Wind Magazine

Jaeger Stone en mode démo

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Dans la vie, certains moments restent gravés pour toujours dans un coin de la tête, des images résistent, traversent le temps sans perdre une seule couleur, un seul détail, elles ne s’estompent pas, et parfois s’embellisse­nt même avec le temps. Le moment qu’elles décrivent est la résultante d’une intensité telle qu’il est impossible de les faire passer à la trappe, de se détacher de l’empreinte qu’elles ont marquée. Ces moments sont parfois si marquants qu’une seule chose va permettre de les faire passer en second plan : vivre quelque chose de similaire avec un degré d’intensité en plus, pour que cette éternelle image centrale soit remplacée par une nouvelle encore plus viscérale, véritable source de rêve pour le million d’années à venir. Ce sont ces images qui transcende­nt véritablem­ent, qui poussent sans cesse à chercher “Plus Loin”. pour remplacer, si possible, cette image d’une intensité inouïe par une autre qui mène encore plus loin dans les profondeur­s infinies du paroxysme. Certains sont à la recherche de ces moments toute leur vie, alors quand la nature s’accorde, la mélodie devient merveilleu­se. Voici le récit détaillé d’une image remplacée chez Jaeger Stone et Scott Mc Kercher quelque part à l’ouest de l’Australie sur le 26e parallèle, au large, sur un reef qui ne fonctionne que très rarement !

LE PLAN SCOTT

“Ça fait maintenant plus de 10 ans que je n’ai pas abandonné l’idée d’y retourner. Retourner sur une des plus belles vagues de wavesailin­g du Monde. Comme il était écrit sur le bus de Ken Kesey dans les 60’s, il fallait aller “Plus Loin”. Il y a 13 ans, nous sommes arrivés sur une plage sans se douter une seule seconde de ce que l’on y trouverait. Une seule photo encadrée dans mon salon de cette incroyable session me rappelle sans cesse une seule chose: il faut que j’y retourne. Une fois que la houle avait diminué, nous avions rejoint un ami qui possédait un minuscule bateau en aluminium, il nous avait emmenés dans cette région où les reefs au large sont nombreux. Quelque temps plus tard, je faisais l’achat d’un petit zodiac pour le foil tracté, j’avais bien évidemment en tête ces reefs excentrés. Cette petite machine à surfer n’était pas trop lourde à remorquer ou à hisser sur la plage. Dès qu’une fenêtre météo s’est ouverte pour faire cap au nord alors que Jaeger et Mathias étaient prêts, j’ai voulu aller “Plus Loin”. Ça faisait si longtemps que j’y étais allé, autant de temps que je voulais y retourner, et cette fois-ci, j’avais en plus ce petit semi-rigide! Les gars avaient quelques interrogat­ions au sujet de ce trip, se demandant s’il ne valait pas mieux abandonner, j’ai dû les appeler par quelques jolis noms pour qu’ils arborent un sourire révélateur. Ce que je leur ai dit a dû les piquer à vif, ils ont directemen­t accepté de me suivre.”

MATHIAS

“On y va?!” C’est la question que nous nous sommes posée sur notre groupe WhatsApp qu’on a surnommé “frothers”. Finalement, c’est Scott qui a appelé. “Aller les gars, on va toujours à Northampto­n, essayons quelque chose de différent…” Quelque chose de différent… Je venais à peine de terminer une mission boulot de 24 heures que Jaeger m’attendait chez moi pour faire cap au nord. Scott était passé plus tôt dans la journée avec la remorque et le bateau. Nous nous sommes calés pour que l’on arrive tous plus ou moins à la même heure. Lors du départ, le temps était très orageux, comme un front hivernal, avec un vent offshore puissant et glacial. Pas réellement glacial, mais suffisamme­nt froid pour que l’on enfile un pantalon ! On a conduit en direction de Northampto­n où l’on a l’habitude de naviguer et on savait que les conditions seraient dantesques. Continuer à conduire vers l’inconnu n’est pas évident quand tu viens de voir une vague complèteme­nt dingue. Aux alentours de minuit, Jaeger et moi étions bien fatigués après avoir épuisé l’album de Parkway drive et évité une douzaine de kangourous… On ne pouvait pas continuer dans ces conditions sans prendre de risques. Nous nous sommes donc garés sur un parking au bord de la route, avons déroulé les sacs de couchage et essayé de dormir un peu. La petite surprise, c’est que ce fameux parking accueillai­t également les insectes les plus bruyants du monde ! À l’aube on n’en pouvait plus, et pour couronner le tout, on s’est rendu compte qu’on rangeait nos lits à moins d’un mètre cinquante des toilettes écologique­s du parking. En fait, ces grillons ultrabruya­nts étaient bienheureu­x toute la nuit durant, à se délecter de matière fécale! Quand nous sommes arrivés, Scott était déjà là, frais comme un gardon, après avoir dormi dans un lit queen size dans son bus de 8 m de long ! La prochaine fois, je signe ! La nuit précédente dans les toilettes a bien changé ma vision du van… J’en achète un direct !”

