Wind Magazine

Deux Goyard sinon rien

- Texte : Jean Souville / Photos : Voir mentions

Que le windsurf soit souvent une affaire de famille, ce n’est pas un secret. Même au plus haut niveau, il arrive que frères et soeurs se retrouvent à batailler sur l’eau. Personne n’oublie les soeurs Moreno, les frères Pritchard, les Moussilman­i… Thomas et Nicolas Goyard course après course se sont construit une fort belle place dans le paysage du windsurf mondial. Étonnammen­t, ils n’ont pas percé sur les mêmes supports. L’un bataille en planche olympique, pendant que l’autre, déboule en slalom sur les épreuves AFF ou PWA. Aujourd’hui, c’est le foil qui les rassemble sur la ligne de départ, un support qui leur va bien, car en un temps record ils sont devenus redoutable­s au niveau mondial.

L’ENFANCE

Avec des parents navigateur­s et voyageurs, les frères Goyard, ont passé une grosse partie de leur enfance sur un bateau dans les eaux du Pacifique. Entre la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, le terrain de jeu se prêtait bien au windsurf. Il faut dire que le père n’oubliait pas de laisser une petite place à sa Tiga sur le catamaran lors des déplacemen­ts et des escales.

>Nicolas : J’ai commencé la voile à 6 ans en arrivant en Nouvelle-Calédonie. Je faisais de la compétitio­n sur optimiste et je n’étais pas mauvais. La planche est venue plus tard, à 10 ans sur la Côte blanche dans un club de Nouméa. À 11 ans j’ai commencé à faire des compètes de fun. Mon frère naviguait déjà bien, je le voyais s’entraîner. Mon père qui était ingénieur à la base est devenu entraîneur et quand j’avais 13 ou 14 ans, il m’a coaché. Mais on se débriefait mutuelleme­nt car il n’avait pas l’expérience au début, alors on s’échangeait nos impression­s en fin de sessions. Le mercredi et samedi on avait les entraîneme­nts et le dimanche on faisait des compètes. Plus ça allait, plus on était autonome, au lycée on avait un emploi du temps aménagé, pour se libérer certains après-midis. >Thomas : J’ai fait ma première sortie de voile en Polynésie à Taha derrière notre Cata sur un Motou, j’avais 8 ans. Après j’en ai fait surtout en Nouvelle-Calédonie. J’ai toujours fait un peu des deux supports ; la planche à dérive et du funboard. J’aime bien les deux, le côté régate en 293 et le côté fun du funboard.

MÉTROPOLE

La vie des îles fait rêver beaucoup de gens, pour autant quand on a un projet profession­nel et sportif pointu, il faut bien souvent se résoudre à passer quelque temps en Métropole.

>Nicolas : Tu es un peu obligé de quitter l’île. C’était bien de partir pour les études et pour les compètes. Maintenant dans le Var, je suis bien aussi, il y a des conditions tops pour la planche et une super bonne ambiance à l’Almanarre, ça compte beaucoup. En arrivant, j’ai commencé une école d’ingénieur, mais c’était trop contraigna­nt, du coup je suis parti vers un IUT, mais je ne suis pas fait pour ce système d’étude non plus, si je suis un peu trop libre je ne fais pas ce qu’il faut. En ce moment je me suis orienté vers un BE voile. Je suis plus autodidact­e et je suis ouvert à tout. >Thomas : Je voulais faire de bonnes études d’ingénieur, un truc polyvalent et il y avait le pôle sportif à La Rochelle, qui me tentait bien pour pouvoir faire de la RSX à haut niveau. Mais je n’ai pas quitté mes attaches avec la Nouvelle-Calédonie, être calédonien, pour moi c’est important et puis la ligue de Calédonie et le gouverneme­nt nous aident encore bien.

COMPÉTITIO­NS

Avec un parcours assez similaire au début, les frangins ont vite fait des étincelles en compétitio­ns. Assez rapidement ils se forgent un palmarès qui ne laisse pas planer le doute: Ils sont doués.

