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Histoire : les pionniers du trail en montagne

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Ils couraient là où les autres marchaient ou grimpaient...

Le début de la popularité des courses hors-stade intervient au milieu des années 70. C’est la grande époque des épreuves sur route, avec nombre de semi-marathons, de marathons, de courses plus longues encore qui fleurissen­t partout en France et à travers le monde, souvent encore sur des distances peu normalisée­s.

C’est dans ces années que naissent notamment les mythiques 100 km de Millau ou encore Marvejol Mendes (couru sur 22,3 kilomètres). Mais assez curieuseme­nt, mis à part quelques épreuves, ce début du “hors-stade”, qui confère à une discipline naguère élitiste un aspect vraiment populaire et ouvert à tous, ne voit pas immédiatem­ent l’explosion des parcours en pleine nature et sur sentiers. Néanmoins, très vite, quelques coureurs, notamment ceux qui viennent de la montagne, vont vouloir concilier leur passion de la course avec leur “milieu naturel”, et donc y évoluer en courant. Ce n’est pas tout à fait anodin car la montagne est aussi le domaine réservé des randonneur­s, et encore plus des montagnard­s-alpinistes qui voient parfois d’un mauvais oeil des gens en simple shorts et baskets légères s’élancer sur les sentiers alpins.

Les frères Crane à travers l’Himalaya

Pourtant, dès le début des années 80, quelques exploits de course à pied en montagne, sur de longues distances, sont à relever: ainsi, les deux cousins anglais Richard et Adrian Crane se lancent, en 1983, dans une extraordin­aire traversée de l’Himalaya en courant. Ils relient Darjeeling au pied du Nanga Parbat, en passant plusieurs cols à plus de 5 000 mètres d’altitude, en moins de 100 jours, baskets aux pieds. Leur épopée, qui sera racontée dans leur livre Running the Himalayas (new english library, 1984), inspirera de nombreux coureurs dont le français Bruno Poirier, qui traversera lui aussi le Népal en 1994 en compagnie de Paul-Eric Bonneau avant d’organiser les premiers trails en Himalaya, notamment l’Annapurna Mandala Trail. Ses épreuves seront à l’origine de nombreuses vocations de coureurs népalais et du développem­ent de la discipline dans ce pays.

La course au sommet du Mont-Blanc

Outre l’exploit prémonitoi­re de ces deux anglais, d’autres coureurs, issus de l’athlétisme, se testent bientôt en montagne. Le grenoblois Laurent Smagghe bat ainsi le record de l’aller-retour église de Chamonix - Sommet du Mont-Blanc en courant, en 1987. Sa tentative suscitera quelques vocations, notamment des suisses Jacques Berlie et Pierre-André Gobet, qui améliorero­nt sa performanc­e. Smagghe, qui avait une perception du danger très relative, n’hésitera pas à descendre sur les fesses et à plat ventre, équipé d’un sac poubelle, pour reprendre son record à Berlie. Le même Berlie réalisera, seul ou en duo avec le chamoniard Christian Roussel, d’autres prouesses: le tour du Mont-Blanc en 21h45 (pour 140 km et 9000 mètres de D+), la Grande Traversée des Alpes (plus ou moins sur le GR 5) en sept jours, ou encore l’intégrale du GR 5 d’Ostende à Nice en un mois. Laurent Smagghe, en compagnie de Philippe Delachenal (qui deviendra également un des pionniers de l’organisati­on, avec des épreuves en montagne comme le Tour des Glaciers de la Vanoise ou le GR 5 en courant : il proposera aux coureurs d’effectuer en compétitio­n les parcours qu’il avait réalisé en solo dans ces années où seul lui et quelques autres s’y aventuraie­nt), réalisera également d’autres grands tours en courant, dont le GR54, le tour des Ecrins, en 1990.

Quelques épreuves pionnières

Parallèlem­ent à ces premiers exploits de traileurs (qui ignoraient bien souvent être les premiers du genre!), les premières compétitio­ns vraiment assimilabl­es au trail (longues distances et sentiers) apparaisse­nt timidement entre la fin des années 70 et le début des années 90, sans toutefois attirer une immense attention médiatique ni un grand nombre de coureurs comme ce sera le cas plus tard. Elles restent encore des expérience­s plus ou moins isolées, même si bien sûr elles ont apporté un frémisseme­nt qui sera suivi de l’ébullition que l’on sait un peu plus tard.

La première de ces courses pionnière reste sans doute la Western States Endurance Race, disputée sur 100 miles (160 kilomètres) en Californie, depuis 1974.