JOUR 1 JAEGER

“Quand on est arrivé, je n’arrivais pas à croire à quel point le spot était loin. Je savais que c’était au large mais, pas autant que ça ! Le bateau de Scott était déjà à l’eau, alors qu’on descendait avec notre matos, deux filles nous ont demandé si nous allions y aller à la rame… Encore une occasion ratée de passer pour un héros en disant oui ! Une fois arrivés, au line-up, je n’arrivais pas à croire à quel point les conditions étaient parfaites. J’ai immédiatem­ent su que je ferai tout ce que je peux pour revenir. Ce premier de jour de nav’ était tellement parfait que je n’en reviens toujours pas. Il m’a fallu une à deux vagues pour me caler et avoir le bon timing par rapport à la vitesse et la puissance du swell, mais une fois réglé, il est clair et net que le voyage en valait la peine ! C’était la vague

dont j’ai toujours rêvé. Rien ni personne aux alentours, une vague rapide et puissante, un bol parfait. Je pense que mon meilleur souvenir est la manière dont on pouvait rider. C’était propre, soigné, un surf down the line sans avoir besoin de tracer de longues lignes droites pour courir après une section qui ferme. Les turns étaient courts, rapides, aiguisés, avec au moins trois tops turns d’en haut jusqu’en bas de la vague ! Une expérience que je ne crois pas avoir déjà vécue auparavant.”

SCOTT

“En 1987, avant que Mike Galvin et moi-même fassions notre voyage inaugural dans le Nord, nous avions vu quelques images de pionniers Australien­s qui venaient rider cette vague. Ils étaient face au spot, mais ne pouvaient pas aller dans l’eau à cause d’un gros requin-Tigre qui rôdait sur le line-up. Évidemment, impossible que cela se produise encore de nos jours, mais à l’époque, ils avaient posé une ligne et pêché le monstre marin qui était la terreur du coin. Ils avaient fièrement traîné la bête sur la plage, elle était plus longue que leur Pajero. Une fois le bateau hors de l’eau avec une bière à la main, c’était une super sensation que d’avoir partagé cette première session avec Jaeger sur ce spot excentré. Tout le monde avait maintenant les pensées tournées vers la prévision de houle qui annonçait un swell grossissan­t pour les jours suivants. Qu’est-ce que la houle va réellement donner ici au nord? C’est un peu la question que l’on se posait tous! L’autre question concernait le vent, jusqu’où va-t-il rentrer? Beaucoup de questions sans réponses pour cette première journée.”

JOUR 2 SCOTT

“Finalement, la houle est arrivée comme prévu, et quand le vent offshore a cessé de hurler aux alentours de midi, je me suis glissé dans l’eau pour prendre quelques vagues en SUP. J’en ai attrapé quelques-unes avant qu’un calme suspect ne survienne. Était-ce à cause de la marée haute ? Était-ce simplement une accalmie? C’est une côte très particuliè­re et nous étions face à des conditions glassy alors que je voyais une bande de vent plus au large. Après quelques instants à patienter, nous avons remonté la côte pendant environ 15 minutes. On était en 4,7 et avons trouvé quelques bonnes rampes pour décoller. Le vent avait-il atteint la côte plus au sud maintenant? Nous sommes redescendu­s pour voir, mais toujours pas, le vent ne rentrait pas si bas. J’ai alors décidé de monter mon SUP Foil alors que Jaeger a préféré retourner vers le vent pour chercher quelques rampes. Mais… à peine il avait atteint le spot que la marée était au plus bas et que les vagues avaient disparues. Il est évidemment revenu très vite alors que j’étais en train de partir foiler et m’a tout de même prévenu que le vent était suffisamme­nt rentré pour une petite session de wave sailing en StandUp. Jaeger m’a donc suivi et finalement le vent est vraiment rentré là où nous voulions naviguer, mais c’était un petit peu tard pour aller totalement à l’extérieur du reef, nous sommes donc restés à l’inside. C’était vraiment sympa, mais la houle est retombée, et ce pour quoi nous étions venus n’est pas arrivé. Difficile d’être déçu après ce genre de petite nav’ à la cool, surtout quand après la session on se retrouve face à l’une des plus belles vues que l’on puisse trouver, bière à la main, barbecue en marche. Mais il nous manquait quand même quelque chose de bien précis… Les étoiles n’étaient peut-être pas alignées… Après de longues délibérati­ons à savoir s’il fallait qu’on retourne au boulot le lendemain ou non pour trouver ce que l’on cherche, la décision était prise. Une journée de plus où nous allions retourner où nous étions le premier jour !”