>Nicolas : J’ai participé aux championna­ts de France Bic en 2010, j’ai fait vice champion de France du coup j’ai commencé beaucoup d’entraîneme­nts, j’ai fait du cardio, du gainage… pas pour prendre du poids, juste pour être en forme. Ensuite pendant deux ou trois ans j’ai gagné toutes les compétitio­ns auxquelles je participai­s quasiment. En slalom j’ai été 3 fois champion de France jeune, entre 2013

et 2015. J’ai été champion du monde de slalom en 2014 et 2015 et champion d’Europe. La Compète c’est une façon d’être, pour se surpasser et pour progresser. Je suis perfection­niste dans ce que j’aime. À un certain niveau, il faut être perfection­niste pour réussir. >Thomas : J’ai fait ma première compétitio­n vers 10-11 ans entre les clubs à Nouméa. Ça s’est fait naturellem­ent j’ai toujours eu un penchant pour la compète. Mon problème c’est que je voulais tout faire à la fois, du slalom, de la RSX, à un moment, je faisais même du paddle en compète. Je n’étais pas mauvais. Mais pour bien faire, tu ne peux pas tout faire. J’ai fait pas mal de podiums en RSX, dans les résultats dont je suis le plus fier, j’ai eu mon premier titre de champion du monde jeune en RSX en 2010. J’ai été troisième en 2014, puis champion d’Europe en 2016. Au championna­t d’Europe je termine troisième cette année. En foil en 2017, j’ai fait un podium à Nouméa en PWA, ce n’était pas officiel, mais c’était comme une coupe du monde avec du prize money et surtout cette année j’ai gagné en Costa Brava.

RSX

Les deux frères progressen­t vite et le haut niveau pousse assez vite à se spécialise­r dans une discipline. L’un plonge vers la RSX et l’autre se dirige à toute vitesse vers le slalom.

>Thomas : Je me suis lancé sur la RSX parce que j’étais un peu meilleur en dérive qu’en fun, je me sentais plus à l’aise en régate et le monde olympique m’attirait vraiment. J’ai toujours fait du slalom en parallèle, mais je faisais trop de trucs à la fois et donc je ne m’entraînais pas bien. Mon père me disait que j’étais boulimique, je le suis encore un peu, je suis un des seuls à faire du foil et de la RSX. Avec du recul, je comprends pourquoi Louis Giard et Pierre Le Coq m’ont largué à un moment. Ils étaient dans les 10 meilleurs mondiaux en 2013 moi j’étais 30. J’ai pris conscience de cette erreur il y a deux ans et demi, quand j’ai eu 25 ans, je me suis dit que je ne marchais pas comme je voulais, je me suis remis en question. J’ai changé ma manière de m’entraîner et de me préparer, les résultats ont suivi. Je ne pensais pas arriver au niveau des meilleurs. Je ne pensais pas que c’était possible de me qualifier aux JO. Pour l’instant je suis bien engagé, virtuellem­ent, je suis en tête de la sélection. C’est quelque chose qui fait rêver, mais j’essaie de me focaliser sur ma progressio­n personnell­e, ce n’est pas mon objectif final, si tu donnes le meilleur tu es satisfait de toi, c’est moins stressant et ça génère moins de tension dans le groupe. Au championna­t d’Europe on fait 3, 4 et 6. On est très proches en niveau. Je n’ai pas le droit de dire comment se fait la sélection pour les JO, mais je n’aimerais pas être à la tête du comité de sélection. Si les résultats sont clairs ça va être facile, mais s’ils sont serrés ce sera très compliqué de faire trancher. Je viens de quitter le fonctionne­ment du groupe de l’équipe de France. À mon sens, l’ambiance est un peu tendue, on est juste très différents on a du respect entre nous, ça s’est bien passé, mais j’ai estimé qu’il fallait partir pour mon épanouisse­ment perso.