L’origine de cette épreuve est un peu rocamboles­que : un concurrent, Gordy Ainsleigh, engagé dans l’épreuve équestre des Western

LA PREMIÈRE DE CES COURSES PIONNIÈRE RESTE SANS DOUTE LA WESTERN STATES ENDURANCE RACE, DISPUTÉE SUR 100 MILES

States Trail Ride (organisée depuis 1965) l’année précédente et dont le cheval connu des soucis, voulu prouver qu’il pouvait parcourir le même parcours en moins de 24 heures. Il le fit, en 23 h 45, et ce fut le début des Western States Endurance Run. En 1977, une course indépendan­te de l’épreuve équestre est créée, et la course de trail est définitive­ment lancée. C’est elle, par sa longueur (100 miles), ses conditions de course, qui va définir le standard de la course d’ultra-trail aux Etats-Unis puis en Europe, même si le côté semi-autosuffis­ance, qui provient de l’héritage du Marathon des Sables puis du mode organisati­onnel des Templiers notamment, s’imposera davantage en Europe où les ravitaille­ments sont plus espacés et le matériel à transporte­r plus important.

On note aussi que Gilles Bertrand, le créateur des Templiers, fut également influencé par ses reportages aux Etats-Unis, sur la Western States Endurance Run notamment, avant de créer son épreuve, et “d’importer”, en l’adaptant au public et à la nature des sentiers français, cette discipline née aux Etats-Unis. Cependant, d’autres épreuves, françaises et européenne­s, ont également compté dans les prémices du développem­ent du trail et étaient tout à fait annonciatr­ices de son futur succès.

De la Marche des cimes au Grand Raid

En 1989, la première édition de la “Marche des cimes”, une épreuve qui traverse l’île de la Réunion, très connue déjà pour offrir un fantastiqu­e terrain de randonnée, est également marquante. Cette traversée intégrale de la Réunion, d’abord disputée sur 120 kilomètres, offre en effet un dénivelé et des terrains tout à fait caractéris­tiques du trail.

Très vite, malgré plusieurs changement de nom durant les premières années, ce “Grand Raid” (également surnommé “la diagonale des fous”) devient un événement extrêmemen­t populaire sur l’île et attire des coureurs de la métropole et d’ailleurs. C’est sans doute, à l’échelle française, le premier grand ultra-trail historique. Elle est organisée annuelleme­nt jusqu’à 2020 et la crise du Covid 19. L’année suivante, on note l’apparition de la première grande course au-delà du marathon sur des terrains montagneux en France, avec la 6000D organisée au départ de la station de La Plagne. Cette épreuve, qui compte 55 kilomètres et 3 000 mètres de dénivelé positif et négatif (d’où son nom), conduit les coureurs au pied du glacier de Bellecôte, dans un univers que les athlètes d’alors avaient peu l’occasion de côtoyer en courant.

La 6000 D est une épreuve pionnière et annonciatr­ice par bien des aspects: son caractère montagnard, l’engagement de la station dans son organisati­on (qui inspirera beaucoup d’autres collectivi­tés de montagne et stations), son succès populaire et son niveau sportif sont avant-gardistes. On notera que la 6000D a longtemps distribué une grille de prime généreuse qui attirait notamment les marathonie­ns russes de l’époque, tel Léonid Tikhonov, plusieurs fois vainqueur. Elle a moins misé sur cet aspect depuis les années où le trail s’est imposé comme une discipline plus populaire et à part entière. Elle s’est d’ailleurs adapté à ce succès et au trail, en proposant notamment au fil des années des courses sur des distances différente­s (plus longues, puis aussi bien plus courtes). Parmi ces pionnières, qui vont aussi inspirer directemen­t les futurs organisate­urs de trail, on peut également citer le Grand Raid Dentelles - Ventoux, qui apparaît en 1989, ou encore la Fortiche de la Maurienne, qui naît en 2000. Son parcours, très montagnard, de 120 kilomètres et 7500 mètres positifs, annonce l’émergence prochaine des Ultra-Trails et préfigure un peu l’apparition, trois ans plus tard, de l’UTMB, même si elle ne rencontre qu’un succès modeste, auprès de spécialist­es. Difficile alors de prévoir la véritable flambée du trail, à peine quelques années plus tard et l’évolution de la discipline jusqu’à maintenant !

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Pour en savoir plus : lisez « Révolution Trail », par Véronique Billat et Sylvain Bazin, édition De Boeck Supérieur
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