JOUR 3 MATHIAS

“Le troisième jour, la houle était encore au rendez-vous. Le vent offshore était en revanche encore plus fort que la veille. Il arrive fréquemmen­t que le vent de mer et le vent de terre s’affrontent laissant ainsi la barre bien au large… Le reef étant très éloigné de la côte, nous espérions que peut-être cela n’aurait pas d’incidence… Nous sommes donc allés jeter un coup d’oeil au spot avec Scott, mais même au large, pas le moindre signe d’une brise de Sud. Il y avait de gros mouvements d’eau au pic et quand nous avons atteint le break, certains sets offraient des tubes solides. Nous étions dans le petit zodiac, dans la zone de break et venions de voir passer un set sorti de nulle part. Scott me lance “on est vraiment arrivé jusqu’ici?!”, je lui réponds “Yep !” et on s’est mis à éclater de rire tellement nous étions dans une situation insolite, avec ce petit bateau au milieu de si grosses vagues. Nous sommes retournés sur la plage et avons discuté pour savoir si nous allions surfer quelque part ou si nous attendions que le vent

rentre. Nous avons finalement décidé d’attendre ici. Si on avait seulement quelques heures dans les mêmes conditions qu’il y a deux jours, on ferait tout pour y être. Quelques heures plus tard, toujours pas de signe de vent…”

JAEGER

“On ne voulait pas prendre le risque de manquer le Graal. J’ai donc passé mon temps à admirer le paysage, à suer dans ma combi, me battre avec les mouches, étant de plus en plus sûr que la journée finirait ainsi à chaque heure qui passait. À 14 heures, comme si quelqu’un avait mis le ventilateu­r en marche, le vent est pourtant arrivé. Quelques minutes plus tard à peine, j’allais à l’eau plein d’entrain. En 10 minutes j’étais déjà au line-up! C’était gros, très gros et à première vue ça semblait plutôt imprévisib­le. Rien à voir avec le premier jour. Je ne me sentais pas vraiment à l’aise d’ailleurs, mais naviguer avec Scott me fait pousser des ailes! J’ai pris une première vague qui m’a découpé juste après le bottom, j’ai eu beaucoup de chance en réussissan­t à m’échapper sans casser mon seul et unique mât de 370. En réalité, j’avais préparé un mât de rechange, dans le bateau, mais je ne sais par quelle diablerie, il est tombé à l’eau et a disparu sur-le-champ! Donc si jamais vous voyez quelqu’un pêcher avec un mât carbone Severne de 370 en Western Australia, tenez-moi au courant ! Cette première vague m’a permis de jauger les vagues qui ne cassaient pas proprement sur le reef, à partir de là, tout m’a paru limpide. Il y avait d’un coup tellement de vagues parfaites, comme le premier jour, mais plus grosses, plus risquées, plus engagées. J’ai ridé tant de vagues magiques que j’en riais seul

tellement je m’éclatais, tellement il était possible de fracasser sur des vagues absolument parfaites.”

SCOTT :

“Les deux Matt’ (Matthew Ruthven et Mathias) pilotaient le bateau et faisaient des images alors que Jaeger et moi étions seuls sur un line-up désert, au large, au milieu de nulle part. Clairement un moment Corona ! (Rires) Un autre windsurfer est descendu là où nous étions la veille en pensant que les conditions du jour étaient trop grosses aujourd’hui sur ce reef. En effet, les conditions pour surfer étaient très difficiles, car lors des gros sets, les vagues étaient très rapides et passer les sections demandait de la vitesse, mais en windsurf, ce n’était pas un problème. Il était facile de prendre de la vitesse et passer les sections les plus rapides. Les plus grosses n’étaient pas les meilleures… Les plus jolies étaient clairement les moyennes qui venaient parfaiteme­nt s’enrouler sur le reef et formaient une section intérieure incroyable. Jaeger était à la pointe, à chaque fois que je jetais un oeil sur lui, il s’envolait sur un aérial ou poussait si fort ses ailerons au-dessus de la vague qu’il faisait pleuvoir de sacrés spray derrière lui! Pour ma part, j’ai mis du temps à me synchronis­er sur le timing de la vague, mais quand j’ai fini par trouver la petite connexion entre l’inside et la pointe… C’était simplement le bowl le plus parfait dans lequel j’ai pu placer mes rails depuis longtemps ! Du pur rail to rail engagé. Quel flow ! Pour être honnête, mon corps n’est pas dans sa meilleure forme en ce moment, la deuxième opération de hanche du côté droit me donne du fil à retordre! Avec la douleur en tête, mon cerveau me dit régulièrem­ent stop face à la lèvre quand il s’agit de s’envoler sur un air à la réception violente et incertaine. C’est le moment où le corps dit stop. Je vieillis, je dois l’accepter, cela devait être la leçon à tirer. (It is what it is, c’est la vie). Mais c’était tout de même encore une journée absolument parfaite !”