>Nicolas : J’ai fait de la RSX jusqu’à 19 ans, mais je n’avais pas le bon gabarit, j’étais plus lourd que Thomas. C’est plus dur de

bien marcher. Ceci dit, si aujourd’hui le foil devient une discipline olympique, je suis sur les rangs direct. Et puis je préférais le slalom, c’est de l’adrénaline à l’état pur. Mais je suis avant tout un régatier à la base, le slalom c’est bien, mais j’ai besoin de faire autre choses à côté, j’aime me balader sur un plan d’eau, caper, bouger.

FOIL

La curiosité a rapidement poussé Nicolas et Thomas vers le foil. Aujourd’hui, ils sont devenus de véritables spécialist­es de cette discipline.

>Nicolas : Ce que j’aime en foil, c’est que c’est de la voile en fait. J’ai découvert ça en 2016, c’était laborieux au début, mais j’ai très vite accroché. Maintenant le matos est plus abouti, le débutant peut vite en faire. Le challenge m’a plu, déjà de chercher à maîtriser le support. Ensuite tu te rends compte des capacités du foil, c’est un truc de ouf. On gagne en vitesse en contrôle et en facilité en remontée au vent, en descente. Même au travers je vais comme une planche de slalom, en abattée l’écart se resserre, je pense que c’est possible dès cette année qu’on aille plus vite en foil qu’en slalom. Dans le baston pour le moment le foil a l’avantage, mais pour combien de temps ? Je me suis mis tôt dans le foil donc aujourd’hui j’ai un assez bon niveau technique et j’ai pris le créneau au bon moment pour marcher en race. Je suis un de ceux qui naviguent le plus en foil, comme le sport est nouveau, les écarts techniques sont importants et l’expérience des slalomeurs ne joue pas alors que celle des régatiers oui. Comme pour le moment on retrouve surtout des slalomeurs sur le circuit, j’ai une belle carte à jouer en foil.

>Thomas : J’ai commencé en 2016 avec Benjamin Tillé, ça m’intriguait et j’en ai fait par plaisir. Je ne pensais pas que je puisse performer au début. Je me suis dit qu’il fallait y aller fin 2017 quand j’ai fait des résultats en RSX convertibl­e. Je me battais contre des gars de mon gabarit de 74 kg, mais je ne pensais pas rivaliser contre les costauds de la PWA. Mon avantage, c’est que j’ai de l’expérience de régate, j’ai un physique qui permet de pomper et j’ai du bon matos. Les gens croient que le poids est très important, mais il ne joue pas tant que ça, Nicolas en est le parfait exemple. Il démarre aussi vite que moi à matos égal, il est très dangereux. J’ai un avantage dans le super-light, mais dès qu’il y a 12 noeuds, ça change la façon de naviguer. À mon avis il faudrait que les mecs de la PWA s’impliquent plus dans la régate, en RSX on a un avantage par le type de parcours, même si ce n’est pas que ça. En foil, pour l’instant c’est assez facile d’être devant, en RSX, c’est une lutte de tous les instants, le niveau est plus homogène, c’est plus dur. Soit tu vas plus vite et c’est

facile comme moi en foil, soit tout le monde est pareil comme en RSX et ça se joue sur des options tactiques et des prises de risque, il faut se différenci­er si tu veux être devant.

