Spécial Madame Figaro

Amer ejjeh L’éLéganCe tranquiLLe

La déterminat­ion et la prise de risque ont propulsé sa jeune carrière dans une maison de mode masculine âgée de 91 ans.Volonté de fer, résilience acharnée, son caractère trempé contraste avec son air calme.

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uractif, il a l’audace des chefs d’entreprise et ne se laisse rien dicter. Son business, c’est depuis sa tendre enfance qu’il en connaît les moindres revers. « A 13 ans déjà, je me levais de bonne heure en été pour accompagne­r mon père à l’atelier, alors que mes amis passaient des vacances au soleil. Même si j’en profite aujourd’hui, je ne le ferai pas à mes enfants ». Son plus grand succès, c’est Jade, sa fille de 6 ans, une petite créatrice en herbe. Un instant, ses yeux ont brillé. « Elle est pleine de curiosité et je réponds à chacune de ses questions avec le plus grand sérieux possible. Il ne faut surtout pas sousestime­r les enfants ni leur intelligen­ce. » Sa vie est à l’image du Liban, elle a connu la pluie et le beau temps, et de son enfance, il a un goût doux-amer. Il a grandi avec la mode en intraveine­use, en plein coeur d’une capitale déchirée. Son premier souvenir mode, c’est sans doute ce séjour en Italie, alors qu’il avait 15 ans. « Je n’avais jamais imaginé qu’un simple voyage de travail avec mon père allait déclencher en moi toutes ces sensations ». Destinatio­n : la plus vieille filature de laine du monde, Vitale Barberis Canonico. Et le spectacle commence. Sous ses yeux s’étale tout le savoir-faire italien de fabricatio­n du textile haut de gamme à partir de la purificati­on du matériau de laine brute. Une bande-son de machines déferlante­s mêlée aux odeurs de poussière des textiles. Au diapason du décor, un déluge de tissus. Au total, une bouffée de folie positive. La passion est née. De cette institutio­n du tissu Made in Italy vieille de 350 ans, naîtra une griffe qui fera la différence. Après des études de gestion à la LAU, le jeune homme entame un Master qu’il couronne par une formation de 6 mois dans cette même usine. Fidèle à son patrimoine, Amer revient au pays des cèdres avec la déterminat­ion de reprendre la boutique familiale fondée en 1926 au centre-ville de Beyrouth. De 2001 à 2005, la maison Ejjeh basée à l’avenue Saeb Salam renoue avec ses racines en plein coeur de la capitale. Après l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri, le bâtiment sera barricadé d’agents de sécurité et de fils barbelés. La boutique du centre-ville est définitive­ment fermée. « Une perte morale et matérielle », regrette-t-il.

en mode optimiSte

Incapable de rester au bas de l’échelle, sa déterminat­ion lui servira de formation accélérée. «Si on n’avance pas, on recule». Tel est son credo. A 37 ans, beau brun ténébreux, le voilà à la tête d’un empire bâti sur trois génération­s. « Après avoir décidé de rejoindre l’entreprise familiale en 2000, j’ai lancé l’idée de la confection grande mesure ou le bespoke, qui aujourd’hui joue un rôle majeur dans notre activité ». Le créateur s’est surtout concentré sur le bespoke, qu’il maîtrise assez pour le retourner dans tous les sens. « Une bonne partie de mon métier consiste à éduquer les clients sur le sens du luxe et de la couture grande mesure ». Pour les noninitiés, le grand mesure consiste à dessiner et découper le patron spécifique­ment pour chaque client. Autant le voir comme un investisse­ment et privilégie­r ces oeuvres d’art à l’apanage unique du tailoring napolitain et de la coupe française. Pour le reste, la maison offre l’intégralit­é des services, de la grande usine de prêt-à-porter, chemises, cravates et chaussures inclus, au prestigieu­x atelier de bespoke tailoring fait à la main. « La seule machine que nous utilisons pour le sur-mesure est le fer à repasser ! », nous assure-t-il. Amer a su se glisser dans l’air du temps. Du chic moderne qu’il représente à merveille. Parce qu’« un homme sans veste c’est comme une femme sans sac à main », Amer enfile son costume tous les matins et noue sa cravate. Pour chaque occasion il existe un uniforme. «Même pour un dîner casual», insiste-t-il. Quand on lui demande le nombre de costumes suspendus dans son dressing, il répond en gentleman, d’un accent très anglophone dévoilant un sourire malicieux : « there’s a suit for everyday ». Fin lettré, le jeune homme est trilingue comme la plupart des beyrouthin­s. Quelques pschitts de « Voyage d’Hermès», et les jeux sont faits ; Amer Ejjeh est prêt à affronter sa longue journée. Le jeune entreprene­ur se lève à six heures du matin, gym matinale exige. Après deux heures de crossfit, sa journée commence. La matinée est consacrée aux suivis, de la comptabili­té à la production, en passant par les commandes. A partir de midi, Amer reçoit ses fidèles clients pour les consultati­ons sur mesure. Un petit running en fin de journée avant de clôturer une journée bien chargée en famille auprès des siens. Ce grand passionné ne sait pas déléguer son travail. Il supervise personnell­ement le contrôle de qualité, le service d’après-vente, la comptabili­té etc. Sa soeur Sirine, complèteme­nt investie dans le buisness familial depuis plus de 20 ans est sa main droite. « Sirine est l’aînée, c’est la voix sage de la maison Ejjeh ». Elle s’occupe du secteur financier et des opérations de l’entreprise, et est impliquée dans la création du prêt-à-porter. « La femme est beaucoup plus sensible que l’homme aux couleurs et au design, je n’hésite pas à prendre son avis pour la touche finale », avoue-t-il. Sa muse, c’est la femme. Pas étonnant pour un créateur, même pour des collection­s pour hommes. «La nature accorde à la femme le don merveilleu­x de porter la vie, sa force est à elle seule une magnifique source d’inspiratio­n», assure-t-il. Et de femmes, il est bien entouré. Ses deux soeurs, Sirine et Nayla, qui a préféré faire carrière dans l’enseigneme­nt, sont ses partenaire­s. Un peu bohème, le jeune homme est trois jours sur sept en avion, en mouvement perpétuel, à l’image de sa marque. En l’espace de deux semaines, il fait le tour des grandes capitales arabes et Moscou, Paris et Genève, à la rencontre de ses clients. « Le monde est en mouvement continu, nous devons le suivre », dit-il.

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