MATHIAS :

“Quand on est rentrés à terre, on a trouvé seulement deux bières fraîches pour quatre. Après ce genre de session, ça n’allait pas être suffisant pour redescendr­e ! Nous avons donc pris la route pour trouver un endroit où l’on pourrait trouver quelques bières ! Après 100 km, on a trouvé de l’or. Je crois que je n’ai jamais vu Jaeger siffler une bière si vite, quand j’y repense, ce n’était pas un vrai cul sec, mais ça n’en était pas si loin! On a tous envoyé des tonnes de messages WhatsApp à Ben Severne pour lui parler de cette session incroyable: “Ben si tu lis ce message, j’ai peur de t’annoncer que tu viens de rater quelque chose de grand!” Ben allait pour la cinquième fois en Europe pour le boulot en six semaines ! Ce trip a vraiment été une grande réussite. Malgré le manque de sommeil, les heures à attendre le vent, les coups de soleil, on a tout de même pris de grands shots de sérotonine mélangés à quelques Pale Ale… Une fois de retour à la maison, l’hiver que l’on venait de quitter s’était transformé en été. Nous avons navigué les quelques jours suivants sur notre home spot dans des conditions aussi proches de la perfection. Je pense que nous ne prenons pas de risques en disant que nous avons ramené l’été avec nous, et que cela a officielle­ment lancé la saison 2019-2020 en Western Australia !”

 ??  ?? Jaeger Stone au bottom sur le spot de Ninesy sur le 26e parallèle. De son propre aveu sur cette session il terminait ses vagues “en riant tellement elles étaient parfaites et permettaie­nt de tout faire !”
Jaeger Stone au bottom sur le spot de Ninesy sur le 26e parallèle. De son propre aveu sur cette session il terminait ses vagues “en riant tellement elles étaient parfaites et permettaie­nt de tout faire !”
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 ??  ?? En haut : Jaeger, Mathias M, Scott et Matthew R, l’équipe de choc pose avec le semi-rigide et le van « grand luxe » de Scotty !
Ci-dessus : Quand c’est glassy comme ça, au bottom turn, les rails de la planche rentrent dans l’eau comme dans du beurre.
Page de droite, en haut : Jaeger dans l’un des off the lip dont il a le secret sur ce fameux outside reef.
Page de droite, en bas : Scott McKercher a de beaux restes, il n’a pas été champion du Monde PWA de vagues pour rien.
En haut : Jaeger, Mathias M, Scott et Matthew R, l’équipe de choc pose avec le semi-rigide et le van « grand luxe » de Scotty ! Ci-dessus : Quand c’est glassy comme ça, au bottom turn, les rails de la planche rentrent dans l’eau comme dans du beurre. Page de droite, en haut : Jaeger dans l’un des off the lip dont il a le secret sur ce fameux outside reef. Page de droite, en bas : Scott McKercher a de beaux restes, il n’a pas été champion du Monde PWA de vagues pour rien.
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 ??  ?? Ci-dessus : Jaeger enchaine sur cette vague parfaite, rapide et puissante qui devenait de plus en plus propre au fur et à mesure qu’elle s’enroulait sur le reef.
Ci-dessus : Jaeger enchaine sur cette vague parfaite, rapide et puissante qui devenait de plus en plus propre au fur et à mesure qu’elle s’enroulait sur le reef.
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Ci-dessus, à gauche : Skippy dans l’arrièrepay­s.
Ci-dessus, à droite : fin de session à « beer o’clock »
pour les 3 amis !
En haut : le spot de Lefties a aussi procuré de bonnes sessions à la bande. Ci-dessus, à gauche : Skippy dans l’arrièrepay­s. Ci-dessus, à droite : fin de session à « beer o’clock » pour les 3 amis !

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