Plus la femme est réformatrice, plus l’homme va tordre le bâton dans d’autre sens
«MAIS QU’EST-CE QU’ELLE VEUT QUE JE DISE?» «J’entends souvent cette phrase lors des groupes de parole d’hommes, poursuit Alain Héril. Ils ont le sentiment de s’adapter – les tâches ménagères, les enfants, les attentions pour leurs compagnes… –, et quand la femme demande encore : «Parle-moi», ils se disent que rien ne la satisfera jamais, et préfèrent se taire.» «Ma femme me fatigue.» Le sociologue Jean-Claude Kaufmann, habitué à ausculter le couple depuis trente ans, enregistre lui aussi très régulièrement cette complainte. «De patriarches autoritaires, les hommes sont devenus des sortes d’enfants. Quand ils rentrent à la maison, ils rêvent d’un univers doulillet, où ils ôtent leurs chaussures, jouent avec leur progéniture dans une maison pleine de bonne humeur, loin de la violence du monde extérieur. Ils redoutent plus que tout la conversation qui va lancer un grand débat dans le couple. Plus la femme est réformatrice, plus l’homme va tordre le bâton dans l’autre sens. Ils veulent bien que les rapports hommesfemmes bougent, mais pas trop et pas trop vite.» Comment alors réunir ces vents contraires ? En thérapie de couple, le psychanalyste Alain Héril tente de rétablir de l a sensualité: « Le meilleur moyen pour débloquer un homme, c’est de lui faire dire ce qu’il ressent lorsqu’il touche l’épaule, la main de sa femme, prévient-il ».
« L’ÉMOTION , C ’ E S T D’ABORD DES SENSATIONS PHYSIQUES, ce n’est pas du mental. » Jean-Claude Kaufmann, sur son blog (2), suggère souvent à ses lectrices de pratiquer la stratégie des petits pas. « Vous êtes en voiture, une conversation s’engage avec votre conjoint sur un couple d’amis en difficulté. Vous savez l’un et l’autre que vous parlez de votre couple aussi. C’est un premier pas. Il faut savoir s’arrêter là ce jour-là. Même si pour la femme, c’est souvent insuffisant.» Pour le psychanalyste Jacques André, qui a aussi écouté nombre d’hommes (3), sur le divan, « beaucoup de gens – hommes et femmes – veulent bien parler d’eux mais n’ont pas une vraie curiosité de l’autre. Il y a aujourd’hui un narcissisme puissant qui vient mettre une clôture ».
QUESTION: EST-ON VRAIMENT OBLIGÉ DE PARLER POUR S’AIMER? «Le bon silence, c’est ce que j’appellerais le silence de connivence, s’enthousiasme Jean-Claude Kaufmann, devant un coucher de soleil, par exemple, un couple capable de se sentir ne formant qu’un dans cette contemplation esthétique. » Pour Jacques André, cette tranquillité l’un avec l’autre, « c’est un vrai luxe psychique ». En ce sens, Matthieu Ricard voit juste. Le brouhaha qui agite notre société nécessite plus que jamais des pauses sonores.
(1) L’Iconoclaste, Allary Éditions. (2) www.jckaufmann.fr (3) Auteur notamment de « Paroles d’hommes », éditions Gallimard.