Culture environnement
Flippant
Rares sont les eaux, à boire ou à rider, qui ne sont pas contaminées par les perturbateurs endocriniens (les « PE »). Ces molécules interagissent avec les organismes à de très faibles concentrations, en mimant le fonctionnement des hormones. Libérés entre autres par la résine époxy, les antifoulings, le PVC, mais aussi les crèmes solaires ou les pesticides, ce sont des marqueurs très préoccupants de la pollution aquatique, dont la dangerosité ne fait plus tout à fait mystère. La politique ne parvient pourtant pas à nous en débarrasser sous le poids des lobbys.
Vous serez sûrement ravis d’apprendre que la taille du sexe des ours polaires norvégiens a diminué à cause des PCB. Mais aussi que le pénis des alligators du lac Apopka s’est rétréci à cause des insecticides PE, au point de ne plus être fonctionnel et de faire décliner la population. Pour vous, Mesdames (et messieurs), les femelles mollusques prosobranches ont vu un pénis leur pousser sous l’effet du Tributylétain des antifoulings, causant un écroulement des populations portuaires. On ne compte même plus les cas de féminisation d’animaux à proximité des rejets d’eaux humaines en raison des hormones de la pilule contraceptive. Les perturbateurs endocriniens, naturels ou artificiels, sont présents par centaines dans tous les compartiments de l’environnement. Ils agissent chez tous les animaux sur la reproduction et le développement, mais aussi l’immunité, ils provoquent des cancers, du diabète, de l’obésité, des maladies cardiovasculaires ou des troubles du comportement.
UNE DOSE, UN COCKTAIL ?
Il suffit d’une très faible quantité d’hormones (ou de molécules se faisant passer pour elles) pour obtenir un effet. On parle d’effet dose dès les faibles concentrations pour les PE, en contradiction avec le principe de Paracelse qui voudrait que seule «la dose fait le poison». Mais il y a plus problématique encore, c’est l’effet cocktail, car nous sommes en permanence soumis à des substances actives, dont on a une idée des réactions qu’elles provoquent dans les organismes, mais dont on ignore tout quand elles entrent en synergie avec d’autres substances. En utilisant tout simplement un gel douche, un shampooing, un dentifrice, un déo, une mousse à raser ou la pilule, on fait bien malgré nous le plein de PE. Et pour caricaturer un peu l’effet cocktail, mettez un mentos inoffensif dans une pauvre bouteille de coca (ou du sucre dans le désherbant), vous obtenez une vraie bombe !
DES MOLÉCULES À LA MER
Les PE sont fréquents dans l’air des habitations, parfois dans les sols, mais c’est in fine dans l’eau qu’ils se retrouvent. À ce titre, les espèces aquatiques et les watermen sont les plus vulnérables. Avec une biodégradabilité très faible, une production démesurée et des normes quasiment absentes, on les retrouve jusque dans les oeufs des manchots de l’antarctique. Les mortels PCB, inventés par Monsanto et produits en France par Rhône-Poulenc sous l’appellation Pyralène, quoiqu’interdits depuis des décennies, continuent de polluer des centaines de sites terrestres et fluviaux en France. La mer subit aussi : la pêche à la sardine est prohibée en Normandie en raison des PCB déversés par la Seine. Les nappes phréatiques ne sont pas non plus à l’abri, elles sont gorgées de pesticides et herbicides PE, dont le glyphosate (Monsanto encore) et l’atrazine. Nous y sommes d’autant plus exposés que la réglementation nous protège moins: les teneurs maximales autorisées en pesticides ont été multipliées par cinq depuis 2010 (avant, il suffisait d’atteindre 20% de la valeur sanitaire maximale pour valoir une interdiction temporaire, aujourd’hui il faut 100%).
AUX ARMES CITOYENS
Savez-vous pourquoi des colorants alimentaires (non PE) dont on a la quasi-certitude qu’ils sont cancérigènes tels que le nitrite de sodium (E250, charcuterie) ou le dioxyde de titane (E171, colorant blanc présent partout) ne sont toujours pas bannis alors qu’on peut s’en dispenser ? Il fut un temps où les vendeurs de tabac payaient des scientifiques et des politiciens pour faire accepter que la clope était sans dangers. Loin d’être révolue, cette pratique est encore très usitée au vu et au su de tous, notamment chez Monsanto pour ses OGM et son Roundup. Les perturbateurs endocriniens fédèrent à peu près tout ce que les couloirs parlementaires comptent de lobbies pour les défendre face aux scientifiques et aux citoyens inquiets pour leur santé. Le débat politique n’est pas neuf, même s’il fait partie des rares thématiques écologiques évoquées brièvement pendant la campagne présidentielle. Ils sont un enjeu de santé publique, écologique, et aussi un business colossal, ce qui vaut à leur réglementation d’être sans cesse retardée avec la complicité des dirigeants européens. En effet, nombreuses sont les industries qui perçoivent comme une contrainte la protection de la santé des consommateurs et des écosystèmes. Parmi ces corporations puissantes, les cosmétiques (phtalates, parabens), l’ameublement (ignifuges bromés dans les retardateurs de flamme, esthers
de phtalates dans le PVC), l’industrie du packaging (bisphénol A,S, F), les industries pharmaceutiques, chimiques et agroalimentaires (pesticides). Il leur faudra pourtant changer parce que les ravages qu’elles produisent sont plus grands qu’elles. L’enjeu de la survie des abeilles est plus important que la prospérité des producteurs de pesticides néonicotinoïdes. L’Europe qui, elle seule, peut faire avancer le dossier est plombée par la commission européenne et ses agences réglementaires (EFSA sécurité des aliments et ECHA produits chimiques). Ces dernières sont souvent larvées de conflits d’intérêts et manquent de transparence dans leurs arbitrages, où un poids étouffant est accordé aux études des industriels anonymes, invérifiables et partisanes. Depuis des années maintenant, la réglementation européenne des PE bute sur la première étape, leur simple définition. Quelles sont les motivations de la commission européenne dont le texte fou (heureusement sans cesse rejeté) verrait seulement deux des centaines de PE actuellement connus définis comme tels, tant le niveau de preuve exigé de leur danger est élevé ? Elle prévoit par ailleurs une dérogation inacceptable pour les pesticides qui seraient justement conçus pour agir sur le système endocrinien des insectes, et ce même s’ils ont des effets collatéraux sur d’autres espèces ! Le kitesurfeur Nicolas Hulot s’est fait décompter 51 PE dans les cheveux, juste avant d’endosser les habits de ministre. Souhaitons-lui de ferrailler avec fermeté et la constance qui le caractérise contre le libéralisme de la commission et de son gouvernement pour la protection de notre santé, de nos spots et de la vie qui les entoure.