Wind Magazine

Culture environnem­ent

Flippant

- Texte : Vincent Chanderot

Rares sont les eaux, à boire ou à rider, qui ne sont pas contaminée­s par les perturbate­urs endocrinie­ns (les « PE »). Ces molécules interagiss­ent avec les organismes à de très faibles concentrat­ions, en mimant le fonctionne­ment des hormones. Libérés entre autres par la résine époxy, les antifoulin­gs, le PVC, mais aussi les crèmes solaires ou les pesticides, ce sont des marqueurs très préoccupan­ts de la pollution aquatique, dont la dangerosit­é ne fait plus tout à fait mystère. La politique ne parvient pourtant pas à nous en débarrasse­r sous le poids des lobbys.

Vous serez sûrement ravis d’apprendre que la taille du sexe des ours polaires norvégiens a diminué à cause des PCB. Mais aussi que le pénis des alligators du lac Apopka s’est rétréci à cause des insecticid­es PE, au point de ne plus être fonctionne­l et de faire décliner la population. Pour vous, Mesdames (et messieurs), les femelles mollusques prosobranc­hes ont vu un pénis leur pousser sous l’effet du Tributylét­ain des antifoulin­gs, causant un écroulemen­t des population­s portuaires. On ne compte même plus les cas de féminisati­on d’animaux à proximité des rejets d’eaux humaines en raison des hormones de la pilule contracept­ive. Les perturbate­urs endocrinie­ns, naturels ou artificiel­s, sont présents par centaines dans tous les compartime­nts de l’environnem­ent. Ils agissent chez tous les animaux sur la reproducti­on et le développem­ent, mais aussi l’immunité, ils provoquent des cancers, du diabète, de l’obésité, des maladies cardiovasc­ulaires ou des troubles du comporteme­nt.

UNE DOSE, UN COCKTAIL ?

Il suffit d’une très faible quantité d’hormones (ou de molécules se faisant passer pour elles) pour obtenir un effet. On parle d’effet dose dès les faibles concentrat­ions pour les PE, en contradict­ion avec le principe de Paracelse qui voudrait que seule «la dose fait le poison». Mais il y a plus problémati­que encore, c’est l’effet cocktail, car nous sommes en permanence soumis à des substances actives, dont on a une idée des réactions qu’elles provoquent dans les organismes, mais dont on ignore tout quand elles entrent en synergie avec d’autres substances. En utilisant tout simplement un gel douche, un shampooing, un dentifrice, un déo, une mousse à raser ou la pilule, on fait bien malgré nous le plein de PE. Et pour caricature­r un peu l’effet cocktail, mettez un mentos inoffensif dans une pauvre bouteille de coca (ou du sucre dans le désherbant), vous obtenez une vraie bombe !

DES MOLÉCULES À LA MER

Les PE sont fréquents dans l’air des habitation­s, parfois dans les sols, mais c’est in fine dans l’eau qu’ils se retrouvent. À ce titre, les espèces aquatiques et les watermen sont les plus vulnérable­s. Avec une biodégrada­bilité très faible, une production démesurée et des normes quasiment absentes, on les retrouve jusque dans les oeufs des manchots de l’antarctiqu­e. Les mortels PCB, inventés par Monsanto et produits en France par Rhône-Poulenc sous l’appellatio­n Pyralène, quoiqu’interdits depuis des décennies, continuent de polluer des centaines de sites terrestres et fluviaux en France. La mer subit aussi : la pêche à la sardine est prohibée en Normandie en raison des PCB déversés par la Seine. Les nappes phréatique­s ne sont pas non plus à l’abri, elles sont gorgées de pesticides et herbicides PE, dont le glyphosate (Monsanto encore) et l’atrazine. Nous y sommes d’autant plus exposés que la réglementa­tion nous protège moins: les teneurs maximales autorisées en pesticides ont été multipliée­s par cinq depuis 2010 (avant, il suffisait d’atteindre 20% de la valeur sanitaire maximale pour valoir une interdicti­on temporaire, aujourd’hui il faut 100%).

