PWA Wave
Plus serré que jamais
Qu’il est difficile de rester consistant et d’assurer sa place en 2017 sur le championnat du monde de vagues PWA! Köster, Fernandez ou Iballa Ruano Moreno ne connaissent pas ce genre de soucis, ils ont été à nouveau les meilleurs dans les vagues de Tenerife. Derrière, c’est l’ascenseur au bouton masqué, personne n’est à l’abri d’une contre-performance ou du « one shot » d’un inconnu. Mais pourquoi est-il si dur de maintenir son rang en 2017 ?
À l’image d’un PSG ou d’un Monaco en football, le circuit mondial de vagues de windsurf est dominé en 2017 par deux maîtres de la constance : Philippe Köster et Victor Fernandez. Ici, pas d’effluves de roubles ou de riyals de milliardaires russe ou qatari, juste du talent et une formidable capacité à être excellent, quelles que soient les conditions. Köster a gagné les deux premières épreuves (oui, bâbord side-onshore, et alors ?), et Fernandez est par deux fois son second. Autant dire que le classement en cours ne laisse pas de place au doute, ce sont bien les deux meilleurs compétiteurs en vagues du moment. Derrière, rien ne va plus. N’importe qui, inconnu, gamin, freestyleur, ou pilier local, peut flirter avec le top 10, et éliminer un grand nom.
UN MANQUE DE CONFORT
Les heats sont pourtant devenus bien plus confortables qu’auparavant pour le rideur. Le format des contests de vagues est passé de 8 minutes de heat à 12 ou 15 minutes selon les conditions, les prévisions et le nombre de jours de compétition restants. D’autre part, le nombre de sauts comptabilisés n’est que d’une ou deux exécutions quand un minimum de trois sauts était requis dans les années 2000. L’époque où il fallait se jeter sur tout ce qui passe est révolue. Le compétiteur bénéficie ainsi de plus de temps pour trouver ses rampes et sait qu’il a de la place pour des ratés. Même chose en waveriding, il n’est pas nécessaire de se paniquer sur la première ondulation, la douzaine de minutes permet de sélectionner ses trains de houle. Malgré tout, cette saison, les têtes de séries ont les mollets qui tremblent dès le premier round. Pour Robby Swift, ce format n’est pas encore assez confort : « Il faudrait concourir dans plus de qualité, avec des heats de 18 minutes. Pour cela, les étapes devraient être étendues à 2-3 semaines de période d’attente pour choisir les meilleures conditions, comme cela se fait en surf. Le nombre de compétiteurs a été ramené à 48 inscrits ce qui réduit le timing. Pozo était flat et Tenerife a eu deux heures de bon vent, pour le reste j’ai dû courir en 5.6 et 94 litres. J’avais emmené 9 planches et 9 voiles, je les ai toutes utilisées ! Avec moins de monde, le chef juge ne nous aurait pas envoyés dans ces conditions.»
SE MÉFIER DES GAMINS
Swift a réalisé l’un de ses meilleurs heats à Pozo. Toujours placé dans le top 10 aux Canaries, Robby était attendu à Tenerife. Mais le Britannique voit ses rêves de podium effacés par le jeune Arthur Arutkin dès son premier tour. Arthur, 20 ans, SUPeur tout autant que windsurfeur, possède un niveau tel dans les deux disciplines qu’il participe à la fois au circuit international de SUP (race et wave) et aux épreuves de vagues canariennes de la PWA. C’est notre Kai Lenny national. Le frère d’Alice ne fait pas que participer à la Coubertin, Robby Swift le regrette bien… De la nouvelle vague, il y a aussi Loïck Lesauvage, 17 ans, Julian Salmonn, 19 ans (13e à Tenerife), ou Alessio Stillrich, 22 ans, 6e à Tenerife. Et n’oublions pas un certain Köster qui n’a que 23 ans! Face au déferlement de gamins, il y en a un qui a pris un coup de vieux à Tenerife,
c’est bien l’Anglais John Skye. Les teenagers Marino Gil (15 ans) et Marc Paré (19 ans) n’ont pas eu besoin de référendum pour brexiter Skyeboy du tableau. «Ce sont deux des talents prometteurs de la nouvelle génération. Marino a posé un Air 360 en face de moi, et un magnifique backloop à un pied. Je n’ai pas pu faire mieux. C’est une bonne chose pour le sport, mais j’aurais aimé que Marino s’exprime contre quelqu’un d’autre! Idem pour Marc qui finit dans le top 10», commente avec clairvoyance Skye. «Le niveau a changé. J’ai tout au long de ma carrière baigné dans le top 8-16 sans avoir à me poser de questions. Battre le top 8 a toujours été difficile et cette situation n’a pas évolué. En revanche, il y a maintenant des rideurs qui poussent fort en milieu de flotte. Les positions 8-30 sont bien plus serrées qu’avant».
LOCAL BOY
Bien plus que des gamins, il faut redoubler de prudence face à un gars du cru. À Tenerife, il y a Adam Lewis. D’accord, ce nom ne sonne pas très canarien, mais il n’est pas le seul si l’on fait référence à Köster ou à Bruch. À la différence de ces derniers, Lewis n’est pas né aux Canaries, il n’y a pas vécu son adolescence.
Adam fait pourtant partie des «locals» d’El Medano. Ce Britannique méconnu réside à Tenerife depuis une dizaine d’années, largement de quoi lui donner le statut de pilier du spot. Très stylé, Lewis se balade dans la zone 15-25 du classement PWA de vagues. Il est le contre-exemple type de la constance, à l’opposé du duo Köster-Fernandez, mais la connaissance du spot d’El Medano lui donne un net avantage pour savoir où se placer et quelle vague sélectionner au surf. Avec son allure de gendre idéal et son look de rameur sorti d’un duel Oxford-Cambridge, Adam vient de réaliser la meilleure performance de sa carrière, 5e à Tenerife, après avoir battu Browne dans la simple élimination. L’ex-champion du monde brésilien aura malgré tout sa revanche dans la double élimination, mais que son chemin est parsemé d’embûche pour viser la tête du championnat!