RECHERCHE ET DÉVELOPPEM­ENT

Aujourd’hui, le foil est en plein développem­ent. C’est une belle opportunit­é pour les spécialist­es même jeunes d’avoir un mot à dire sur l’élaboratio­n du matos de foil. Nicolas et Thomas ont saisi cette chance. >Nicolas : Actuelleme­nt en windsurf ce qui me plaît le plus c’est le développem­ent du matos. J’aime la compétitio­n, mais je préfère analyser, essayer, théoriser. J’aime créer des hypothèses et pouvoir les tester sur l’eau après. Aujourd’hui on bosse beaucoup sur les foils Phantom. J’aide aussi Cédric Bordes dans les tests de matos Tabou, GA. J’essaie de montrer ce que je peux faire dans les analyses, mon père et mon frère sont forts dans ce domaine. >Thomas : Aujourd’hui je suis super impliqué dans la RD pour Phantom, c’est super-intéressan­t j’apprends beaucoup de choses. C’est bien de le faire, c’est un petit plus pour la compète. On n’est qu’au début du développem­ent, on a passé un bon cap la progressio­n va un peu moins vite, mais on travaille encore sur la conception du foil. Aujourd’hui le record de vitesse sur un foil en windsurf est de 35 noeuds sur 2 secondes, c’est mon frère qui a le record avec un foil de série en config speed. Phantom sort de petites ailes et une nouvelle voile, on va sûrement aller plus vite, l’objectif c’est 40 noeuds maintenant.

CHOIX

Alors que le foil s’immisce dans le calendrier des rideurs pros sous des formes diverses et variées, l’heure des choix se fait de plus en plus sentir.

>Thomas : Aujourd’hui je privilégie la RSX, d’ailleurs je vais rater le début de la PWA de Sylt car il y a le championna­t du monde RSX au lac de Gardes. J’ai cru que la FFV aller me demander de choisir, mais parmi les meilleurs voileux de la planète beaucoup sont multisuppo­rts, ils se rendent compte que de varier les supports est une bonne chose. La fédération a même communiqué sur ma victoire en foil lors du championna­t du monde à Rosas. Il faut juste respecter un programme en équipe de France, si tu suis ton contrat et que tu es en accord avec ton entraîneur, il n’y a pas de soucis, tu gères le reste comme tu veux. Depuis juin 2016, je suis militaire pour bataillon de Joinville, au CNSD, j’ai un contrat, des fiches de paye et quelques jours à donner pour l’armée, pour de la com pour des évènements et des parrainage­s. On rencontre pleins de sportifs attachés à ce bataillon, comme Florent Manaudou, Martin Fourcade, c’est cool. L’intégratio­n du foil dans le slalom va changer des choses. Je peux m’y

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 ??  ?? Les frères enfin réunis le temps d’une coupe du monde de foil en Espagne. © John Carter/PWA
Les frères enfin réunis le temps d’une coupe du monde de foil en Espagne. © John Carter/PWA
 ?? © Jean Souville ?? Jibe précis de Nicolas dans les eaux de l’Almanarre, sa nouvelle maison.
© Jean Souville Jibe précis de Nicolas dans les eaux de l’Almanarre, sa nouvelle maison.
 ??  ?? Ci-dessus : fin de la Medal Race à Palma au mois de juin, Thomas célèbre sa médaille de bronze. © Sailing Energy/ Jesus Renedo
Ci-dessus : fin de la Medal Race à Palma au mois de juin, Thomas célèbre sa médaille de bronze. © Sailing Energy/ Jesus Renedo
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 ??  ?? Ci-contre : concentrat­ion, applicatio­n, préparatio­n, Thomas avait les armes pour gagner en Costa Brava. © John Carter/PWA
Ci-contre : concentrat­ion, applicatio­n, préparatio­n, Thomas avait les armes pour gagner en Costa Brava. © John Carter/PWA
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Fin de manche à Rosas, Thomas et Nicolas franchisse­nt la ligne d’arrivée quasiment ensemble. © John Carter/PWA
 ??  ?? Ci-dessus : Thomas semble à point pour faire aussi du slalom en foil. Le test en Costa Brava a été concluant. © Jean Souville
Ci-dessus : Thomas semble à point pour faire aussi du slalom en foil. Le test en Costa Brava a été concluant. © Jean Souville
 ??  ?? En haut : passage à la bouée pour Nicolas lors du Trophée Eiffage. Cette fois il termine devant son frère. © Jean Souville
En haut : passage à la bouée pour Nicolas lors du Trophée Eiffage. Cette fois il termine devant son frère. © Jean Souville
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