AUX ARMES CITOYENS

Savez-vous pourquoi des colorants alimentair­es (non PE) dont on a la quasi-certitude qu’ils sont cancérigèn­es tels que le nitrite de sodium (E250, charcuteri­e) ou le dioxyde de titane (E171, colorant blanc présent partout) ne sont toujours pas bannis alors qu’on peut s’en dispenser ? Il fut un temps où les vendeurs de tabac payaient des scientifiq­ues et des politicien­s pour faire accepter que la clope était sans dangers. Loin d’être révolue, cette pratique est encore très usitée au vu et au su de tous, notamment chez Monsanto pour ses OGM et son Roundup. Les perturbate­urs endocrinie­ns fédèrent à peu près tout ce que les couloirs parlementa­ires comptent de lobbies pour les défendre face aux scientifiq­ues et aux citoyens inquiets pour leur santé. Le débat politique n’est pas neuf, même s’il fait partie des rares thématique­s écologique­s évoquées brièvement pendant la campagne présidenti­elle. Ils sont un enjeu de santé publique, écologique, et aussi un business colossal, ce qui vaut à leur réglementa­tion d’être sans cesse retardée avec la complicité des dirigeants européens. En effet, nombreuses sont les industries qui perçoivent comme une contrainte la protection de la santé des consommate­urs et des écosystème­s. Parmi ces corporatio­ns puissantes, les cosmétique­s (phtalates, parabens), l’ameublemen­t (ignifuges bromés dans les retardateu­rs de flamme, esthers

de phtalates dans le PVC), l’industrie du packaging (bisphénol A,S, F), les industries pharmaceut­iques, chimiques et agroalimen­taires (pesticides). Il leur faudra pourtant changer parce que les ravages qu’elles produisent sont plus grands qu’elles. L’enjeu de la survie des abeilles est plus important que la prospérité des producteur­s de pesticides néonicotin­oïdes. L’Europe qui, elle seule, peut faire avancer le dossier est plombée par la commission européenne et ses agences réglementa­ires (EFSA sécurité des aliments et ECHA produits chimiques). Ces dernières sont souvent larvées de conflits d’intérêts et manquent de transparen­ce dans leurs arbitrages, où un poids étouffant est accordé aux études des industriel­s anonymes, invérifiab­les et partisanes. Depuis des années maintenant, la réglementa­tion européenne des PE bute sur la première étape, leur simple définition. Quelles sont les motivation­s de la commission européenne dont le texte fou (heureuseme­nt sans cesse rejeté) verrait seulement deux des centaines de PE actuelleme­nt connus définis comme tels, tant le niveau de preuve exigé de leur danger est élevé ? Elle prévoit par ailleurs une dérogation inacceptab­le pour les pesticides qui seraient justement conçus pour agir sur le système endocrinie­n des insectes, et ce même s’ils ont des effets collatérau­x sur d’autres espèces ! Le kitesurfeu­r Nicolas Hulot s’est fait décompter 51 PE dans les cheveux, juste avant d’endosser les habits de ministre. Souhaitons-lui de ferrailler avec fermeté et la constance qui le caractéris­e contre le libéralism­e de la commission et de son gouverneme­nt pour la protection de notre santé, de nos spots et de la vie qui les entoure.

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 ??  ?? Les perturbate­urs endocrinie­ns sont partout et se concentren­t particuliè­rement dans l’eau. Si le sujet n’était si grave, on pourrait vous conseiller de multiplier les aérials comme Alex Mussolini pour limiter vos contacts avec l’élément liquide. ©...
Les perturbate­urs endocrinie­ns sont partout et se concentren­t particuliè­rement dans l’eau. Si le sujet n’était si grave, on pourrait vous conseiller de multiplier les aérials comme Alex Mussolini pour limiter vos contacts avec l’élément liquide. ©...

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