LE BLOCAGE BRAWZINHO
Sublime à l’entraînement, capable de double forward au surf dans le warm up, Browne peine à percer le bloc du top 3 dès que les yeux des juges sont rivés sur lui. Browne, seulement 4e, nous livre son explication : « Les waverideurs du top 20 ont fait un large bond en avant. Dès le premier tour, le niveau n’a jamais été aussi compétitif, et si l’une des têtes de série ne se méfie pas, ou ne trouve pas les bonnes vagues, elle peut facilement perdre. La prestation offerte sur un heat doit être complète : on ne peut plus se reposer sur un bon double loop et un bon surf. Il faut un second gros saut et une seconde bonne vague en renfort. Il est difficile de rejoindre la finale si tes scores moyens ne sont pas au-delà des 8 points. Nous sommes parfois amenés à concourir dans des conditions pauvres. C’est dû à la courte période d’attente sur chaque spot. Sur ces jours, la part de chance peut jouer. Il faut être prêt à tout. À Tenerife, sur la même journée, j’ai dû utiliser des
« LES WAVERIDEURS DU TOP 20 ONT FAIT UN LARGE BOND EN AVANT. DÈS LE PREMIER TOUR, LE NIVEAU EST TRÈS COMPÉTITIF. » Marcilio Browne
voiles de 3.7 à 5.5. L’expérience joue aussi sur la connaissance d’un spot. Tu apprends à connaître les humeurs du vent en fonction des marées, de l’heure, etc. Le champion du monde devrait être capable de rider du down the line parfait au minuscule onshore light, tribord et bâbord. Je pense qu’il faut accepter d’avoir des épreuves ayant de pauvres conditions, mais il ne faut pas que le circuit se limite à ça. Le championnat actuel possède de bonnes épreuves (Gran Canaria, Tenerife, Sylt, Maui), mais il nous faut une plus grande variété de conditions pour offrir un titre complet et juste».
LE SECRET : LA RÉGULARITÉ TOUT TERRAIN
Sur le podium, trois habitués indéboulonnables se retrouvent, Mussolini, Fernandez et Köster. Mussolini combine régularité métronomique et connaissance du spot pour prendre la 3e marche. Le double loop lui fait défaut, c’est ce qui l’empêche d’aller plus haut. John Skye explique : « Pour accéder aux finales, il faut posséder un bon double (forward), bon en qualité et en fréquence d’exécution, même quand le vent est léger. Seuls Philip, Victor, Brawzinho et Campello en sont capables. Après, il faut être consistant à tout moment. Un mec comme Alex Mussolini passe neuf 360 sur dix, vous pouvez être garanti d’en voir 2 ou 3 par heats. Même chose avec Victor Fernandez, il n’est pas le plus radical, mais il est la définition même de la régularité. Dès le pavillon vert, vous savez que Victor va remplir sa feuille de notation de manoeuvres parfaitement exécutées et ses vagues
auront un mix de ce qui est nécessaire pour marquer de gros points. Le double loop est essentiel si on veut aller loin. Mon double est pourri, je peux en passer 6 sur 10 avec des conditions idéales. Ce n’est pas assez. Il faut monter les stats à 9/10 et quelles que soient les conditions. Philip peut le faire à partir d’un clapot en 5.7! C’est la raison pour laquelle il est déjà 3 fois champion du monde à 23 ans. Victor est de la même veine. Mussolini pourrait les rejoindre si seulement il possédait le double. Il serait lui aussi 2-3 fois champion du monde au lieu d’être l’éternel second».
DES RIDEURS TRANSGENRES
Avec un tableau ouvert à 48 compétiteurs, de plus en plus de freestyleurs tentent leur chance en vagues. Comme le mentionnait Xavier Huart dans les années 2000, « le freestyle est pour les ados, les vagues pour les hommes». Cette citation prend tout son sens avec la mutation des freestyleurs en fin de carrière en waverideurs, transition logique vu la dextérité innée de ces marionnettistes. Kauli Seadi fut le premier à brillamment franchir le pas pour devenir champion du monde de vagues. Tous n’ont pas rencontré ce succès, Tonky Frans en est un exemple, s’il maîtrise les airs en jumps, le pilotage de son aileron au surf reste un mystère. Deux autres grosses pointures ex-champions du monde de freestyle, Ricardo Campello et Marcilio Browne, ont toute la fougue, l’expérience et une farouche volonté pour atteindre la place de numéro1 en vagues en fin d’année. Gollito Estredo, après s’être fait refouler à l’entrée du contest de Gran Canaria (le comité des coureurs avait refusé de lui attribuer une wild card par peur de prendre une gifle dans les conditions ouvertes de Pozo), a fait ses débuts en vagues à Tenerife. Venant d’une autre culture, la maîtrise de ses tricks lui permet de pimenter son waveriding, et le double loop est déjà acquis. Avant lui, Dieter Van Der Eyken, freestyle world champion 2015, a fait le choix de mêler les deux disciplines, avec de belles prestations puisqu’il pointe à la 15e place mondiale en 2016. Plus récemment, à Tenerife, le freestyleur néocalédonien Antoine Albert s’est permis de battre le waverideur Graham Ezzy : Y’a plus de respect ma p’tite dame, le statut social de waverideur prend une belle claque ! Comme quoi, la sécurité de l’emploi touche aussi le windsurfeur pro.