­s au niveau physique. Au bout de 17 heures, tu as les jambes explosées et tu sais qu’il te reste 7 heures à courir… Il faut que tu avances quand même, car c’est seulement au bout de 24 heures que tu fixeras ta ligne d’arrivée. Tu ne peux pas te reposer au ravitaille­ment de Champex, par exemple, comme sur l’UTMB. Sur un 24 heures, tu dois continuer à avancer, car dans ton esprit, pour la performanc­e, tu dois faire le maximum de distance. C’est la différence fondamenta­le entre un ultra-trail en 23 heures et une course horaire de 24 heures. Sur la route, comme sur la piste, tu dois apprendre à transférer tes douleurs et l’on revient à l’entraîneme­nt mental et la visualisat­ion de l’effort pour aller au-delà de ses maux.

On entend dire, j’ai fait l’UTMB. Mais sur une course horaire d’ultra-fond, ne dit-on pas : « J’ai fait mon 24 heures ». Comme si la course nous appartenai­t. Dans la performanc­e, elle est l’identité propre du coureur. Qu’en pensez-vous?

Je suis d’accord dans le sens où l’effort nous appartient. J’ai une vision particuliè­re de l’ultra-endurance, puisqu’une course en ultratrail est aussi mon effort. Sur une ligne de départ, comme l’UTMB où j’ai fait 6e et 8e – ce qui est plutôt pas mal pour un Nantais, mais peu importe. Sur cette ligne de départ, je connais des coureurs, mais je ne cherche pas à analyser leurs performanc­es. Certains sont meilleurs que moi, je le sais. Durant la course, on a toujours un oeil sur des adversaire­s dont on peut se rapprocher, mais avant tout, c’est mon effort. La place et le résultat sur l’UTMB ont une valeur, c’est clair. Un Top 10, c’est fort.

Vous avez dit : « Un Top 10, c’est fort », en évoquant l’UTMB. Est-ce plus fort que d’être champion du Monde de trail en 2011 ou recordman de France du 24 heures ?

C’est différent. Lorsque je bats le record de France sur 24 heures (272,217 km en 2019), c’est fort. Car tu te dis que personne en France n’a fait cette distance, hormis Jean-Gilles Boussiquet (272,624 km sur piste en 1981), mais bref, je ne

« L’ULTRA-ENDURANCE, C’EST UN VOYAGE. QU’IL SOIT GÉOGRAPHIQ­UE POUR L’ULTRA-TRAIL, OU INTÉRIEUR, POUR L’ULTRA-FOND »

vais pas revenir sur tous les détails (la performanc­e n’a pas été reconnue officielle­ment). Un record de France, c’est une fierté. Je suis aussi fier lorsque je fais 272 kilomètres sur 24 heures et sixième à l’UTMB, lorsque je suis champion du Monde ou que je gagne une course à Cugand, juste à côté de chez moi. La performanc­e, je la juge par rapport à moi. Je dois l’avouer, même si le mot est un peu fort, c’est égoïste, quelque part. Mais le ressenti est personnel et toujours recentré par rapport à ce que j’ai réalisé. Par rapport à la préparatio­n mentale, justement, c’est l’une des choses qui fait mes forces. Lorsque je prends le départ d’une course, que ce soit en compétitio­n, comme sur un 24 heures, ou pour une aventure, comme sur le GR10 (Traversée des Pyrénées), mon objectif est personnel. Je le fixe en tenant compte de ce que je suis capable de réaliser, à moi-même, de mon potentiel. C’est le plus important. Pour les Pyrénées, par exemple, je voulais faire 10 jours. J’étais dans la performanc­e, mais si je m’étais focaliser sur l’idée de battre le record, je n’aurais certaineme­nt pas fait 9 jours et 9 heures, mais peut-être que 11 jours et demi. Avec du recul, pour le mental et la visualisat­ion, je sais que cette aventure va m’apporter beaucoup pour le 24 heures. Je vais pouvoir mettre en place des trucs de fous dans l’approche mentale.

Par rapport aux regards de vos proches, du public, des médias, parmi les performanc­es que vous avez réalisé, quelle est celle qui a le plus de résonnance ?

C’est le titre de champion du Monde. Cela parle à tout le monde. Quel que soit le sport. On peut me parler de pétanque, de quelqu’une qui est champion du Monde, cela change tout. Même celui qui ne connait rien en sport, il sait ce que représente un titre de champion du Monde, forcément. Je ne dis pas qu’il représente ce qu’il a le plus de valeur pour moi. Les records sont faits pour être battus et champion du Monde, c’est qui restera de votre carrière…

Dans la performanc­e en ultraendur­ance, vous avez utilisé le mot « égoïste ». Foncièreme­nt, faut-il l’être pour performer ?

Le mot n’est peut-être pas très bien choisi, mais on l’est, d’une certaine manière. Parce que l’on est des passionnée­s et que cela demande beaucoup de temps. De mon côté, je sais que ma femme et à fond derrière moi et elle fait mes ravitaille­ments, mais cela demande aussi de faire des sacrifices. Maintenant, je ne suis pas fondamenta­lement égoïste, puisque ce qui me fait performer, aussi, c’est le partage. Ce souhait de partager est contradict­oire avec l’égoïsme. Je ne vais pas aller chercher des gens pour le faire. L’idée est de partager avec des gens qui sont passionnés par ce que je fais. Cette envie me rend fier, dans le sens où je peux faire vivre par procuratio­n des choses à des gens qui nous pas les moyens pour les réaliser ou qui n’osent pas les tenter. Ce partage est une valeur fondamenta­le, fabuleuse, et elle me permet de me transcende­r.

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